Première

Le festival Lumière

Le festival Lumière, grand-messe du cinéma de patrimoine, fête sa dixième édition avec Jane Fonda en figure de proue. L’occasion de revenir sur dix moments forts de cet événement indispensa­ble.

- PAR THOMAS BAUREZ

1 CLINT ET LE BALLON ROND 2009.

Clint Eastwood ouvre le bal de ce festival lyonnais initié par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier. À 78 ans, le cinéaste se voit honoré dans l’immense halle Tony-Garnier devant une foule de 4 000 personnes en délire, et son fils Kyle fait vibrer sa guitare. Clint, rictus ad hoc, est un prince. Quelques heures plus tôt, on l’a vu fouler en costard la pelouse mouillée du stade de foot de Lyon et tenter une improbable louche avec le ballon devant 40 000 personnes. Le monde se divise bien en deux catégories, ceux qui ont le truc et... les autres.

2 HELMUT BERGER (PRESQUE) RESTAURÉ

2010. La muse de Visconti, Helmut Berger – jadis double maléfique d’Alain Delon, doté d’une beauté tout aussi vénéneuse –, présente une copie entièremen­t neuve des Damnés et pousse une gueulante bien légitime : « Je suis fou de rage que l’on ait restauré le film et... pas moi ! »

3 BENICIO DEL TORO TOUT NU

2011. L’écran est encore blanc, la salle pleine à craquer, et il y a Benicio Del Toro avec un micro. Il est là pour dire tout le bien qu’il pense de L’Île nue, film japonais de 1960 de Kaneto Shindô, « le plus beau drame du monde ». Un film en Scope, en noir et blanc, où le vent souffle. Del Toro va à l’essentiel et reprend les mots qu’il a entendus de la bouche même de Shindô un an auparavant : « Ce n’est pas un film muet, mais un parlant sans dialogues. » Del Toro se replie immédiatem­ent dans son fauteuil. Silence absolu.

4 TAVERNIER AU TÉLÉPHONE

2011. Un Bertrand Tavernier matinal termine sa longue tirade sur la période hollywoodi­enne d’avant la censure : « Vous allez voir, au tout début de Safe in Hell, Dorothy Mackaill en porte-jarretelle­s a le combiné du téléphone posé juste entre ses jambes. La mise en scène de William Wellman est tout de même très... » Quelque part au quatrième ou cinquième rang, une sonnerie de portable coupe le sifflet de Tavernier, qui ne se démonte pas : « Si c’est Dorothy Mackaill, dites-lui de ne surtout pas bouger ! »

5 REFN ET SES PETITES PÉPITES

2012. Quand l’homme qui a fait Drive se déplace avec des copies de deux films d’un cinéaste suffisamme­nt obscur [Andy Milligan] pour que Bertrand Tavernier n’en ait jamais entendu parler, on fonce tête baissée. Même très tard. Nicolas Winding Refn prévient : « Vous allez voir, ils sont très curieux mais pas très fameux ! » Et de fait...

6LES LARMES DE MICHAEL CIMINO

2012. Le filiforme Michael Cimino, le visage moins vrai que nature, surmonté d’une coupe de cheveux façon soap américain des années 80, fend péniblemen­t la foule. Sur scène, la marionnett­e paraît désarticul­ée mais reprend des couleurs. Isabelle Huppert est là. Au micro, elle annonce qu’une erreur s’apprête à être enfin réparée, celle qui a mis la fresque crépuscula­ire La Porte du paradis au ban de l’histoire du cinéma. Mutilée, détestée, oubliée, elle s’apprête à être enfin projetée dans sa version intégrale (3 h 40). Cimino se tourne vers Huppert, actrice de ce film somme, prononce deux ou trois mots la gorge serrée. Ses épaisses lunettes noires ne parviennen­t plus à cacher ses larmes.

7 BELMONDO EN HIVER

2013. Bebel impérial débarque dans la halle Garnier sur les violons mélancoliq­ues du thème d’Ennio Morricone composé pour Le Profession­nel. Imparable. Cinq ans après, la standing ovation dure toujours.

8 LE VOYOU TARANTINO

2013. Quentin Tarantino fait le show ! Le cinéphage en pleine fièvre 70s présente à Lyon sa petite sélection perso. Arrive la projection du Voyou de Claude Lelouch. Tarantino rejoue hilare des séquences entières, hurle comme Charles Denner dans le film : « Merci Simca ! » À côté du géant américain, Claude Lelouch et Charles Gérard sont comme deux écoliers qui verraient soudain leur rédaction déclamée par leur professeur devant toute la classe. Le film débute enfin. Les lumières s’éteignent. Pas Tarantino.

9 IS IT YOU RAMBO?

2014. Le cinéaste Ted Kotcheff traîne dans les jardins de l’institut Lumière, peuplés d’étudiants cinéphiles qui se dorent la pilule sous un soleil automnal persistant. L’un reconnaît Ted : « Rambo, c’est vous ? », avant de se lancer dans une traduction approximat­ive : « Is it you Rambo ? » Attroupeme­nt. Ted ne ressemble pas à Stallone, il l’a juste façonné en réalisant First Blood. « Et les autres volets, ce n’est pas vous ? That’s not you... Why ? » Ted sourit et demande aux jeunes gens de le suivre dans la salle de projection. Réponse :

« J’aime beaucoup Stallone, moins ses choix. Après le premier volet, Rambo est devenu un vrai salaud. J’ai refusé d’y retourner. Récemment, Sylvester est venu me voir pour me parler de son nouveau Rambo et m’a dit : « Je t’aurais bien demandé de réaliser le film, mais après mes deux divorces, je suis à sec. J’ai besoin de ce cachet ! »

10 DIRECTED BY WONG KAR-WAI

2017. Chaque année, la tradition veut que le lauréat du Prix Lumière remette en scène le film originel des frères Lumière à l’endroit même où le tournage s’est déroulé en 1895. L’année dernière, La Sortie de l’usine a été mise en scène par l’homme aux lunettes noires : Wong Kar-wai. Au centre du cadre ce jour-là, un Charles Aznavour très rock avec son blouson brillant surmonté de deux aigles. Dans la rue, les badauds chantent : « Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles... » Le Hong-kongais savoure. La prise sera forcément bonne. FESTIVAL LUMIÈRE 2018 Du 13 au 21 octobre à Lyon

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Nicolas Winding Refn
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Benicio Del Toro
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Jane Fonda
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Wong Kar-wai

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