Ryan Gosling
Gosling en apesanteur
Acteur de l’effacement et du geste « micro » qui veut dire beaucoup, Ryan Gosling joue l’astronaute Neil Armstrong, lui aussi un reclus de première, dans First Man – Le Premier Homme sur la Lune.
Le nouveau film de Damien Chazelle est-il un documentaire caché sur sa star ? Comment communiquer l’état de grâce sans cligner des yeux ? Et que se passe-t-il là-haut, derrière ce petit air morose ? Enquête sur le mystère Gosling.
A38 ans, dont trente passés à faire l’acteur pour différents publics et à différents échelons de l’industrie, Ryan Gosling est un vieux de la vieille. Un professionnel accompli et une star de cinéma en puissance, dont la pudeur et le style non intrusif entrent en parfaite résonance avec l’époque. Ça n’a pas toujours été le cas, et toutes ces qualités qu’on lui prête aujourd’hui en tant qu’acteur (sa stature de leading man, son charisme cool, son « petit jeu » minimaliste et pénétrant) ont longtemps été des points de contention. « Grandir dans ce métier est un processus », disait Marlon Brando, et dans le cas de Ryan Gosling, le processus fut long, transformatif et violent (« Et après vous vous emmerdez sévère », ajoutait Brando, mais on s’égare). Il y a eu les années Mickey Mouse Club à la télé (apprentissage de la caméra, du placement de regard, des mauvaises coupes de cheveux), la carrière avortée d’idole pour midinettes ( N’oublie jamais), la vedettarisation indé avec des rôles de jeunes hommes placides et « en contrôle », entretenus dans une violence sous-jacente qui ne demande qu’à exploser (Danny Balint, Half Nelson, Blue Valentine...). Et soudain, en 2011, le coup de projo de Drive, qui faisait remonter toute cette violence contenue à la surface à coups de marteau sur les phalanges et dans la gueule, mais où le visage de Ryan restait décidément, et érotiquement, immobile. Steve McQueen, version hipster. Quelque part, sa performance à la fois morose et supermacho semblait délivrer un commentaire sur l’absurdité inhérente au cinéma d’action. On commençait alors à découvrir dans les médias la personnalité authentiquement charmante de Gosling, encore plus cool, calme et en contrôle que son alter ego filmique, sauvant une femme d’un accident de la route à New York, empêchant des bagarres dans des bars ou tricotant des pulls en laine pour se relaxer... Les filles se pâmaient déjà, mais la question de son style évanescent et de sa légitimité en tant que héros de cinéma « solide » (contraire de liquide) se posait toujours pour une majorité du public. « Ryan Gosling sait-il jouer la comédie ? », ou « Ryan Gosling cligne-t-il des yeux ? », titraient des sites culturels de référence comme IndieWire. Only God Forgives, qui signait ses retrouvailles avec son pygmalion de Drive, Nicolas Winding Refn, n’a fait qu’entretenir le doute. Dans une scène restée infamante, le personnage qu’interprète Ryan « stimule » une prostituée avec ses doigts d’un air parfaitement désinvesti, réduit à des regards prosaïques dans le vide qui effacent, jusqu’à la parodie, toute notion d’incarnation. Sa transition en héros de cinéma restait pour l’instant au stade robot. C’est l’époque des mèmes internet type « Ryan Gosling Won’t Eat His Cereal », avec les bols de Choco Pops incrustés dans des extraits de films où l’acteur tourne la tête...
Stanislavskien
Bien sûr, tout ça paraît un peu archaïque maintenant que Ryan a joué un robot en quête de sens (et d’implication) dans la suite du film de robots-en-quête-de-sens le plus
« RYAN ET NEIL ONT CETTE MÊME DISPOSITION AU CALME ET À L’INTROVERSION. » DAMIEN CHAZELLE
célèbre de l’histoire du cinéma (Blade Runner 2049). La La Land a prouvé qu’il avait le star power pour toucher un public mondial, illustrant au passage sa capacité à glisser sans effort à l’image, mais le film de Villeneuve a vraiment servi sur un plateau son goût de la surface plane, de l’intériorité et du « micro » geste signifiant – à la limite de l’explication de texte. Grand théoricien de l’art dramatique et inventeur de la Méthode, Constantin Stanislavski disait : « Une vérité artistique est difficile à exprimer, mais elle ne lasse jamais. Elle devient plus agréable, pénètre plus profondément de jour en jour jusqu’à ce qu’elle domine l’être entier de l’artiste et son public. » Et Gosling a réussi ça. Il était terne et transparent ; il est devenu stanislavskien. Il n’était pas spécialement beau, et il est aujourd’hui l’un des plus grands sex-symbols de la planète... Une part importante de son charme réside dans son absence de prétention. Elle s’« entend » dans l’album de rock spectral qu’il a sorti avec son groupe Dead Man’s Bones en 2009, veillée frugale et symphonique qui faisait l’amalgame entre The Flaming Lips et les Beach Boys sans se la jouer. Même son unique film de réalisateur, le très décrié Lost River (2014), réussit l’exploit de conserver la fraîcheur et l’innocence du débutant dans un océan de rimes visuelles interminables et de clins d’oeil embarrassants à David Lynch et Leos Carax. Au tournage, Gosling demandait à ses acteurs de mémoriser les rêves qu’ils faisaient chaque soir dans leur lit et de les partager avec le reste du cast le lendemain matin sur le plateau. Il nous explique pourquoi, sur un parking des studios Universal reconverti en plateforme promo pour First Man : « C’est
une technique de jeu assez populaire où l’acteur utilise ses rêves pour se connecter avec le texte sur lequel il travaille. Bon, je n’étais pas sûr de moi. On tente des choses, on voit ce qui en ressort... Mais ça semblait rejoindre les thèmes du film – qui raconte comment le rêve de cette femme tourne au cauchemar – et je pensais pouvoir explorer la descente aux enfers de l’histoire en étudiant les rêves des acteurs au fur et à mesure qu’on avançait. Je sais que ça ressemble à un délire d’acteur sinoque, mais ça nous donnait une sorte de raccourci dans le travail, de champ lexical... Tiens, c’est marrant ! “Sinoque”. Je n’avais jamais utilisé ce mot avant. » Pendant que le monde apprenait à faire connaissance avec Ryan Gosling, une lampée de cinéastes très visuels, friands de plans contemplatifs et de surfaces glacées, jetaient leur dévolu sur lui. Terrence Malick le convoque en 2014 pour tourner des séquences déambulatoires volées à Nashville, qui deviendront des années plus tard Song to Song. Denis Villeneuve bataille sans succès pour le caster dans Prisoners. Et le jeune Damien Chazelle, fraîchement débarqué du carton de Whiplash, pense immédiatement à lui pour incarner l’astronaute Neil Armstrong dans First Man, « parce que Ryan et Neil ont cette même disposition au calme et à l’introversion ». Pour son deuxième long, Chazelle voulait se lancer dans la comédie musicale La La Land (alors intitulée So Long Jupiter) mais décida, suite à une crise de financement et au départ des acteurs (Miles Teller et Emma Watson), de se rabattre sur First Man. En 2014, les deux hommes se rencontrent pour parler de conquête spatiale, du potentiel dramaturgique de l’alunissage et de ses nombreux mystères, et du fait que ni l’un ni l’autre n’étaient présents en juillet 1969 pour y assister (ils sont nés dans les années 80). « J’ai d’abord été frappé par son flegme et sa gentillesse, qui étaient le reflet exact de ce que j’avais vu à l’écran, raconte Chazelle, contacté sur son portable à la Mostra de Venise, où First Man faisait l’ouverture. “What you see is what you get” comme on dit ici, et je me souviens avoir pensé, dans une perspective purement cinéma : “Mince, il est quand même très cool.” Je lui ai pitché First Man, mais la conversation a rapidement dévié vers cette comédie musicale que je préparais. Il avait entendu des rumeurs et, bien qu’il fût très intrigué par Neil Armstrong, il l’était encore plus par Gene Kelly. »
La vie de Ryan
Réécritures successives, reshoots, problèmes de rythme, de ton, de « feeling » : l’histoire de la conception laborieuse de La La Land est désormais célèbre. D’après Chazelle, c’est en partie à cause de Gosling, et aussi grâce à lui, s’ils s’en sont sortis : « Le script que je lui ai fait lire au début était très différent. Et ça a été ma première rencontre avec le processus et l’éthique de travail de Ryan. (Rires.) Certains acteurs n’aiment pas discuter. Ils regardent ce qu’il y a sur la page et ils l’exécutent, de peur de trop réfléchir et de surinterpréter, ce qui est
« RYAN A UN CÔTÉ STOÏQUE FASCINANT. UN TRUC À LA GARY COOPER. » DAMIEN CHAZELLE