Shane Black
Les sept commandements de Shane Black « S’il peut saigner, on peut le tuer. » Vingt et un ans après avoir joué dans l’original de John McTiernan, Shane Black relance la chasse avec The Predator, son quatrième film en tant que réalisateur. L’occasion de r
1. AVOIR UN BON DUO
« Pour moi, le buddy movie n’est pas une formule, c’est une opportunité. J’adore me creuser la tête pour trouver LA bonne idée de scénario juste en partant de ce postulat. C’est un procédé avec lequel je me sens à l’aise mais qui reste toujours un peu casse-gueule. Comment se renouveler à chaque fois ? Et puis surtout, il faut impérativement que les personnages se parlent beaucoup, j’ai besoin d’écrire des dialogues. Je ne sais pas construire un scénario autrement. Sûrement parce que j’ai étudié le théâtre, où le langage – surtout dans le théâtre anglais – est essentiel. C’est pour ça que je suis dingue de films choraux, ou au minimum avec un duo. Dans The Predator, il y a six ou sept personnages principaux, ce qui multiplie les possibilités. Et là-dessus, j’ajoute des amitiés compliquées, avec des personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Généralement, dans mes scripts, ce sont des personnages forcés de travailler ensemble et qui apprennent à se soutenir dans l’adversité. Pourquoi ? Je crois que j’aime l’idée, un peu naïve, qu’on peut arriver à s’entendre malgré nos différences. Vous trouvez ça stupide ? »
2. LAISSER REPOSER
« J’ai bien failli ne jamais terminer le script de L’Arme fatale. Après l’écriture du scénario de The Monster Squad, avec mon ami Fred Dekker, je me suis retrouvé soudainement tout seul. J’avais envie d’une histoire de flics, un truc tendu, un vrai thriller. J’étais influencé par L’Inspecteur Harry, Bullitt ou The Seven Ups, vous voyez l’idée ? Un genre un peu laissé à l’abandon à l’époque. J’ai commencé à écrire et... disons qu’il y avait quelques bonnes scènes, mais je n’avais plus aucune confiance en moi. C’est comme si j’avais oublié comment on faisait, j’étais persuadé que je ne serai plus jamais capable de rien. Arrivé à la moitié du scénario, le syndrome de la page blanche. Le vide total. Je devenais fou, j’ai tout jeté à la poubelle. Mais ça continuait à m’obséder, donc je l’ai récupéré in extremis un ou deux jours plus tard. Il fallait au moins que je le finisse, sinon j’allais faire quoi ? Commencer autre chose et me sentir encore plus mal ? Alors je suis allé au bout. Les gens qui l’ont lu l’ont aimé et j’ai compris que ce n’était pas si mauvais. Depuis, ma méthode est de fourrer le script que je viens de terminer dans un tiroir et de le relire plus tard, au calme. La plupart du temps, je me rends compte que je n’ai pas totalement merdé. J’ai appris à arrêter de me jeter des pierres. »
3. CONNAÎTRE SES LIMITES
« Personne ne peut se confronter à un film aussi iconique que Predator et faire son malin en disant : “Regardez-moi bien, je vais faire encore mieux.” Ce serait suicidaire. L’idée de départ de The Predator était d’adresser une belle lettre d’amour à l’original, pas de le défier. Quelque chose d’un peu différent, qui conserve l’essentiel. Il y a deux choses avec lesquelles je ne voulais pas transiger : l’histoire devait être une chasse – c’était primordial – et une équipe dirigée par un leader charismatique devait affronter le Predator. Pour le reste, on s’est laissé beaucoup de liberté. »
4. SAVOIR CHANGER SON FUSIL D’ÉPAULE
« J’adore écrire un script original quand j’ai le temps, ça me fout les jetons mais c’est souvent ce qui donne le meilleur résultat. Tout faire par soi-même, partir de rien, c’est quasiment thérapeutique. Mais il faut accepter de se planter parfois... Quand j’ai écrit Kiss Kiss Bang Bang, je fréquentais beaucoup James L. Brooks [réalisateur, scénariste et producteur]. C’était mon mentor, j’étais à ses pieds, son plus grand fan ! C’est un cinéaste de la parole, dont les personnages vont toujours jusqu’au bout pour avoir la vérité. Vous voyez les similitudes avec mon travail. (Rires.) Bref, à cette époque, j’ai commencé à écrire une histoire d’amour. James a lu mon premier jet et m’a dit : “Il y a de bonnes scènes, bravo gamin !” Donc j’ai continué, confiant. Mais au bout de soixante pages, l’histoire s’est mise à stagner. Je voyais son visage se fermer pendant qu’il lisait... “Où tu vas avec ça ? C’est flou, tu n’as pas d’angle.” J’étais dévasté. Et puis je suis rentré et j’ai réfléchi : en fait, j’essayais de voler avant de savoir marcher. J’étais en train de foutre en l’air tout ce que j’avais mis des années à maîtriser. Merde, il me fallait un détective et un meurtre ! C’est là que j’ai introduit le personnage de Val Kilmer. Le confort que je trouve dans le thriller me permet de jouer avec ses codes pour mieux m’en émanciper, et m’aventurer vers d’autres genres. Sans ça, je suis un peu perdu. »
5.GÉRER L’HUMOUR
« En comédie, le timing fait tout. Quand j’embauche Russell Crowe et Ryan Gosling pour The Nice Guys, c’est parce que je sais que ces mecs ont ça dans le sang. Combien y a-t-il d’acteurs à Hollywood qui savent jouer les durs, et en même temps faire marcher une scène comique avec une précision chirurgicale ? Vraiment très peu. Je suis très exigeant sur les ressorts humoristiques dans mes films. Il faut que ça s’insère naturellement dans le récit, que ça vienne de la relation entre les personnages. Dans L’Arme fatale, on se marre parce que ce sont deux personnes qui ne s’aiment pas et ne loupent pas une occasion de se taper dessus. Pour The Predator, c’est encore autre chose : après les extraits diffusés au Comic-Con de San Diego cet été, certains ont été étonnés que l’humour soit aussi présent. Sauf que ce serait oublier que le premier Predator était bourré de second degré. Certes, il y avait beaucoup de tension et ça faisait peur, mais tous les personnages principaux étaient des caricatures de soldats. Des mecs exagérément musclés, qui portaient des armes complètement démesurées, et se chambraient dès que possible. Donc qu’on ne vienne pas me dire que l’humour n’est pas dans l’esprit de ce que John McTiernan visait ! »
« LE BUDDY MOVIE
N’EST PAS UNE FORMULE, C’EST UNE OPPORTUNITÉ. » SHANE BLACK
6.LÂCHER DU LEST
« Quand tu signes un script que tu ne réalises pas ensuite, tu ne peux pas toujours être content du résultat. John McTiernan et moi sommes bons amis, et je respecte éminemment son travail, mais j’ai du mal avec Last Action Hero... Lui aussi d’ailleurs. Avec David Arnott, on a été embauchés pour réécrire un scénario de Zak Penn et Adam Leff. Sauf que celui-ci était passé entre les mains d’à peu près tous les scénaristes de Hollywood ! Ils ont même appelé Carrie Fisher pour voir ce qu’elle pouvait faire. À l’époque, on blaguait sur le fait que le mec qui s’occupait de mon jardin avait lui aussi sa version du scénario. (Rires.) Bon, le résultat final n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on avait écrit... C’est comme ça, on ne peut pas tout contrôler, il faut l’accepter. D’ailleurs, Last Action Hero a été l’une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à vouloir réaliser. Je n’arrêtais pas de me dire : “Voilà comment je ferais si j’avais la chance d’être aux commandes.” Je crois que j’en ai eu marre de toujours laisser l’interprétation de mon travail à quelqu’un d’autre. » « Mes trois premiers films – L’Arme fatale, Le Dernier Samaritain et Au revoir, à jamais – représentent les trois types de fictions avec lesquelles j’ai grandi : le thriller policier, le film de détective et le thriller d’espionnage. Ce sont les trois genres que je maîtrise. Alors, quand je signe avec Marvel Studios pour Iron Man 3, je fais un saut dans l’inconnu. Cela faisait deux ans que j’étais sorti de cure de désintoxication quand j’ai été embauché, et la chose la plus importante dans ma vie était d’arrêter de boire. Et puis Robert Downey Jr. m’a proposé le film, sûrement parce qu’il a eu une expérience similaire. J’ai été étonné de rencontrer de vrais fans de comics, loin des mecs en costumes qui font des films de superhéros qu’ils ne comprennent pas. Ce sont des gens avec des opinions très arrêtées, mais très malins. Évidemment, il est arrivé qu’on ne soit pas d’accord, mais on a toujours pu trouver un compromis sans se trahir artistiquement. Contrairement à ce que certains croient, Marvel n’est pas un ogre qui vous dévore : il faut juste avoir envie de trouver un terrain d’entente. Les fans n’ont pas aimé notre version du Mandarin, ils voulaient que ce soit un mec venu de l’espace avec des bagues magiques qui tire des lasers. Mais réfléchissez à ça : le scénario parle d’un « laboratoire d’idées » médiatico-politique qui décide de créer une pure fake news pour propager la peur aux États-Unis. Plus si dingue que ça de nos jours ! »
THE PREDATOR De Shane Black • Avec Boyd Holbrook, Sterling K. Brown, Keegan-Michael Key… • Durée 1 h 47 • Sortie 17 octobre