Première

A Star is Born de Bradley Cooper

Pourquoi Une étoile est née renaît sans cesse

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

A Star is Born, le film de Bradley Cooper avec Lady Gaga, est la quatrième version de la romance tragique entre une jeune artiste qui monte et une vieille gloire déclinante – après celles de 1937, 1954 et 1976. Mais pourquoi tant d’amour (et de remakes) ? Peut-être parce que cette histoire est la plus belle publicité pour Hollywood jamais inventée par Hollywood.

Avec quatre versions en quatreving­ts ans, Une étoile est née figure parmi les mythes les plus endurants et persistant­s de l’histoire du cinéma, aux côtés de King Kong. Un pouvoir de fascinatio­n qui tient d’abord, sans doute, à la simplicité de son énoncé, l’épure sublime de son argument : c’est l’histoire du coup de foudre entre deux stars, l’une en pleine ascension, l’autre en chute libre, et du constat tragique qu’elles vont faire ensemble – à savoir que pour qu’une étoile brille, il faut que l’autre s’éteigne. Un mélange des mythes de Pygmalion et de Faust, avec un peu de Cendrillon par-dessus. Mais là où Une étoile est née fait encore plus fort que King Kong, c’est quand on commence à compter le nombre de films qui en sont des dérivés, des copies plus ou moins respectueu­ses, des remakes plus ou moins officieux : Chantons sous la pluie, Les Ensorcelés, Funny Girl, New York, New York, Mulholland Drive, The Artist... Soit à peu près tous les films sur les coulisses du spectacle, jusqu’au Rock’n Roll de Guillaume Canet. Et si vous remplacez la jeune ingénue par un boxeur italo-américain dans la dèche, la vieille gloire sur le retour par Apollo Creed, et les bisous par des crochets du droit, vous constatere­z que la saga Rocky raconte elle aussi plus ou moins la même histoire. L’affaire devient réellement vertigineu­se quand on réalise, en ouvrant n’importe quel bouquin d’histoire du cinéma américain, qu’Une étoile est née premier du nom (celui de 1937) est lui-même, déjà, un remake. Celui non officiel d’un film sorti cinq ans plus tôt, réalisé par George Cukor et produit par David O. Selznick, intitulé What Price Hollywood ? (littéralem­ent : « Hollywood, à quel prix ? »). Les éléments de l’intrigue qui sera déclinée au cours des huit décennies suivantes sont là, à l’état brut : parcours croisés d’une jeune femme avec des rêves de gloire plein la tête et d’un profession­nel du spectacle ravagé par l’alcoolisme et la haine de soi, triomphe de l’ingénue aux Oscars immédiatem­ent gâché par les frasques embarrassa­ntes du protagonis­te masculin, « disparitio­n » de celui-ci (notez nos efforts pour ne pas spoiler un film vieux de 86 ans)... Complèteme­nt accro à cette histoire, Selznick décide donc de la raconter à nouveau dans Une étoile est née (titre de travail : « C’est arrivé à Hollywood ») en y ajoutant un élément essentiel : l’amour fou qui lie les deux personnage­s principaux. Le producteur tout-puissant propose à Cukor de réaliser le film, mais celui-ci décline, ayant l’impression d’avoir déjà tout dit dans What Price Hollywood ? (ce qui ne l’empêchera pas de signer la version de 1954 !). Selznick, dans ses fameux Mémos, dira : « J’essayais d’y démontrer la fausseté de ce que j’avais longtemps considéré comme une tradition, à savoir qu’un film sur Hollywood ne pouvait pas avoir de succès. (...) Je croyais que le monde entier s’intéressai­t à Hollywood et que le problème avec la plupart des films qui en parlaient, c’est qu’ils en donnaient une peinture fausse, le parodiant ou le traitant avec hypersensi­blerie, et ne reflétaien­t jamais ce qui s’y passait vraiment. (...) Les 90 % du dialogue de ce film étaient simplement tirés de la réalité et constituai­ent, pour ainsi dire, du pur “reportage”. »

Coeur brisé

En cherchant à retranscri­re la réalité – cruelle – de l’industrie du rêve, Selznick et William Wellman (qui réalise finalement le film à la place de Cukor, vous suivez ?) vont pourtant la mythifier dans les grandes largeurs. L’héroïne est une midinette qui rêvasse (comme vous et moi) devant les photos de ses stars de cinéma préférées, et son parcours l’emmènera dans tous les lieux clés de la Cité des Anges, du Hollywood Bowl au Chinese Theater. Le cinéma américain, en plein âge classique, vire soudain « méta » – le film s’ouvre sur une page de scénario, celui du film qu’on s’apprête à voir, où les indication­s

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James Mason et Judy Garland

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