TOUTE UNE HISTOIRE
Vingt ans de rebondissements
La genèse de L’Empereur de Paris est aussi épique que le film, étalée sur plus de vingt ans, sur fond de bataille acharnée entre projets concurrents. Récit avec les principaux acteurs de cette aventure rocambolesque.
Il y a eu la guerre des Bond entre 1975 et 1983 (Octopussy avec Roger Moore vs Jamais plus jamais avec Sean Connery). En France, la guerre des Vidocq a fait moins de bruit mais elle a tout de même eu lieu, au tournant du millénaire, dans un contexte particulier et à fleurets mouchetés. Tout commence dans les années 90. Amoureux de la série Les Nouvelles Aventures de Vidocq avec Claude Brasseur en superflic bondissant, Éric et Nicolas Altmayer, alors producteurs débutants, en achètent les droits, au cas où. « Il n’a jamais vraiment été question d’adapter le feuilleton, explique en préambule Nicolas Altmayer, mais les personnages historiques. On s’est d’emblée orientés vers quelque chose de plus sombre et de moins virevoltant. En 1997, on a proposé le projet à Éric Besnard, un ami scénariste qui s’est énormément documenté, puis lancé dans l’écriture du scénario. » Fortuitement, quelqu’un a eu la même idée que les frères Altmayer, avec même un peu d’avance : le journaliste et scénariste David Fakrikian. « Le succès du remake cinéma du Fugitif, avec Harrison Ford, m’avait donné l’idée de faire de même avec un héros français populaire, nous confie-t-il. Vidocq était une évidence. J’avais donc écrit une adaptation de la première série – celle de 1967, avec Bernard Noël – qui montre comment Vidocq devient flic. J’avais glissé mon script à la rentrée 1994,
dans les couloirs d’Europe 1, à Alain Chabat, qui montait alors sa boîte de production, Chez Wam. Par chance, il a adoré. Par malchance, la mise en place de sa société a traîné. Il s’est alors mis à préparer Didier et a repassé le projet à Dominique Farrugia qui dirigeait sa propre société, RF2K, fondée avec Olivier Granier. Tout semblait bien parti jusqu’à ce qu’ils apprennent que leurs concurrents avaient acquis les droits de la série. »
Hostilités ouvertes
Pendant ce temps-là, les frères Altmayer poursuivent leur chemin, bien conscients de l’ampleur de la tâche. « C’était un film ambitieux, cher, pour lequel on avait besoin de soutien, se rappelle Éric Altmayer. À l’époque, on ne pouvait pas se passer de Canal+. On a donc rencontré Nicolas Boukhrief et Richard Grandpierre, de Canal+ Écriture, qui se déclarent emballés par le scénario et nous font part de leur envie d’entrer dans le développement et la coproduction. Quelque temps plus tard, on a rendez-vous quasiment pour signer avec eux et là, patatras, on apprend l’existence du projet concurrent, mis en chantier par des gens proches de Canal+ ! » La guerre des Vidocq est déclarée. Mais dans un premier temps, les deux parties tentent une conciliation. « Olivier Granier nous a appelés pour nous proposer une sorte d’association, poursuit Éric Altmayer. Nous étions alors très avancés et je pense que ce qui les gênait, c’était qu’on privilégiait la période où le bagnard devient flic. Elle les intéressait, puisqu’elle correspondait à leur script. Nous avons refusé. » L’effet boule de neige est immédiat. « On m’a subitement demandé de m’éloigner de l’idée d’une adaptation de la série, confirme David Fakrikian. J’ai donc suggéré de déplacer l’action à la Révolution de 1830. Si Claude Brasseur avait pu succéder à Bernard Noël, en passant du noir et blanc à la couleur, on pouvait procéder de même, avec un nouvel acteur et en Scope. À cette époque-là, Didier était sorti, avec le succès que l’on sait. Dominique avait alors parlé à Alain de réaliser le film, après que Gérard Lanvin eut accepté de jouer Vidocq. » Lâchés par Canal+, les frères Altmayer peuvent de leur côté compter sur un allié de poids : Gérard Depardieu. La star, à l’époque boulimique de grands rôles historiques, s’est engagée par lettre avec eux grâce à l’intercession de Christian Clavier – frère de Stéphane Clavier, dont les Altmayer viennent de produire La voie est libre et qui est pressenti pour réaliser leur Vidocq. De son côté, David Fakrikian quitte le projet concurrent. « La bataille sur les droits m’avait refroidi et nous avions des divergences artistiques, explique ce dernier. J’ai tout arrêté en emportant le copyright du développement que j’avais effectué et sur lequel s’était engagé Lanvin, qui finira d’ailleurs par ne plus avoir de nouvelles de la production. »
Depardieu, la clé de voûte
Il est temps pour les frères Altmayer de jouer leur dernier va-tout. « Quand David Fakrikian est parti, on s’est retrouvés en avance sur le développement, vu que nos concurrents devaient tout reprendre à zéro, mais en retard sur le positionnement, poursuit Nicolas Altmayer. Toujours forts du soutien d’UGC et de Depardieu, on a décidé d’annoncer publiquement le projet lors du Festival de Cannes 1998. C’est là où ça a commencé à tourner au vinaigre... Stéphane Clavier n’était manifestement pas assez fort pour contenir Depardieu. On l’avait constaté en rencontrant Gérard sur le tournage d’Un pont entre deux rives. Il nous avait fait son numéro d’ogre en dévorant vingt côtelettes, on était traumatisés ! » (Rires.) « L’agent de Gérard, le fameux Bertrand de Labbey, patron d’Artmedia, nous prenait un peu de haut, continue Éric Altmayer. Pour lui, on était des empêcheurs de tourner en rond. Quand il nous a dit que Depardieu verrait plutôt notre projet en série télé dirigée par Josée Dayan, ce qui était hors de question, on a bien senti qu’il ne nous aiderait pas. » Quelques mois après l’annonce officielle, le projet piétine avant que lui soit asséné le coup de grâce. « Nous étions rentrés en préparation avec le chef décorateur, Jean Rabasse, raconte Nicolas Altmayer. Un jour, il nous apprend que Patrick Bordier, directeur de production qui bossait alors sur Vatel, lui a confié que Depardieu ne jouerait pas Vidocq. On a alors tout arrêté car, sans lui et en
« À L’ÉPOQUE, ON NE POUVAIT PAS SE PASSER DE CANAL+. » ÉRIC ALTMAYER
l’absence de Canal+, le projet était mort-né. » Leur abandon laisse le champ libre au Vidocq concurrent, réécrit par le scénariste à la mode Jean- Christophe Grangé, réalisé par le débutant Pitof et joué par... Gérard Depardieu. Avec Jean Rabasse aux décors ! « On ne peut pas dire que Gérard ou Jean nous ont trahis, analyse avec le recul Éric Altmayer. Du temps s’était écoulé entre notre arrêt et le tournage du Pitof, ils étaient passés à autre chose. Quand ils ont vu un autre Vidocq revenir vers eux, ils ont dû se dire pourquoi pas. En 2002, quand on a produit Dina, dans lequel Gérard jouait, il nous a fait son show en mode « Bah alors, j’ai plus eu de nouvelles de vous ! » comme si rien n’était arrivé. (Rires.) Au final, je pense qu’on aurait pu faire le film avec lui si on avait eu un gros nom à la réalisation. »
Un premier reboot avorté
Le script d’Éric Besnard reste sur une étagère pendant plus de quatre ans, à portée de main des frères Altmayer qui n’ont pas digéré leur échec mais qui ont consolidé leur société grâce à leur collaboration avec Fabien Onteniente (Jet Set). Titillés par le succès du Pacte des loups, ils envisagent de revisiter l’histoire originale qu’ils avaient en tête en la transposant dans le futur. Et proposent à Stéphane Cabel, le scénariste du Pacte d’en écrire l’adaptation. « Vers 2003-2004, on a voulu faire une version “bladerunnerisante” de notre script, explique Nicolas Altmayer. On avait en tête un bagne futuriste dérivé de Volte/ Face duquel un type s’évaderait pour devenir flic. » « Le film se situait à mi-chemin de Blade Runner et de New York 1997 », confirme Stéphane Cabel. Très vite, cependant, les Altmayer réalisent l’infaisabilité de ce nouveau projet. « Notre estimation du budget était folle, c’était le double du projet initial, s’esclaffe avec le recul Nicolas Altmayer. On a finalement laissé tomber. »
Éric Besnard, le retour
2015. Mandarin Cinéma est devenu l’un des plus gros producteurs indépendants du cinéma français, à qui l’on doit les deux Brice de Nice, les deux OSS 117, Potiche, Les Kaïra, Saint Laurent, Chocolat ou Patients. Une société solidement implantée, prête à relever un défi immense. « Éric Besnard est revenu vers nous il y a environ trois ans pour nous dire que c’était le moment de ressortir le projet Vidocq des tiroirs, se souvient Nicolas Altmayer. Il y avait, selon lui, une envie de blockbusters français qui ne demandait qu’à être satisfaite. Nous sortions alors de Chocolat, construit autour d’Omar Sy, une star charismatique. Pour nous, refaire un Vidocq n’était envisageable qu’avec Vincent Cassel pour aller vers un film ample et sombre. Éric a opiné et réécrit son scénario, en mettant complètement de côté la série, pour coller au style de Vincent. » Reste à convaincre l’acteur. Et à embaucher un réalisateur installé pour éviter les désillusions passées. Un nom s’impose rapidement, celui de Jean-François Richet. « Nous rêvions de reconstituer le duo gagnant de Mesrine, avance Nicolas Altmayer. Ce “package” nous est apparu d’autant plus naturel qu’ils partagent le même agent. » Les frères Altmayer se font une ultime frayeur lorsqu’ils apprennent l’existence d’un nouveau projet concurrent sur Vidocq que Philippe Rousselet (Vendôme Production) veut lui aussi proposer au tandem Richet- Cassel ! Le cauchemar d’un nouveau bras de fer s’estompe rapidement. « En vingt-quatre heures, nous avons compris que notre projet était plus abouti que le sien », confie Nicolas Altmayer qui, avec son frère, n’aura pas eu trop de mal à séduire le réalisateur et l’acteur. « J’ai rarement lu de
« REFAIRE UN VIDOCQ N’ÉTAIT ENVISAGEABLE QU’AVEC VINCENT CASSEL. » NICOLAS ALTMAYER
scénarios aussi structurés que celui d’Éric Besnard », assure, en effet, Jean-François Richet. Ce dernier, les Altmayer vont le découvrir lors de leur premier rendez-vous, nourrit une véritable passion pour la période de la Révolution et de l’Empire. Une aubaine. Crédité comme adaptateur, Richet va s’approprier le projet sans en modifier l’arc narratif d’origine (le pitch demeure : sous l’Empire, un bagnard devient chef de la police). « J’ai proposé d’introduire des éléments de contexte historique et du réalisme qui n’étaient pas présents, précise le cinéaste. Je souhaitais aussi que chaque personnage soit écrasé par un autre, à l’image des poupées russes. Vous avez beau vous extirper d’un carcan, vous vous retrouverez aussitôt dans un autre car il y a toujours quelqu’un pour vous dominer. »
Rationaliser sans tricher
La première version du scénario de Besnard revu par Richet est estimée à 32 millions d’euros. Un budget déraisonnable pour Mandarin Cinéma, surtout dans le contexte actuel. « Entre le moment où Éric Besnard est venu nous voir pour relancer le projet et la fin de la préparation, deux ans se sont écoulés durant lesquels le système s’est un peu écroulé, témoigne Nicolas Altmayer. Les apports des télévisions ont notamment été divisés par deux depuis qu’on a fait Chocolat, en 2015. » Malgré le soutien actif de Canal+, France Télévisions et Gaumont, il faut réduire drastiquement le budget de dix millions, qui reste conséquent. « Indépendamment de la nécessité de couper des scènes ou d’en repenser d’autres, nous nous sommes engagés auprès de Jean-François à être justes du point de vue de la reconstitution », explique Éric Altmayer. Cette promesse s’accompagne de la construction, sur l’ancien terrain d’aviation de Brétigny-sur-Orge, d’un gigantesque studio à ciel ouvert, un backlot, qui doit accueillir un quartier entier de Paris, avec le mythique canal de Bièvre, une place de marché et les fameux pavés. « On ne marche pas de la même façon sur des pavés tels qu’on les posait sous l’Empire qu’aujourd’hui, s’emballe Jean-François Richet. Nous en avons trouvé d’époque qu’on a disposés à l’identique. Je voulais également montrer le monde du travail, comme les tanneurs qui étaient sur les rives de la Bièvre, la rivière qui traversait Paris. Pour convaincre les producteurs de la reconstituer pour une seule scène, je l’ai story-boardée. Un dessin vaut mieux que mille mots... Un tel film coûte cher, c’est vrai. Mais autant faire le voyage. Les professeurs d’histoire pourront le montrer à leurs élèves et dire : “Voilà... Paris c’était ça.” » « Jean-François s’est mobilisé sur le film pendant plus d’un an avec un peu d’incertitude quant au bouclage financier idéal, dit Nicolas Altmayer. Il n’était pas forcément habitué à ça mais s’est toujours montré
« IL Y A VINGT-DEUX ANS, UN TEL PROJET N’ÉTAIT PAS ATYPIQUE, ÇA L’EST DEVENU. » NICOLAS ALTMAYER
enthousiaste et patient. Au final, la longue période de préparation et de réécriture pour coller au budget sans sacrifier à l’artistique a permis à tout le monde d’aller dans le même sens. »
Quelle ambition ?
Avec sa reconstitution fastueuse, sa mise en scène classique et moderne à la fois, son casting à l’horizon très élargi (autour de Cassel, Patrick Chesnais en chef de la Sûreté, Fabrice Luchini en Fouché, Olga Kurylenko en baronne, plus August Diehl, Denis Lavant, Denis Ménochet...), L’Empereur de Paris assume un statut rare de blockbuster à la française, chargé de rivaliser en termes d’audience avec les comédies populaires qui vampirisent le cinéma hexagonal. « Il y a vingtdeux ans, un tel projet n’était pas atypique, ça l’est devenu, confirme Nicolas Altmayer. C’est dommage d’avoir perdu cette tradition du grand film patrimonial que L’Empereur de Paris se propose de remettre au goût du jour. Notre souhait est de convaincre les jeunes, dont l’éducation cinématographique passe essentiellement par les Marvel, d’aller voir autre chose. » Attirer les jeunes, mais aussi les cinéphiles et le public du samedi soir, tel est l’enjeu du film qui devra rassembler au moins deux millions de spectateurs pour rentrer dans ses frais, enclencher une suite et provoquer une dynamique positive. « Je mesure ma chance d’avoir participé à un projet d’une telle envergure, conclut Jean-François Richet. La première fois que je suis arrivé sur le décor, j’ai embrassé les pavés. Parce que je sais que si le film ne marche pas à la hauteur de ce qu’on espère, ce sera sans doute le dernier de son genre. »