Première

Lin-Manuel Miranda Super Quali

- u PAR SYLVESTRE PICARD

Après avoir coécrit pour Disney la bande originale de Vaiana, la légende du bout du monde, Lin-Manuel Miranda – auteur, compositeu­r et interprète de Hamilton, qui a enflammé Broadway en 2015 – a rangé sa plume. Le voilà dans les guêtres de Jack, allumeur de réverbères prolo et compagnon de Mary Poppins.

PREMIÈRE : On a été surpris de voir que vous n’aviez pas été recruté sur Le Retour de Mary Poppins pour écrire de nouvelles chansons. LIN-MANUEL MIRANDA : Mais pour moi c’était un bonheur d’interpréte­r les mélodies de Marc Shaiman et Scott Wittman, je suis fan de leur travail depuis si longtemps. J’ai assisté au filage de Hairspray le jour de mon diplôme, et ça m’a marqué à vie ! Comment définiriez-vous leur musique, comparée à celle des frères Sherman, auteurs des chansons du premier Mary Poppins ? Je crois que Good Morning Baltimore de Hairspray résume bien leur créativité, avec ce départ à la Be My Baby. (Il claque des mains en rythme.) Ils prennent quelque chose qui résume l’époque, et le mettent à leur sauce. Ce qu’ils ont fait pour South Park, le film est un autre tour de force. Chaque chanson est une parodie parfaite

d’un passage de comédie musicale classique, et en même temps, c’est génial en soi. Quand on leur a proposé Le Retour de Mary Poppins, ils sont devenus dingues parce que ce sont les plus gros fans des Sherman sur terre ! Marc Shaiman m’a dit : « J’ai passé ma carrière à copier les Sherman et maintenant j’ai le droit de le faire officielle­ment ! » (Rires.) Leur partition est une conversati­on avec l’original. Elle aurait pu être écrite le lendemain de la sortie du film. Du coup, n’être qu’un « simple » acteur dans Le Retour de Mary Poppins ne vous a pas trop frustré ? Non, au contraire : je savais parfaiteme­nt où j’allais, ce que je devais faire, avec qui tourner : des grands noms comme Emily Blunt et Rob Marshall ! Quand vous créez une comédie musicale à Broadway, vous assumez toute la responsabi­lité du projet. Et vous ne pouvez jamais prévoir si ça va être un succès ou un échec. En tant qu’acteur, j’ai moins de contrôle. C’est autre chose. On sent que vous aimez la comédie. On vous a vu en 2017 dans la série Curb Your Enthusiasm où vous jouiez votre propre rôle, mais vous vous battiez avec Larry David pour savoir qui avait le plus gros ego... Ah ah, oui, c’était vraiment ça ! C’était génial d’avoir Larry David au téléphone vous pitchant toute la saison. (Il imite Larry David.) « Heyyyyy, alors voilà tout ce qui va se passer... » Il fallait que je sois à sa hauteur. J’ai décidé de la jouer hyper naïf, de le contredire tout le temps avec le sourire aux lèvres. Sans jamais l’écouter. Ça le rendait dingue, complèteme­nt dingue. Pour revenir au film, vous comparez Le Retour de Mary Poppins aux musicals MGM de la grande époque, des films d’évasion, des comédies fantastiqu­es. Mais votre Hamilton résonnait très fortement avec notre époque. Vous pensez qu’on a besoin d’évasion aujourd’hui ou au contraire qu’il faut se reconnecte­r au réel ? Bonne question. Je crois que chaque artiste doit suivre son inspiratio­n. Je suis tombé amoureux de la biographie d’Alexander Hamilton et j’ai découvert qu’il y avait un excellent sujet pour une origin story. Un soldat qui devient politicien, une carrière qui raconte en parallèle la fondation des États-Unis, le passage de la colonie à la fédération... Tout était là ! Ma seule « illuminati­on », si vous voulez, c’est d’avoir senti une structure dramatique dans ce destin. Chez nous, en 2018, on doit encore encaisser l’héritage de l’esclavage ou la violence des armes à feu. Il y a tout ça dans Hamilton. Le passé est encore présent. Comme les films Disney : on les voit enfant et ils nous accompagne­nt toute notre vie... Absolument. Et tous les Disney sont des comédies musicales. Le premier que j’ai vu, je crois que c’est Oliver & Compagnie, avec la chanson de Billy Joel. Je suis un gamin des années 80, c’est normal. C’était un film important pour moi : « Il y a un chihuahua qui parle comme mon tonton ! » Mais la première vraie claque, ce fut La Petite Sirène. J’ai fait croire que j’étais malade le jour de la sortie de la VHS pour pouvoir rester le regarder à la maison. On a parlé de vous pour la réalisatio­n de la version live de La Petite Sirène. Info ou intox ? J’ai été approché par Disney, c’est vrai. Mais c’était plus pour un rôle de producteur : définir un nouvel univers, une nouvelle musique et imaginer de nouvelles paroles pour les chansons du film... Si la musique est d’Alan Menken, j’écrirai volontiers les lyrics ! Sous l’océan est incroyable­ment moderne, surtout pour du Disney. Réaliser La Petite Sirène en live action est un défi inouï d’un point de vue technique – surtout pour faire croire qu’on est sous l’eau. Je ne sais pas si ça va se faire. On verra. Au fond, il y a toujours une relation musicale entre les films Disney et nous. Tout à fait. Et la musique est la première chose qui me vient à l’esprit. Ça m’a construit en tant que compositeu­r. Si je devais choisir mon personnage préféré de La Petite Sirène, ce serait Sébastien le crabe : un compositeu­r. Comme par hasard.

LE RETOUR DE MARY POPPINS

De Rob Marshall • Avec Emily Blunt, Lin-Manuel Miranda, Ben Whishaw... • Durée 2 h 04

• Sortie 19 décembre

« LA PARTITION MUSICALE DU FILM EST UNE CONVERSATI­ON AVEC L’ORIGINAL. » LIN-MANUEL MIRANDA

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