SÉLECTION SÉRIES
Deuxième round au royaume des putes, des macs et du porno new-yorkais. Plus que jamais, The Deuce est LA série emblématique de l’ère #MeToo.
The Deuce – Saison 2 ; L’Amie prodigieuse ; Papa ou maman ; HP
Avec The Deuce, tout est affaire de timing. Initialement, le lancement de la série le 25 août 2017 sur HBO semblait commenter à chaud le triomphe, sur la même chaîne, des robots aux seins nus de Westworld. Avec sa petite fresque anti capitaliste sur l’avènement du porno et de la commercialisation sauvage des corps, le créateur showrunner David Simon dynamitait avec une certaine ironie la politique « tous à poil » de son employeur (il persévère cette année dans une scène mentionnant « une version X du film Westworld où les robots sont des esclaves sexuels »). Mais en août 2017, six mois après l’investiture de Donald Trump et la marche historique de centaines de milliers de femmes à Washington, personne n’était vraiment d’humeur pour une série dramatique (même de bon goût, même socialement engagée) sur la marchandisation et l’exploitation du corps féminin. De fait, peu de gens ont suivi les premiers pas de The Deuce... Et l’ouragan #MeToo déferla, sans crier gare. Le 5 octobre, quand l’article du New York Times sur l’affaire Weinstein mit le feu aux poudres, la série diffusait son cinquième épisode. Le monde s’ouvrait en deux et The Deuce, tout à coup, avait des choses à dire. Au milieu d’un grand débat sur le harcèlement sexuel et le patriarcat (dont Hollywood devient l’épicentre), une série télé pragmatique aborde le problème sous un angle purement économique, quasi anthropologique : voici dans quel sens coule l’argent, et voilà comment les femmes, dans l’industrie du sexe comme dans celle du divertissement (une différence ?), se protègent et survivent tout en bas de l’échelle. En avance de quelques semaines sur l’actualité, The Deuce – saga minimaliste sur des putes et leurs macs dans le New York des 70s – s’en faisait maintenant l’écho.
GAUCHISTES AU SANG CHAUD. Rien de très accidentel là-dedans. Dirigée par des gauchistes au sang chaud (David Simon et George Pelecanos), portée par sa star productrice Maggie Gyllenhaal et tournée pour plus de la moitié par des réalisatrices, The Deuce est une série féministe par essence. En janvier 2018, pourtant, nouveau rebondissement : James Franco, star masculine du show (dans le double rôle des jumeaux Martino) est visé par une affaire de harcèlement. HBO, déjà bien engagée dans la production de la saison 2, doit faire un choix : se passer de Franco, au risque de compromettre le travail de toute l’équipe, ou continuer avec lui. FX avait eu beaucoup moins de scrupules en se débarrassant de Louis C. K. dès la première plainte... Après s’être assurés du soutien de l’équipe, Simon et Gyllenhaal décident qu’il est plus important que jamais d’inclure Franco dans le débat. « Au contraire, ce serait ridicule qu’il ne le fasse pas », tranche l’actrice dans un communiqué. Et donc, il est là, avec une mauvaise perruque seventies, témoin complice et impuissant du trafic d’enveloppes, de toute évidence pas préparé pour ce qui va suivre, comme toutes les autres âmes errantes de la 42e rue. Il ne joue pas un pauvre gars inadapté, anachronique et dépassé par les événements ; il en joue deux. Une drôle de performance miroir.
PORTÉE PAR SA STAR PRODUCTRICE, TOURNÉE POUR MOITIÉ PAR DES RÉALISATRICES, THE DEUCE EST FÉMINISTE PAR ESSENCE
CLIQUETIS DES PEEP-SHOWS. The Deuce 2 est tellement « méta » qu’on se demande si elle n’a pas accès à notre compte Twitter. Hollywood, sous haute surveillance
médiatique, cherche le moyen de renforcer sa main-d’oeuvre féminine mais la série, elle, a déjà sauté le pas : sept des neuf épisodes sont réalisés par des femmes (Franco, qui en a signé deux l’an dernier, s’est abstenu). C’est d’ailleurs le fil rouge dramatique de la saison. Acceptée dans la communauté du X new-yorkais, Eileen/Candy ( Maggie Gyllenhaal) réalise un porno chic freudien (Red Hot, variante du Petit Chaperon Rouge) qui lui offre sa petite heure de gloire. Elle devient une pionnière du genre, un exemple pour toutes les cinéastes qui rêvent de percer... Elle réussit presque à s’en convaincre, jusqu’à ce qu’un producteur sans tact reconnaisse l’unique valeur marketing de son nom sur l’affiche : « Ça arrondit les angles, c’est bien pour le côté féministe. » Dans sa rhétorique constante sur l’art et le cochon, la série se parle aussi à elle-même... Le timing n’est jamais tout à fait le bon pour les habitants de The Deuce. Et ceux qui restent n’ont déjà plus beaucoup de temps. Les filles semblent trouver une forme de rédemption à l’issue de la saison (Candy sort son film, Lori part à L.A.), mais le cliquetis des peep-shows et les moteurs des caméras ne resteront pas longtemps silencieux. Le business du cul n’attend pas, et tous seront avalés, d’une manière ou d’une autre, dans la marche inexorable du monde. Qui sera lésé ? Qui tirera profit ? Et qui payera le prix fort ? Rendez-vous au milieu des années 80, en plein apogée porno à Times Square, pour l’ultime et dernière saison. Quand ce sera l’heure des comptes.