BANC D’ESSAI
Peter Dinklage est inouï dans My Dinner with Hervé, récit de la dernière interview donnée en 1993 par l’acteur Hervé Villechaize quelques jours avant son suicide. Un téléfilm HBO de haute volée.
My Dinner with Hervé
En 1993, le journaliste Sacha Gervasi reçoit une assignation des plus étranges : partir à Los Angeles interviewer le comédien Hervé Villechaize, disparu des écrans depuis plus de dix ans. Connu pour son rôle de méchant dans L’Homme au pistolet d’or et pour la série à succès L’Île fantastique (avec Ricardo Montalbán), Villechaize n’est guère plus qu’une curiosité rétro. Le papier commandé à Gervasi est un portrait façon « Que sont-ils devenus ? » pour faire le tri des rumeurs tabloïd qui circulent encore à son sujet. Et parce qu’il ne mise pas gros sur le résultat, Gervasi prend soin de prévoir d’autres interviews sur place pour être sûr de rentabiliser son voyage.
Hervé Villechaize arrive avec deux heures de retard au rendez-vous, dans une limousine blanche dont il n’occupe qu’un dixième de la banquette. Gervasi découvre un petit homme malicieux et grisonnant, férocement drôle, piochant régulièrement dans un attaché-case rempli de pilules, de joints et d’objets contondants. Après une demi-heure d’anecdotes réglementaires, et tandis que Sacha s’excuse pour se rendre à sa prochaine interview, Villechaize, furieux, bondit par-dessus la table et lui colle un poignard sous la gorge : « Now I’ve told you all ze bullshit, what about ze truth ? » Craignant pour sa vie, mais intrigué par la vulnérabilité du personnage, Gervasi accepte de le revoir à trois reprises. De stripclubs en chambres d’hôtel dévastées, leur périple haut perché à L.A. fait naître une amitié incongrue entre les deux hommes et devient une sorte d’exutoire pour Hervé. Il déballe tout : l’enfance ostracisée à Paris, les séjours en hôpitaux, l’exil à New York, le succès, les drogues, les femmes, la haine de soi, l’autodestruction... Gervasi retourne à Londres bosser sur son article. Il est en plein dérush quand il reçoit la nouvelle de la mort de l’acteur : celui-ci s’est tiré une balle dans la tête.
Dream project
Plutôt qu’un article de presse, My Dinner with Hervé devient un scénario de film, que Gervasi gardera sous le coude pendant plus de vingt ans, le temps de se forger une carrière de réalisateur à Hollywood. On lui doit notamment le fabuleux Anvil : The Story of Anvil, « rockumentaire » sensible sur deux vieux pionniers oubliés du metal, amis de Sacha, où l’ex-journaliste mêle (déjà) son propre destin à l’histoire qu’il raconte... My Dinner with Hervé découle en partie du succès phénoménal de Game of Thrones, qui oblige HBO, après des années de tergiversations, à l’offrir en cadeau à sa star Peter Dinklage, dont c’est devenu le dream project. Le film est une dramatisation forcée des événements décrits plus haut. Une épopée de grandeur (!) et décadence, condensée en une folle nuit de vadrouille dans la vallée, où Gervasi se donne le rôle du con (mais la gueule sexy de Jamie Dornan) et où Villechaize brandit des flingues, casse des meubles et se mesure la bite avec Montalbán (Andy Garcia, hilarant). Comme Anvil, dont il est le film jumeau, My Dinner with Hervé se conclut sur un vrai Polaroid du jeune Gervasi posant avec son sujet... La métamorphose de Dinklage en magic dwarf suicidaire transcende l’enveloppe « biopic télé » pour atteindre une forme de poésie lunaire. Fellinienne. MY D INNER WITH HERVÉ De Sacha Gervasi • Avec Peter Dinklage, Jamie Dornan, Andy Garcia... • Durée 1 h 50 • Sur Orange prochainement
SACHA GERVASI A GARDÉ SON SCÉNARIO SOUS LE COUDE PENDANT PLUS DE VINGT ANS