Première

; Shirkers

Les 90s, paradis perdu ? Qu’est-ce qu’un voleur de rêves ? Et pourquoi faire des films ? Les réponses sont dans Shirkers, à voir d’urgence sur Netflix.

- BENJAMIN ROZOVAS

Dans un monde alternatif, Shirkers est ce petit road-movie singapouri­en réalisé en 1992 par une bande d’ados exaltés, constammen­t cité en exemple aux côtés de pépites grunge telles que Clerks ou Slacker pour décrire l’envol du jeune cinéma indé de l’époque. Découvert à Cannes, il propulsa sa scénariste Sandi Tan (geek asociale de 18 ans, fan de Lynch et Jarmusch) à l’avant-garde de ce qu’on appela le nouveau cinéma malaisien... On ne le saura jamais vraiment, mais voilà ce qui aurait pu se passer. La réalité est plus dingue : Sandi et ses copines ont bien mis leurs tripes, leur argent et leur jeunesse dans une rêverie itinérante sur les trottoirs et les sentiers de Singapour (une île qui se parcourt en à peine quarante minutes), mais le seul adulte admis dans l’aventure, un homme blanc lunatique d’un certain âge prénommé George, accessoire­ment réalisateu­r du film, s’est tiré à l’autre bout du monde avec l’intégralit­é des bobines, faisant de Shirkers un mythe local et une blessure immense. Symbolique­ment amputée de sa jeunesse et de ses rêves, Sandi consacra les vingt années suivantes à se reconstrui­re en sens inverse (critique de films, puis étudiante en cinéma). Jusqu’à ce que la mort inattendue de George réveille le fantôme de Shirkers... Coloré, tripal, assemblé dans l’esprit collage et fanzineux de l’époque, ce Shirkers- là (avec des morceaux muets du Shirkers original, George ayant perdu l’audio) est un essai cathartiqu­e sur la mémoire où le cinéma joue le rôle de grand témoin. L’histoire de quelques filles enfermées à l’intérieur d’une image, qui réussissen­t enfin à se projeter le film entier. Un truc inouï.

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