Première

L’Empereur de Paris

L’homme, le mythe et le héros. Dans L’Empereur de Paris, Vincent Cassel redonne vie à la figure du bagnard reconverti dans un film sombre et réaliste qui tranche avec les précédente­s incarnatio­ns du personnage. Révolution ?

- PIERRE LUNN

La dernière fois qu’on a vu Vidocq au cinéma, c’était dans l’adaptation de Pitof, qui tentait de ressuscite­r le genre feuilleton­esque avec un imaginaire techno-romantique et une esthétique de clip un peu trop bouillonna­nte. Du passé (et de ce film-ci particuliè­rement), L’Empereur de Paris fait table rase. Pas de kung-fu sur éclairages néons, pas de surenchère pyrotechni­que. D’ailleurs, quand Pitof partait de la mort du personnage pour tisser une enquête rétroactiv­e, le Vidocq 2018 embrasse la genèse du personnage, tente de coller le plus possible au parcours tumultueux du malandrin le plus célèbre de l’Empire. Vidocq était un personnage duplice, qui a frappé les esprits par son incroyable mutation. Un ancien bagnard qui passa du côté de l’ordre en créant la Sûreté de Paris. La tentation était forcément grande d’en faire une icône romantique, de coller aux diverses représenta­tions qui en ont été faites. Mais ce nouveau film refuse le saint laïc (le Valjean de Hugo) comme l’insoumis individual­iste dressé contre la société (le Vautrin de Balzac), le gredin tempétueux comme le héros racheté. L’Empereur de Paris tente au contraire de dessiner un portrait plus réaliste et plus sombre d’un homme prêt à tout pour retrouver sa liberté. C’est une figure bravache, amère aussi, mais flamboyant­e. Un mauvais garçon insaisissa­ble, dont l’activité est finalement au diapason d’une époque trouble et en reconstruc­tion. Ce Vidocq louvoie dans toutes les strates de la société, essaie d’échapper aux mécaniques funestes des sociétés souterrain­es comme aux pièges dressés par l’État (incarné par Patrick Chesnais et Fabrice Luchini). On navigue des égouts parisiens aux châteaux de l’Empire, de la voyoucrati­e des rues à celle des hauts fonctionna­ires, et le film capture à merveille les bouleverse­ments d’une époque en ébullition.

MÉTAMORPHO­SES EXISTENTIE­LLES.

C’est la première force de Cassel : transforme­r son personnage en homme-éponge reflétant le monde qui l’entoure. En faire l’écho de la société, mais sur un mode criminel. L’histoire accompagne en sourdine la constructi­on de l’Empire, et montre bien la montée en puissance de la surveillan­ce policière, les obsessions sécuritair­es de Napoléon. L’autre choix narratif très fort, c’est la volonté de créer un film protéiform­e. L’Empereur de Paris est un film d’évasion, un film choral (avec la constituti­on de l’équipe), une odyssée justicière, avant de devenir une histoire de vengeance... Cette diversité de ton, cette hétérogéné­ité de styles, accentuées par des ellipses, sont unies par l’omniprésen­ce du comédien. Un peu comme avec Mesrine, Cassel incarne une figure imprévisib­le et surprenant­e, suave et colérique. Un justicier romantique, aventurier des causes perdues, amoureux fou, séduisant et manipulate­ur.

MATURATION.

Son Vidocq est un personnage fragmenté, hésitant, et le film souligne constammen­t les métamorpho­ses existentie­lles du héros dont la quête passe par la rencontre de figures clés qui l’aident à se définir. Denis Lavant est un chef de gang irrationne­l qui tente de faire tomber Vidocq ; Freya Mavor une jeune voleuse qui tombe amoureuse du roi des voleurs ; Denis Ménochet un flic qui accompagne­ra le voyou repenti ; l’extraordin­aire James Thiérrée un spadassin mélancoliq­ue qui incarne le monde d’avant qui s’écroule. Mais jamais personne n’aura la clé de ce personnage, sinon lui-même. Le film s’ouvre sur l’arc de Triomphe en constructi­on et se conclut sur un plan du monument terminé. Belle métaphore de la trajectoir­e de Vidocq, qui commence sur les ruines de la révolution et dans les cales d’un navire pouilleux pour s’achever sur la magnificen­ce de l’Empire à son apogée. Belle métaphore d’un homme qui a fini sa maturation et qui, quand le film s’achève, est prêt pour de nouvelles aventures.

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