À la poursuite d’Octobre rouge
Avant de perdre gentiment la boussole, John McTiernan poursuivait une idée noble et classique de grand cinéma américain. Jamais il ne s’en est approché aussi près que dans À la poursuite d’Octobre rouge, à la splendeur enfin retrouvée en 4K.
Vers la fin d’À la poursuite d’Octobre rouge, Jack Ryan/ Alec Baldwin a une scène d’action contre un méchant dans les coursives du sous-marin. C’est la seule mini fausse note du film, le seul petit bémol, qui dure, allez, trois minutes max tout compris, et poursuit essentiellement deux objectifs : rajouter un flingue dans les mains du héros pour les besoins de la bande-annonce (nous sommes en 1990, deux ans après que la doublette Predator/ Piège de cristal a fait de John McTiernan un cador du cinéma d’action des années 80). Et prouver (par l’absurde) à quel point McTiernan avait eu raison de choisir l’approche exactement inverse, cérébrale, pour la première adaptation des romans de Tom Clancy à l’écran. Toutes celles qui ont suivi se sont d’ailleurs échinées à flanquer un flingue dans les mains du personnage de Jack Ryan à la moindre occasion, qu’il soit joué par Harrison Ford, Ben Affleck, Chris Pine ou John Krasinski. On a vu ce que ça a donné. Bref, Octobre rouge n’était pas un film d’action, mais un jeu d’échecs, volontairement lent, assourdi, monumental, davantage influencé par le grand romancier d’aventures maritimes Patrick O’Brian (l’auteur des livres dont est tiré Master and Commander) que par le cinéma reaganien post- Rambo 2. Une grosse baleine majestueuse transformée en blockbuster implacable en dépit du (ou grâce au) raffinement classique de ses choix artistiques, violemment contestés par la critique d’alors, qui trouvait qu’il ne se passait rien de bien palpitant à l’écran. Le public, lui, fit un triomphe au film et on aimerait bien, parfois, être de nouveau en 1990 pour revivre un truc pareil.
INTELLO. À l’époque, tout était plus clair. Il y avait deux sortes de fans de Predator et de Piège de cristal : ceux qui aimaient L’Arme fatale (l’axe Joel Silver/Shane Black) et ceux qui aimaient Octobre rouge (l’axe McT). Et non, ce n’était pas les mêmes personnes. Aujourd’hui, bien sûr, tout le monde est réuni dans la même nostalgie pour les bons films d’antan bien restaurés, et Octobre rouge est reconnu comme un classique en or massif, voire comme le maître et commandant du film de sous-marin, genre bien-aimé qui nous aura souvent donné de grandes déceptions ( K-19, au hasard), mais aussi des soirées magnifiques entre amis à discuter des mérites respectifs d’Octobre rouge et d’USS Alabama, réalisé cinq ans plus tard par Tony Scott. À quoi tenait le tour de magie ? Aux chants russes et aux gravures maritimes du générique, à la décision de McTiernan de refuser de tourner un prologue « où Jack Ryan faisait une course de moto, histoire de montrer que c’était un vrai dur » et de choisir au contraire d’en faire un expert passionné de batailles navales, un intello de la guerre froide, bref, tout le contraire d’un type de terrain avec un flingue dans la main. Il ne se passe peut-être rien de bien palpitant à l’écran (n’importe quoi, en fait) dans Octobre rouge, mais on peut y admirer des personnages fabuleux et une idée absolument grandiose : ce n’est pas Alec Baldwin/Jack Ryan qui réussit à deviner les intentions de Sean Connery/ Marko Ramius de passer à l’Ouest, mais bel et bien ce dernier qui parvient à les lui faire comprendre, en pariant sur le fait qu’il doit forcément y avoir quelqu’un de suffisamment clairvoyant et humaniste dans le camp d’en face. Sinon, à quoi bon vouloir quitter le sien ?
Avec une certaine tristesse, il faut constater que McTiernan n’a plus jamais maîtrisé de A à Z aucun de ses projets suivants, martyrisé qu’il a été par des producteurs pervers narcissiques qui l’ont amené à saborder sa carrière. Maintenant, si vous tenez vraiment à déterminer lequel est le meilleur entre USS Alabama et Octobre rouge, cette réédition 4K permet sans doute de trancher : le monde serait clairement moins fun sans USS Alabama. Mais sans Octobre rouge, il serait beaucoup moins beau.