Première

INTERVIEW EXPRESS

L’arrivée d’un bébé nous plonge dans les méandres d’une mémoire familiale. Dans le magnifique Miraï, ma petite soeur, Mamoru Hosoda saisit parfaiteme­nt le moment où deux univers, l’un réaliste et l’autre fantastiqu­e, se confondent.

- PAR SYLVESTRE PICARD

Mamoru Hosoda

PREMIÈRE : Miraï, ma petite soeur donne l’impression qu’il y a plusieurs films en un seul : comédie familiale, aventure fantastiqu­e, chronique réaliste...

MAMORU HOSODA : Oui, parce que d’habitude, je compose toujours mes films en trois chapitres. Ici, j’ai ajouté des sous-chapitres, et une chose en entraînant une autre... C’est une première pour moi. En fait, j’ai essayé de donner une structure véritablem­ent solide au film, en écrivant un « épisode » par membre de la famille. Le père, la mère, le chien, le fils, Miraï... C’est donc plus riche que d’habitude. Mais si vous n’avez pas vu cette « structure », c’est parce que je voulais vraiment m’intéresser à des détails du quotidien. Justement, dans le cinéma d’animation, on est moins habitué au réalisme et à la vie quotidienn­e. Quand on regarde l’histoire du cinéma japonais, il y a une sorte d’école de la vie quotidienn­e. On ne peut ignorer le cinéma de Yasujiro Ozu, qui m’a énormément influencé pour Miraï, ma petite soeur. Je regarde ses films régulièrem­ent. Dans la vie, les détails du quotidien sont des événements extrêmemen­t fugitifs. Je voulais les graver dans un film avant de les oublier, pour pouvoir m’en souvenir plus tard. Maintenant, j’ai deux enfants ; j’ai commencé à travailler sur Miraï à la naissance de ma fille aînée, qui m’a servi de modèle. Il y a un passage très émouvant sur l’histoire du grand- père, blessé pendant la Seconde Guerre mondiale. Est- ce une histoire vraie ? Oui, en partie. L’arrière-grand-père de ma femme a vraiment vécu à Yokohama, près de la mer. Il fabriquait des moteurs pour les avions de guerre de l’armée impériale. Recruté dans la marine, il a été blessé en mer, mais il a survécu. Par contre, l’épisode de l’apprentiss­age du vélo est une pure invention : je l’ai écrit car j’aurais aimé apprendre quelque chose à travers la vie de mon propre aïeul. J’ai donc mélangé la réalité et l’imaginaire.

On pense évidemment à Isao Takahata, un réalisateu­r qui savait mélanger le conte, la fantasmago­rie et le réalisme au sein du studio Ghibli. Quelle influence a-t-il eu sur vous ? C’est un réalisateu­r pour lequel j’ai le plus

grand respect. En 1979, je regardais sa série Anne, la maison aux pignons verts, à la télé japonaise [la série est sortie en France en 2008, en DVD]. C’est un classique de la littératur­e jeunesse qui a été beaucoup adapté, y compris au cinéma. La version de Takahata est extraordin­aire parce qu’elle ne reste pas focalisée sur le point de vue d’Anne comme les versions précédente­s, elle s’en détache, survole tout avec beaucoup d’humour et d’idées visuelles, avec des détails d’une justesse incroyable. J’ai vraiment appris l’animation en regardant cet anime : comment raconter une histoire sans véritable ancrage spectacula­ire. Et surtout comment illustrer le quotidien avec minutie et émotion. Cette série est à mon avis supérieure au livre original. C’est un modèle d’adaptation. Le décès de Takahata m’a beaucoup attristé.

Lui avez-vous montré le travail préparatoi­re sur Miraï ?

Non, je crois qu’il n’en a rien vu. Mais des membres de mon équipe travaillai­ent également avec lui en parallèle, et peut- être qu’à travers eux, Takahata savait ce que je faisais. Je ne serais pas spontanéme­nt allé le voir pour lui montrer des dessins, ou même une bande-annonce. Je n’aurais jamais osé. Il allait découvrir les films au cinéma, de son plein gré. Aujourd’hui, évidemment, je regrette de ne lui avoir rien montré. J’aurais dû, peut- être...

La devise de Studio Chizu, le studio d’animation que vous avez fondé, est « le plus petit studio du monde ». Qu’est- ce que cela signifie ?

C’est à la fois une question de productivi­té et de philosophi­e. Chizu ne produit qu’un seul film tous les trois ans, et nous n’acceptons jamais de film de commande pour de grands investisse­urs ou pour la télévision. Studio Chizu n’est absolument pas stable, économique­ment parlant. Je ne sais pas jusqu’à quand nous pourrons continuer ainsi, mais je ne crois pas que nous soyons très nombreux à avoir la chance d’oeuvrer dans ce genre de studio.

Vous avez beaucoup travaillé pour les séries télé animées. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Ouh là, beaucoup de choses... J’ai travaillé quatorze ans pour Tohei Animation qui faisait à la fois des films et des séries. Chaque épisode avait son propre réalisateu­r et, par conséquent, cela donnait l’impression de travailler sur de véritables petits films. J’ai ainsi pu réaliser plusieurs courts métrages au sein de la Tohei.

Un épisode a-t-il été plus marquant que les autres ?

(Rires.) Oui. Je me souviens d’un épisode de la série Magical Dorémi [les aventures d’une bande d’écolières apprenties sorcières, diffusées entre 1999 et 2004]. Juste avant, je faisais partie du studio Ghibli où je devais réaliser Le Château ambulant. Mais pour différente­s raisons, j’ai été renvoyé du projet. Je suis revenu chez Tohei, et j’ai réalisé cet épisode de Magical Dorémi en y mettant tout ce que j’aurais voulu faire dans Le Château ambulant.

Vous dites que Chizu fait « un film tous les trois ans ». Mais est-ce que vous préparez déjà votre prochain film ?

Vous savez, même les Japonais ont besoin de prendre des vacances ! Je comptais me reposer après la promotion de Miraï, mais à force de faire des interviews, d’écouter les journalist­es, des idées me sont venues pour mon prochain film... Certains d’entre vous venaient même me voir pour me dire ce que devrait être mon nouveau film ! Donc je cogite. Je sais à peu près vers quoi aller. Alors non, je ne vais pas prendre de vacances.

Les journalist­es vous donnent des conseils pour vos futurs films ?

Peut- être pas des conseils, mais ils me donnent des idées, ça c’est sûr. (Rires.) Ça peut paraître étonnant, mais répondre à des interviews me stimule énormément sur le plan créatif. MIRAÏ , MA PETITE SOEUR

De Mamoru Hosoda • Avec les voix en VO de Haru

Kuroki, Moka Kamishirai­shi... • Durée 1 h 38 • Sortie 26 décembre • Critique page 110

« LE CINÉMA D’OZU M’A ÉNORMÉMENT INFLUENCÉ POUR MIRAÏ, MA PETITE SOEUR. » MAMORU HOSODA

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France