Première

LETOP DESFILMS DESOUS-MARINS

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Le film place aussi les acteurs dans deux espaces différents : c’est l’affronteme­nt entre d’un côté le vieux

Titane très réduit, et de l’autre le nouvel Effroyable beaucoup plus moderne et spacieux...

Oui, et dès le départ je voulais un décor à l’échelle 1:1. On m’a dit que j’étais dingue. C’est tout petit un sous-marin, et c’est compliqué d’y faire passer les caméras. Alors le chef décorateur a conçu des décors coulissant­s pour qu’on puisse intégrer l’équipement. L’Effroyable, c’est un navire amiral avec 120 ou 130 membres d’équipage. Le Titane, c’est un bateau pirate. D’ailleurs, Omar [qui commande le Titane] porte un foulard rouge autour du cou comme un flibustier. Le monde des sous-mariniers est au fond un univers très particulie­r. Ce n’est pas l’armée. C’est un monde à part... À ce sujet, j’ai une anecdote que j’adore. Les sous-marins ont été inventés pendant la Première Guerre mondiale, et le gouverneme­nt anglais a déclaré les sous-mariniers allemands hors-laloi. Ils sont devenus des pirates, on pouvait les pendre haut et court en cas de capture. Alors par solidarité, les sous-mariniers anglais se sont déclarés eux-mêmes horsla-loi ! Et ils ont arboré le symbole de la tête de mort. Après la Seconde Guerre mondiale, le sous-marin français Casabianca qui a rallié l’Angleterre a reçu le drapeau pirate par ordre de la reine. Les histoires de sous-marins, ce sont toujours des histoires de dingues. Il y a la loyauté et la liberté, les gars restent coupés du monde pendant des semaines sous l’eau. Et cinématogr­aphiquemen­t, c’est surexcitan­t.

Il y a aussi la question du langage. Dès l’ouverture du film, l’équipage parle une langue incompréhe­nsible. « Torpille en 1-2-8 ! », « J’adopte ! »... C’était déjà le cas dans Quai d’Orsay : le héros était chargé du langage de la diplomatie...

J’aime voir les gens dans leur travail. Comment ils réfléchiss­ent, parlent, exercent leur métier. Il fallait conserver ce langage des sous-mariniers o par souci d’authentici­té. Il y au un côtéôémys té rieux,éimais,i paradoxale­ment, dlt on comprend quand même ce qu’ils disent.

Vous disiez que c’était un genre excitant, vous aviez des références ?

Il y a une centaine de films de sous-marins et je crois que je les ai tous vus. À peu près. (Rires.) Mon préféré reste Das Boot [ Le Bateau, Wolfgang Petersen, 1981], mais je

voulais surtout m’inspirer de la réalité et de mes propres expérience­s, plutôt que de la réinterpré­tation du réel par d’autres cinéastes. Il fallait que je m’approprie le matériau. Si on approche le film de sous-marin comme un genre, alors on risque de reproduire des clichés. Et les clichés nous sortent des films. Pendant toute la période créative – écriture, pré-production, tournage – je me suis interdit de voir un seul film de sous-marin.

Mais vous aviez conscience que c’est un des genres les plus cool du cinéma ? USS Alabama, À la poursuite d’Octobre rouge, Das Boot...

Bien sûr ! Et je trouvais d’autant plus dommage qu’il y ait si peu de films de sous-marin français. Je ne sais pas pourquoi... Mais pour moi Le Chant du loup n’est pas un film militaire, ni un film de guerre. Il n’y a pas d’armée dedans, en fait. Et ça n’a rien d’un film américain.

Comment avez-vous travaillé avec l’armée ?

Très simplement, très normalemen­t : tu as besoin d’un décor en situation, tu leur

« C’EST TOUT PETIT UN SOUS-MARIN, ET C’EST COMPLIQUÉ D’Y FAIRE PASSER LES CAMÉRAS. » ANTONIN BAUDRY

demandes et ils voient ce qu’ils peuvent faire. Mes producteur­s sont de fins diplomates et les sous-mariniers sont une famille à taille humaine. Une convention a été établie. Et puis j’ai noué des amitiés fortes avec des sous-mariniers, ça a sans doute aidé.

Et il n’y a pas eu de problèmes ?

Aucun : ce qui était important pour eux, c’était qu’on ne révèle pas de secrets qui les mettent en danger. Pas de souci de mon côté, car ce sont surtout des choses qui n’ont pas beaucoup d’intérêt cinématogr­aphique. Il y a eu une osmose entre les sous-mariniers et les membres de l’équipe du tournage. Ils sont pareils au fond. Ils sont très organisés, très réactifs sous la pression. Le plan le plus compliqué a été celui où le sous-marin jaillit de l’océan. Il devait plonger à toute vitesse à 70 mètres de profondeur pour pouvoir remonter à toute allure. On a filmé depuis un hélicoptèr­e. Le problème, c’est qu’une fois que le sous-marin a plongé, il s’écoule trois minutes avant la remontée et tu ne sais pas où va sortir l’engin. Tu n’as aucun repère. Donc tu cadres un peu au hasard, un peu par calcul... Et tu pries. La première prise a été loupée. Le sous-marin n’était même pas dans le cadre... Et on ne pouvait faire qu’une seule autre prise. Heureuseme­nt la deuxième était parfaite. Dans la vie quotidienn­e, les sous-marins ne remontent pas à la surface de façon aussi rapide, mais j’avais besoin qu’il jaillisse littéralem­ent de l’eau pour une scène d’action...

Le Chant du loup est un film d’action, mais c’est aussi un film très cérébral.

Cérébral ? Je ne sais pas. Tout se passe autour d’hypothèses et de calculs, mais c’est vraiment du domaine des réflexes, des instincts. On doit interpréte­r les signaux du monde pour agir très, très vite. Torpille sous l’Atlantique [1957], avec Robert Mitchum, qui montre l’affronteme­nt entre un U-boot et une frégate américaine est un film de sous-marin cérébral. Là il y a vraiment un aspect jeu d’échecs : tu fais ça ? Alors je fais ça. Tu bouges là ? Alors je bouge là.

C’est très ludique aussi.

J’adore les jeux de société. J’en ai même créé un [ La Course à l’Élysée, en 2012, illustré par Christophe Blain, le dessinateu­r de Quai d’Orsay]. J’ai beaucoup joué à Advanced Dungeons & Dragons quand j’étais jeune. (Rires.) L’idée du jeu m’intéresse beaucoup : comment prendre le réel pour le concentrer, en tirer une forme réduite mais essentiell­e... Un peu comme faire un film, en fait. Et surtout l’écrire.

Vous disiez être allé voir l’armée dans un deuxième temps. On vous a demandé des garanties ? Vous aviez des obligation­s de montrer certaines choses, par exemple ?

Non, absolument pas. On a tourné à Brest pour les scènes du port militaire, mais ils nous ont ouvert leurs portes sans chercher à contrôler quoi que ce soit. L’armée est déjà une institutio­n particuliè­re et les sousmarini­ers sont à part en son sein.

Dans les films américains, il y a toujours cette glorificat­ion de l’armée, alors que Le Chant du loup n’est pas une ode à la gloire des sous-marins...

C’est juste et c’est sans doute dû à mon écriture, à ma façon de voir les choses. C’est indispensa­ble de créer des personnage­s complexes pour comprendre ; je n’aurais pas pu coécrire Quai d’Orsay avec Bertrand Tavernier si je n’avais pas pu rentrer dans chaque personnage. Je ne mets pas mon expérience de diplomate à part. Je suis mes personnage­s. Tous. Même les seconds rôles. Je ne sais pas écrire des personnage­s de boucs émissaires ou de porte-paroles.

Le film s’ouvre sur une citation d’Aristote. Et chaque chapitre de votre BD Quai d’Orsay débutait par une citation d’un philosophe présocrati­que. Qu’est-ce que ça signifie ?

C’est ce qui me nourrit. C’est notre culture. Sans Héraclite et Aristote, on ne réfléchira­it pas comme maintenant.

On a l’impression que votre film est un prototype. Qu’il sort d’une époque où le cinéma populaire pouvait oser être expériment­al tout en restant fédérateur. On en revient à John McTiernan : il y a des séquences très osées dans Octobre rouge. Des choses qu’on ne voit plus du tout...

Ce n’est pas totalement vrai : il y a des choses incroyable­s dans Dunkerque, même si Christophe­r Nolan est un peu à part. Et Blade Runner 2049 [ Denis Villeneuve] est quasiment expériment­al. Après, je vois ce que vous voulez dire, on a l’impression que les films de superhéros se contentent de cocher des cases. Je n’ai pas suivi de structure pour Le Chant du loup. Rien de préétabli. Sinon je ne pourrais jamais écrire une ligne.

u«JE SUIS MES PERSONNAGE­S. TOUS. MÊME LES SECONDS RÔLES... » ANTONIN BAUDRY

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François Civil
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Mathieu Kassovitz et Omar Sy
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Le Chant du loup

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