Première

LA LÉGENDE DE JIMMY

Besoin d’aide pour mieux vous retrouver dans la filmo de James Caan ? Notre guide en quatre étapes.

- u PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

L’athlète cabossé

Dans sa jeunesse, ses copains de l’équipe de foot US l’avaient surnommé « Shoulders »

(« Épaules »). Et c’est vrai qu’on reconnaît d’abord James Caan à sa silhouette de quarterbac­k. Les rôles de sportif jalonnent son CV : coureur auto dans Ligne rouge 7000 (1965), footballeu­r dans Les Gens de la pluie (1969), champion de rollerball dans Rollerball (1975). Il a fait du karaté chez Sam Peckinpah (Tueur d’élite, 1975) aussi bien que chez Wes Anderson (Bottle Rocket, 1996). D’où l’ironie suprême de Misery (1990), qui montre l’un des acteurs les plus physiques de sa génération cloué au lit, impuissant.

Le dur à cuire

Sonny aimerait bien monter sur le trône de son Don Corleone de père. Sonny veut protéger son petit frère Michael (« Bada bing ! You blow their brains all over your nice Ivy League suit ! », sa réplique culte). Sonny tabasse Carlo Rizzi, qui a levé la main sur sa soeur…

Le Parrain (1972) est bien sûr le film emblématiq­ue de l’acteur, celui dont on lui parlera jusqu’à son dernier souffle, qui lui a valu la gloire et des années de typecastin­g en gangster au sang chaud. Caan remportera deux fois le prix de « l’Italien de l’année ». « Et je ne suis même pas italien ! », rigole l’intéressé, né dans une famille juive du Bronx.

L’antihéros seventies

Si Le Parrain est son « greatest hit », le chef- d’oeuvre solo de James Caan pourrait bien être Le Flambeur

(1974), réalisé par l’Anglais Karel Reisz sur un scénario de James Toback, qui raconte la dérive kamikaze d’un prof de littératur­e accro au jeu. Un sommet d’antihérois­me seventies, méchamment mélancoliq­ue. Caan retrouvera des accents similaires en perceur de coffres-forts en guerre contre la mafia dans Le Solitaire (1981), premier long de Michael Mann, qui fait le bilan des rumination­s existentie­lles de la décennie 70 pour mieux inventer l’esthétique des années 80.

Le patriarche

1987 : Caan tente un come-back (plutôt discret) dans Jardins de pierre, en militaire désabusé qui enterre les enfants de l’Oncle Sam tombés au Vietnam. Ce sera désormais son emploi : l’aîné, le vieux, le patriarche, le spectre du Nouvel Hollywood. Il le décline face à Mark Wahlberg ( The Yards), Schwarzy (L’Effaceur), Hugh Grant (Mickey les yeux bleus), Nicole Kidman (Dogville) ou à la télé

(la série Las Vegas)… C’est encore ce rôle qu’il tient dans Holy Lands, en vieux Juif américain parti élever des cochons en Israël pour défier Dieu. Son dos est un peu voûté, mais ses épaules toujours aussi carrées.

Dans quel état étiez-vous après le succès du Parrain ? Ça faisait quel effet à un jeune acteur de 30 ans d’être au générique du plus grand succès de tous les temps ?

Ce n’était pas désagréabl­e ! (Rires.) Le seul problème, c’est qu’après, je ne recevais plus que des scripts où il y avait déjà vingt types dessoudés avant la page 12. « Il faut buter quelqu’un ? Appelons Jimmy ! » (Rires.) J’ai chanté et dansé avec Barbra Streisand [ Funny Lady, 1975], mais tout le monde s’en foutait. Bon, le succès du Parrain, c’est surtout une question pour Al [Pacino]... Moi, j’avais déjà un peu de métier. Je jouais face à John Wayne et Robert Mitchum sous la directon de Hawks à 22 ou 23 ans [ El Dorado, 1967].

Vous êtes l’un des rares acteurs de votre génération à avoir fait la transition entre le Vieil et le Nouvel Hollywood…

Ah oui ? Hum. Intéressan­t. Un critique a dit un jour que j’ai réussi l’exploit de tourner dans un gros carton par décennie depuis les sixties. Bon, le dernier, c’était Elfe [Jon Favreau, 2003], ça commence à dater ! (Rires.)

Il paraît que vous avez failli en venir aux mains avec John Wayne pendant le tournage d’El Dorado, c’est vrai ?

Oui. C’est Mitchum qui nous a séparés. Wayne n’arrêtait pas de me chercher, d’essayer de m’intimider, il voulait voir ce que j’avais dans le ventre. Mais je ne me laissais pas faire et je crois que ça lui a plu. Tout ça s’est très bien terminé et je garde un excellent souvenir du tournage. Hawks était impayable, un vrai personnage de cartoon. Il organisait ces dîners incroyable­s tous les soirs. John Wayne avait fait venir le cuisinier de son yacht, on mangeait sous cette immense tente blanche plantée au milieu de notre petite ville western, avec ces putains de verres en cristal... Je n’en croyais pas mes yeux ! La première semaine de tournage, c’était juste Wayne et moi. J’avais débarqué avec l’énergie des jeunes acteurs, qui abordent tous les rôles comme s’ils jouaient Hamlet. Mais on m’a juste demandé de faire le truc le plus dur du monde pour un comédien : écouter son partenaire causer. Et Wayne avait quand même une diction très particuliè­re. (Il se met à l’imiter.) Du coup, je souriais tout le temps en l’écoutant, je ne pouvais pas m’en empêcher ! Mitchum s’est foutu de moi quand il a vu les rushs : « Hey, pourquoi tu souris tout le temps, Jiminy Cricket ? » – il m’appelait Jiminy Cricket. Et c’est vrai, revoyez le film : j’ai toujours ce sourire idiot. Et ce drôle de chapeau.

Avant El Dorado, Hawks vous avait choisi pour Ligne rouge 7000 (1965)…

Oui, mais ça, c’était horrible. Un ratage complet. Je suis le seul acteur du film à m’en être relevé !

Vous aviez des idoles de cinéma quand vous étiez jeune ?

Non, je m’en foutais complèteme­nt ! Mon truc, c’était le football. Je cherchais une échappatoi­re, tout faire pour ne pas travailler dans le commerce de la viande. Mon

parrain et mon grand-oncle possédaien­t une chambre froide, sur la 14e Rue. On se les gelait là-dedans, mais moins qu’au bord de l’East River, où on débarquait des carcasses de boeuf de 150 kilos par - 15° C. Je rêvais de faire autre chose de ma vie. Et il se trouve que j’ai toujours aimé faire le clown, faire marrer les copains. Encore aujourd’hui, d’ailleurs. Ma femme dit que je suis cinglé.

Mark Wahlberg adore Le Flambeur (Karel Reisz, 1974), l’un de vos plus beaux films. Vous avez vu le remake qu’il en a tiré ?

Mark est un ami. Un mec bien, vraiment intelligen­t. Il m’a appelé pour me demander l’autorisati­on de refaire Le Flambeur. Je lui ai dit : « L’autorisati­on ? Mais t’es con ou quoi ? Tu fais ce que tu veux ! » Bon... Il se trouve qu’il n’a pas vraiment compris le monde du jeu, ni ce sentiment dostoïevsk­ien que Karel Reisz essayait de faire passer, cette idée que 2 + 2 peuvent faire 5... Il m’a organisé une projection privée. Le genre de truc où tu es coincé. Si tu n’aimes pas, tu risques de te fâcher avec un copain. Si tu aimes, il va penser que tu dis ça pour être gentil...

Vieil Hollywood, Nouvel Hollywood, ces distinctio­ns avaient du sens pour vous à l’époque ?

Bof. C’est sûr que lorsqu’on tournait Les Gens de la pluie avec Coppola [1969], on sentait qu’un vent nouveau soufflait. C’était un road-movie qui se construisa­it sur la route, au fil de notre voyage. Une étude de l’émancipati­on de la femme au foyer américaine. On était une toute petite équipe, on voyageait en caravane, George Lucas était là aussi, tout jeunot... Mais c’est surtout aujourd’hui que Hollywood a changé, je trouve. Avant, les gens à la tête des studios aimaient vraiment le cinéma. Ils gagnaient leur vie grâce à ça. Désormais, pour eux, c’est secondaire, ça passe après les réfrigérat­eurs ou les téléphones ou je ne sais quoi. Ils ne sont pas dans le monde du cinéma, mais dans le monde des affaires. Et ils produisent des films avec des catcheurs qui jouent la comédie comme des savates.

Vous vous sentez comment au milieu de tout ça ?

Bah, une chose est sûre : je n’emballe plus la fille à la fin ! Je ne me bats pas non plus contre des animaux préhistori­ques géants. Et j’ai la nausée quand on m’accroche à un câble, alors... J’angoisse un peu pour mes enfants. J’ai quatre garçons, dont deux sont acteurs, et je sais qu’ils n’auront jamais les opportunit­és incroyable­s que j’ai eues. Bon, j’avoue que j’ai été gâté, j’ai eu droit au Parrain : le meilleur script, le meilleur réalisateu­r, les meilleurs partenaire­s. Le meilleur film, quoi ! J’avoue que je suis flatté quand des jeunes gars comme Mark [ Wahlberg] ou Leonardo [ DiCaprio] viennent me demander conseil, me témoigner leur admiration. J’ai essayé de faire le moins de mauvais films possible, même si parfois, il fallait bien faire bouillir la marmite. Aujourd’hui, je ne sais pas... Je viens d’une époque où les films avaient un début, un milieu et une fin.

« J’AI RÉUSSI L’EXPLOIT DE TOURNER DANS UN GROS CARTON PAR DÉCENNIE DEPUIS LES » SIXTIES. JAMES CAAN

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Le Flambeur de Karel Reisz (1974)
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de Howard Hawks (1967) El Dorado
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Holy Lands d’Amanda Sthers (2018)
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de Michael Mann (1981) Le Solitaire
 ??  ?? Ligne rouge 7000 Howard Hawks et James Caan sur le tournage de (1965)
Ligne rouge 7000 Howard Hawks et James Caan sur le tournage de (1965)

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