Première

INTERVIEW

Madame la Présidente

- PAR THIERRY CHEZE

Alexandra Lamy

Et si la girl next door de la comédie française changeait d’air ? En 2018, il y a d’abord eu Tout le monde debout, où, incroyable­ment filmée par Franck Dubosc, elle modulait son registre comique. Puis, quelques mois plus tard, nouvelle donne avec Le Poulain. Alors qu’elle endosse le rôle de présidente du Jury du festival de l’Alpe d’Huez, Alexandra Lamy revient sur sa trajectoir­e. PREMIÈRE : Depuis quand la comédie fait-elle partie de votre vie ? ALEXANDRA LAMY :

Je me souviens de soirées passées avec ma mère devant Au théâtre ce soir. J’étais une grande admiratric­e de Maria Pacôme. On est même montées à Paris la voir sur scène. Je l’avais croisée au restaurant juste après la pièce ; elle m’avait gratifié d’un « bonjour ». Vous n’imaginez pas le bonheur que cela avait représenté pour moi. Enfant, j’adorais la comédie. Pourtant, quand je suis arrivée au conservato­ire de Nîmes, cela n’a jamais été mon emploi. On ne me voyait pas comme une jeune première. On me proposait le rôle de la marquise de Merteuil plutôt que celui de madame de Tourvel. D’ailleurs, je n’arrêtais pas de saouler mon père en lui disant que je voulais rentrer à la ComédieFra­nçaise. Vous imaginez sa réaction quand il a découvert Un gars, une fille ! (Rires.)

C’était votre premier rôle comique ?

Oui, et j’avais d’ailleurs très peur de ce genre que je ne maîtrisais absolument pas. Je n’arrêtais pas de demander à Jean [Dujardin] comment être drôle. Aujourd’hui encore, malgré mon expérience, j’ai la trouille de la comédie.

Pourquoi ?

Parce qu’il n’y a rien de plus compliqué. Dans un drame, une situation horrible, même mal réalisée et mal écrite, peut vous absorber et vous faire oublier tout le reste, notamment les défauts. Dans une comédie, si le spectateur ne rit pas, c’est mort. Et puis, plus que dans n’importe quel autre genre, il faut sans cesse penser au film dans sa globalité. Dans Tout le monde debout, par exemple, mon rôle n’est pas très drôle. Je dois juste distribuer la comédie autour de moi. Si je fais trop rire, je casse l’équilibre du film et le mets en péril. Il faut trouver la juste place pour s’éclater, voire même en faire trop, mais en même temps bien repérer les moments où l’on doit redescendr­e. La moindre petite erreur dans cette modulation fout tout le film en l’air.

Du coup, c’est compliqué de choisir un scénario de comédie ?

Je me fie à mon instinct. Ce qui ne m’empêche pas de me planter. (Rires.)

Par exemple ?

Je ne vous donnerai pas de titre. (Sourire.) Mais à chaque fois que je fais un film raté, au fond de moi, je le savais dès le départ. Par exemple, quand on décide de travailler avec un grand réalisateu­r dont on admire le travail mais sur un scénario qu’on ne trouve pas bon. Aucun metteur en scène, aussi génial soit-il, ne peut faire de miracle. Mais bon, je vous dis ça, alors que j’ai vécu exactement l’inverse avec Bertrand Blier sur Convoi exceptionn­el.

Qu’est-ce qui fait sa spécificit­é ?

J’avais un monologue de deux pages à jouer face à Blier qui, quelques jours plus tôt, m’avait dit : « Tu sais pourquoi je t’ai choisie ? Parce que tu es une très grande comédienne et que tu ne le sais pas ! » (Rires.) Pas mal pour mettre la pression, non ? Dès que je suis arrivée sur le plateau, on s’est mis dans un petit coin et il m’a demandé de lui dire le texte doucement. Évidemment, j’ai savonné dès le troisième mot. J’ai repris et c’est là que j’ai vraiment mesuré l’immense directeur d’acteurs qu’il est. Bertrand a exactement le mot juste au bon moment pour obtenir ce qu’il veut. Il ne se perd pas dans un flot ininterrom­pu de phrases explicativ­es. Sa passion pour les acteurs ne s’est pas abîmée avec le temps. Il vous dirige à l’oreille presque autant qu’en vous regardant.

Convoi exceptionn­el appartient à une série de films récents (avec Tout le monde debout et Le Poulain) qui donnent l’impression que vous voulez varier les genres à l’intérieur même de la comédie.

Je prends garde à pratiquer différente­s formes d’humour pour ne lasser personne. Le Poulain n’a pas le même rythme que Tout le monde debout ni que mes films avec Éric Lavaine [ L’Embarras du choix, Retour chez ma mère]. J’ai d’ailleurs hésité à retravaill­er avec lui pour Chamboulto­ut [présenté hors compétitio­n à l’Alpe d’Huez] par peur de bégayer. J’ai finalement accepté parce que mon personnage n’y est pas très drôle et que je venais de tourner Belle-fille avec Miou-Miou où, à l’inverse, j’en faisais des caisses !

C’est intéressan­t, cette idée d’aller très loin dans le registre de l’humour. Mais ça peut être à double tranchant. Vous avez des garde-fous pour savoir où vous arrêter ?

Je bosse beaucoup sur le script et, avant chaque tournage, je sais exactement dans quelle scène je vais pouvoir pousser les curseurs et dans quelle autre redescendr­e. Mon scénario est annoté à la phrase près.

Sans jamais avoir peur du ridicule ?

La vraie barrière, c’est la sincérité. Avec ça, tu peux en faire des tonnes, ça fonctionne­ra toujours ! La comédie meurt quand on sent que l’acteur veut à tout prix faire rire. C’est pour ça que j’adore Jim Carrey. Sa scène où il se bat tout seul dans Fous d’Irène est un sommet. Il en fait des tonnes parce que la situation l’exige, mais on retrouve à chaque seconde cette sincérité qui lui donne une force comique inouïe. Ce mec est aussi dingue que génial.

Est-ce que l’étiquette d’actrice de comédie vous a freinée ?

Dès mon arrivée à Paris, j’ai ressenti cette obsession des étiquettes. Cette frontière a priori infranchis­sable entre théâtre privé et subvention­né. Entre cinéma et télé. Entre comédie et drame. Mais à un moment, j’en ai eu marre d’écouter tout le monde. Vous imaginez bien qu’après Un gars, une fille, on nous expliquait à longueur de temps à Jean et moi qu’on venait de faire la plus grosse connerie du monde. Que jamais on ne travailler­ait pour le cinéma. Au final, on est toujours là et Jean a même remporté un Oscar. À un moment, il faut surtout croire un peu en soi. Se persuader qu’on n’est pas si mauvaise que ça et que ça finira par payer ! (Rires.) Je ne suis ni une actrice de comédie, ni une actrice de drame. Juste une actrice.

Et vous n’en avez jamais douté ?

Disons que je m’en suis toujours bien sortie. Sauf peut-être à cette période où j’ai accompagné joyeusemen­t et avec fierté Jean aux Oscars. Durant cette période, j’ai eu quatre films à l’affiche et pas que des comédies. Mais c’est comme si rien de tout cela n’existait. On n’en a quasiment pas parlé. Bon... rien de grave. La roue tourne.

Qu’est-ce qui a permis ce retourneme­nt ?

Une pièce de théâtre, La Vénus au phacochère, avec laquelle j’ai fait une énorme tournée en province avec un retour du public extrêmemen­t fort, suivie par Une chance de trop, la série de Harlan Coben pour TF1.

« LA COMÉDIE MEURT QUAND ON SENT QUE L’ACTEUR VEUT À TOUT PRIX FAIRE RIRE. » ALEXANDRA LAMY

Vous reveniez à la télé des années après l’avoir quittée et fait carrière au cinéma. C’était risqué ?

Je n’avais aucun a priori. Au contraire, j’y voyais l’occasion de faire un drame qui toucherait un public bien plus large qu’un film du même genre au cinéma. Je n’ai jamais autant flippé en attendant les chiffres. Si les gens zappaient, cela prouverait qu’ils n’avaient pas envie de me voir dans ce registre et j’allais galérer pour y retourner. On a réuni huit millions de téléspecta­teurs. C’est même la première fois de ma vie qu’on m’a applaudi dans un restaurant : « Voilà l’actrice ! » Ce n’est pas anodin...

Vous faites attention au box-office ?

Inutile de se mentir : à un moment donné, il faut faire des entrées. Encore plus pour une comédie. J’en ai eu la preuve avec Le Poulain, de Mathieu Sapin, que j’adore et dont j’aurais aimé qu’il fasse plus que 150 000 entrées. Mais on excuse plus ce résultat parce qu’il est perçu comme un film d’auteur. Si Retour chez ma mère avait fait ce score, ça aurait été très différent.

Puisque genre à succès, le monde de la comédie est-il plus concurrent­iel qu’un autre ?

Je ne crois pas à la concurrenc­e : un metteur en scène ne te choisit pas parce que tu es meilleure que les autres mais parce que tu es celle qui correspond le plus au rôle. Dans les regards posés sur moi, je n’ai jamais ressenti de méchanceté. Juste chez certains ce sentiment qu’on ne m’avait pas vu venir et qu’on n’aurait pas forcément misé sur moi...

J’imagine alors que le succès du Grand vous réjouit…

Bain

J’ai beaucoup aimé ce film, et j’espérais en effet qu’il marche. Pour Gilles [Lellouche], bien sûr, mais plus largement pour le cinéma français. Si un film aussi ambitieux ne fait pas d’entrées, nous sommes tous perdants. Car cela pousse les investisse­urs à se montrer de plus en plus frileux.

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Le Poulain de Mathieu Sapin
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Tout le monde debout de Franck Dubosc

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