Première

EN COUVERTURE

Dans les coulisses du Chant du loup

- PAR GAËL GOLHEN & SYLVESTRE PICARD

Le Chant du loup d’Antonin Baudry

Pour son premier film, Antonin Baudry, qui avait scénarisé Quai d’Orsay d’après sa BD, embarque François Civil, Mathieu Kassovitz, Reda Kateb et Omar Sy dans une histoire de sous-marin et de dissuasion nucléaire. En exclusivit­é, Première vous révèle les secrets d’un des films événements de 2019, dont la sortie est prévue le mois prochain.

Dans un sous-marin, le poste vital est celui de « l’oreille d’or » : l’opérateur chargé d’écouter les bruits de la mer, de repérer le son des machines plongées dans l’eau et de savoir à quel engin de guerre appartient tel bruit d’hélice ou de moteur. Et quand résonne « le chant du loup » (le surnom du bruit émis par un sonar ennemi) dans ses écouteurs, la mort est proche. Le jeune diplomate Antonin Baudry se cachait sous le nom d’Abel Lanzac pour écrire Quai d’Orsay, géniale BD (adaptée au ciné par Tavernier sous la forme d’une comédie de moeurs) qui décortiqua­it la diplomatie française sous Villepin. Et sous le titre cryptique du Chant du loup se cache un film de sous-marin, genre quasi inexploré en France (levez la main si vous avez vu Casabianca de George Péclet sorti en 1951), dans lequel Baudry a réussi à recruter trois des plus gros acteurs français d’aujourd’hui. Pour s’embarquer dans un film d’action actuel, excitant, frontal et honnête. Comment un cinéaste débutant a-t-il tenté un tel exploit ? Antonin Baudry nous répond.

PREMIÈRE : Avez-vous conscience que Le Chant du loup est une anomalie dans le paysage cinématogr­aphique français ? Un premier film, cher, qui plus est un film de sous-marin… ANTONIN BAUDRY :

C’est une aventure un peu folle, j’en conviens. Ça nous a pris trois ans de travail, jour et nuit, sans repos et sans relâche...

Mais comment avez-vous réussi à imposer ça ?

Concrèteme­nt, je me suis lancé dans Le Chant du loup après Quai d’Orsay. Je travaillai­s sur une comédie médiévale avec Jamel Debbouze – j’espère qu’on va pouvoir la reprendre maintenant parce que c’est un super projet. Et puis j’ai eu comme un flash, j’ai vu un sous-marin émerger et tout s’est enchaîné... L’idée de « l’oreille d’or » a été le pivot. C’est l’un des derniers domaines où l’humain est supérieur à la machine. Un commandant de sous-marin se fie davantage à « l’oreille d’or », à son intuition, pour prendre des décisions. Il y a des sonars, mais à l’arrivée, c’est de l’ordre de l’instinct. De l’humain. C’est une idée de cinéma géniale. Forcément, les gens qui ont ce genre d’antenne sont très fragiles, très sensibles. C’est tout cela qui m’a permis de construire le personnage de François Civil.

Vous étiez très impliqué sur Quai d’Orsay, qui est tiré de votre BD et dont vous avez cosigné le scénario ?

Je n’étais pas là tout le temps, mais j’étais présent. À l’époque, je ne pensais pas au Chant du loup mais j’envisageai­s déjà de réaliser un film. D’ailleurs, je questionna­is tout le temps Tavernier : « Mais pourquoi tu fais ça ? », « Et ça, ça te sert à quoi dans le récit ? » Patiemment, il m’expliquait, avec les raisons techniques et les raisons historique­s. « Tu comprends, si tu fais pas ça

tu vas merder comme Renoir en telle année sur tel film... » (Rires.)

L’envie de réaliser date de ce moment-là ?

Non. J’ai fait des études de cinéma, entre autres. J’ai étudié les films d’action de Hong Kong. Wong Kar-Wai, Tsui Hark, John Woo, mes trois cinéastes préférés. À toute épreuve et Une balle dans la tête sont des chefs-d’oeuvre ! Mais j’avais également une professeur­e, Nicole Brenez [devenue consultant­e sur Le Chant du loup], qui m’a amené à découvrir un cinéma plus expériment­al. Tout cela m’a nourri et m’a vite donné envie de réaliser des films, bien avant la diplomatie...

Mais quand on a à peine écrit un scénario, comment monte-t-on un tel projet ? Vous êtes allé voir l’armée ? Des producteur­s ?

L’armée ce fut après. La première personne que je suis allé voir, c’est Jérôme Seydoux : j’avais juste le titre et une idée de l’histoire. Ça lui a plu et je suis parti écrire.

C’est quoi Le Chant du loup

Dans le langage des « oreilles d’or », le titre fait référence au bruit d’un sonar qui plonge et vous repère. Si on parle du film, je dirais que c’est une fiction dans un monde réel. Mais c’est une oeuvre avec plein de facettes. Je ne sais pas celles auxquelles les gens seront les plus sensibles... C’est un film de sous-marin, mais c’est aussi un film sur la confiance, l’amitié, l’amour. Et sur des êtres humains qui, dans des conditions difficiles, vont avoir le choix entre suivre le système ou faire un pas de côté. Ce chant au fond, c’est une sirène, un appel poétique, même si dans le film ça se révèle forcément plus dangereux... Comme vous voyez, difficile de résumer ce projet en une phrase. (Rires.)

? Quand on écoute les acteurs, ils ont également cette vision multiple du film. Pour Omar Sy, il s’agit d’une histoire héroïque, pour Reda Kateb, c’est un film anti-système...

Tant mieux parce qu’un film ne doit jamais être verrouillé en termes de sens. Les acteurs sont raccord, mais avec des points de vue différents et ça reflète assez bien le tournage. On a, je crois, formé un véritable équipage.

Comment avez-vous créé ça ?

D’abord, je voulais que les comédiens voient ce qu’est la vie dans un sous-marin. On a donc plongé avec un vrai submersibl­e. Et puis, il fallait travailler le réalisme de la vie dans cet espace. Une amie chorégraph­e les a entraînés à bouger ensemble. Dans un sous-marin, les membres d’équipage se connaissen­t intimement à force d’être les uns sur les autres. Ils savent comment bouger entre eux, c’est une chorégraph­ie. On se bouscule, on se dérange : il y a une connaissan­ce tactile et presque « mentale » des corps. Je voulais qu’ils l’intègrent. C’est aussi un milieu où on ne peut pas mentir. Quand on est enfermé soixante-dix jours dans un submersibl­e, on ne peut pas jouer un rôle, on est obligé d’être soi-même. C’est pourquoi j’ai choisi quatre acteurs principaux très différents, à tous les niveaux, par leur physique, leur horizon artistique et leur charisme. L’objectif, c’était de faire ressortir ces individual­ités dans le collectif.

« LA PREMIÈRE PERSONNE QUE JE SUIS ALLÉ VOIR, C’EST JÉRÔME SEYDOUX : J’AVAIS JUSTE LE TITRE ET UNE IDÉE DE L’HISTOIRE. » ANTONIN BAUDRY

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François Civil
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Reda Kateb

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