SUR UN PLATEAU
Pour Un monde plus grand, Fabienne Berthaud a posé sa caméra en Mongolie. Récit d’une aventure exceptionnelle avec Cécile de France dans le rôle d’une journaliste qui se découvre un don chamanique.
Un monde plus grand de Fabienne Berthaud
« CETTE PLONGÉE AU COEUR DU CHAMANISME EST UNE SUITE LOGIQUE DE MON TRAVAIL. » FABIENNE BERTHAUD
Fabienne Berthaud aime les projets hors norme. On le sait depuis son premier long métrage, Frankie (2005), un film autoproduit dont le tournage s’est déroulé sur plusieurs années et qui offrait son premier rôle en tête d’affiche à Diane Kruger, devenue dans la foulée sa muse et son alter ego à l’écran avec Pieds nus sur les limaces (2009), puis Sky (2015). Mais avec Un monde plus grand, la cinéaste ouvre un chapitre inédit de ses aventures cinématographiques. Son premier film sans Diane Kruger ; le premier aussi dont elle n’est pas directement à l’origine. En plein montage de Sky, la productrice Carole Scotta (Haut et Court) évoque un projet qui pourrait lui plaire. « Carole est venue me proposer d’adapter l’histoire vraie [racontée dans plusieurs livres] de Corine Sombrun. » Musicienne et musicologue, celle-ci crée de nombreuses illustrations sonores pour des émissions de radio. Alors qu’elle peine à se remettre du décès de son mari, elle accepte la proposition de partir en Mongolie recueillir des chants chamaniques. « Là, au son du tambour, elle part en transe. À la fin de la cérémonie, le chaman vient la voir, furieux, expliquant... que deux chamans ne peuvent cohabiter dans ces moments-là ! Corine découvre alors qu’elle doit suivre une éducation chamanique pour apprendre à maîtriser ce don sous peine d’aller au-devant de graves ennuis. » Ainsi débute Un monde plus grand, dont le sujet a trouvé d’emblée un écho chez la réalisatrice. « Dans Sky, j’avais écrit le personnage de la vieille Indienne que rencontrait Diane. C’est comme si cette plongée au coeur du chamanisme n’était qu’une suite logique de mon travail à laquelle je n’avais pas encore eu le temps de penser. »
Très vite, Fabienne Berthaud se met à l’écriture en se basant sur les écrits de Corine Sombrun et de nombreux documents sur le chamanisme. Une fois terminée sa première version, elle se rend en Mongolie finaliser son scénario. « Je suis partie à la rencontre de la tribu nomade des Tsaatans, là où Corine a vécu son expérience chamanique. Ce sont les derniers éleveurs de rennes de Mongolie. » Corine Sombrun est aussi du voyage. « Pour nourrir mon adaptation, j’avais besoin de comprendre tout le processus de travail qui l’a amenée à se lancer, suite à son expérience, dans des recherches sur les effets médicaux possibles de la transe sur le cerveau. Mais il m’était tout aussi indispensable de partager le quotidien des Tsaatans. » Deux jours à cheval leur sont nécessaires pour rejoindre la tribu sur les hauts plateaux. « Là, je découvre qu’ils ne dorment pas dans des yourtes comme je le croyais mais dans des tipis. Ce qui donnera à mon film une couleur western. Je vis au milieu d’eux. Puis, au fil des jours, je leur parle de mon projet et leur demande s’ils accepteraient d’accueillir le tournage et d’apparaître devant la caméra. »
Transe avec elle
Deux voyages lui permettront de les convaincre mais aussi de peaufiner son scénario. C’est à l’issue du second que Fabienne Berthaud se lance à la recherche de son interprète principale. « J’ai sélectionné trois actrices à qui j’ai fait passer des essais un peu inhabituels. Des essais... de transe ! Avec des scientifiques, Corine a inventé une boucle de quarante minutes qui permet d’atteindre cet état, au seul son du tambour. Je l’ai fait écouter aux comédiennes sélectionnées et je les ai regardées faire. » Cécile de France s’impose tout de suite. « Elle possède ce tempérament d’aventurière qui était nécessaire au projet. Je savais qu’elle allait être capable de vivre coupée du monde pendant un mois en Mongolie. » Le tournage débute en juin 2018. Dans des lieux inaccessibles en voiture et déterminés par les Tsaatans, qui choisissent les endroits où se reposer avec leur bétail. L’information ne tombera que quatre jours avant le premier clap. « Il est évident qu’avec un tel projet, il fallait rester en permanence ouvert à tout. Ne serait-ce qu’au regard de la météo, incroyablement changeante dans cette région. Un monde plus grand est une fiction tournée comme un documentaire. » Mais la chance est de la partie. « Les Tsaatans m’ont ouvert leurs portes et leurs coeurs. Ils ont pu rester avec nous plus longtemps que prévu. On devait avoir 40 rennes à l’écran, j’en ai eu 200... Et puis, ils ont le jeu dans le sang. Tu leur dis “dors”, ils dorment en vrai ! » L’équipe technique réunie autour de la réalisatrice est aussi un sacré mélange, entre la fidèle chef op Nathalie Durand (qui a aussi signé la lumière de Jusqu’à la garde), des Belges mais aussi des Mongols pour ce qui est des décors et des costumes. « Comme quelques films se tournent sur place, il existe une petite industrie. Mais ils sont tout à la fois : producteur, acteur, technicien, réalisateur, assistant... » De véritables couteaux suisses qui vivent à un rythme différent des Occidentaux. « Quand tu leur demandes quand on arrive, ils te répondent : “Ne t’inquiète pas, on arrive toujours !” » Ce mélange des cultures a évidemment conquis la réalisatrice qui a, depuis, terminé son film en tournant toutes les scènes « occidentales » en Belgique. Mais ses yeux sont encore illuminés de l’expérience vécue. Une nouvelle pierre singulière à l’édifice cinématographique qu’elle construit pas à pas.
UN MONDE PLUS GRAND De Fabienne Berthaud • Avec Cécile de France, Ludivine Sagnier, Arieh Worthalter... • Sortie prochainement
« CÉCILE POSSÈDE CE TEMPÉRAMENT D’AVENTURIÈRE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE AU PROJET. » FABIENNE BERTHAUD