Première

MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN

La huitième réalisatio­n de Xavier Dolan fait mieux que tenir ses promesses. Il revisite ses obsessions, témoigne d’un amour enragé du 7e art, et signe son oeuvre la plus audacieuse.

- THIERRY CHEZE

Rares sont les films à la fois attendus et précédés d’une rumeur à ce point détestable à leur arrivée en salles. Pour Xavier Dolan, c’est en tout cas une première. Car même s’il n’a jamais fait l’unanimité (cet esprit vif et si riche en contradict­ions serait le premier à la vomir), aucun de ses films n’avait eu à subir un vent à ce point contraire avant que le public ne se fasse son opinion. Un conseil d’ami ? Ne vous fiez définitive­ment pas aux rumeurs. Car la production riche en rebondisse­ments de Ma vie avec John F. Donovan épouse au final parfaiteme­nt son contenu vibrant, débordant de vie mais hanté par la mort. Pour ses 10 ans de cinéma, Xavier Dolan s’offre plus qu’un premier tournage en langue anglaise. Un film (déjà) somme de toutes ses obsessions : les relations compliquée­s mère-fils, les amours impossible­s, les discrimina­tions liées à l’homosexual­ité... Pour qui aime son cinéma, Ma vie avec John F. Donovan constituer­a une épiphanie qui agacera forcément ses contempteu­rs mais, une fois encore, fera de lui le centre de toutes les attentions. À Toronto, avant sa première mondiale, Dolan a choisi de lire sa lettre écrite à 8 ans à son idole : Leonardo DiCaprio. Nul besoin de préciser combien sa propre vie lui a directemen­t inspiré l’un des deux personnage­s clés du film : Rupert Turner (Jacob Tremblay), enfant acteur américain rejeté par les autres gamins qui décide d’écrire au comédien star de la télé US qu’il vénère, le fameux John F. Donovan (Kit Harington). Une lettre comme une bouteille à la mer à laquelle celui- ci répond, entamant une relation épistolair­e longtemps cachée de tous avant de ressurgir, détournée et salie, lorsque Donovan tombera en disgrâce après la révélation de son homosexual­ité.

LES DESSOUS DU CINÉMA. Le nouveau Dolan raconte le destin mouvementé de ces deux protagonis­tes, par le prisme du récit qu’en fait Turner adulte, une dizaine d’années après la mort de Donovan, à une journalist­e au départ peu passionnée par ce voyage en « peoplerie » (elle est jouée par Thandie Newton, seule fausse note du film avec sa tendance à toujours écarquille­r un peu trop les yeux). Une série d’allersreto­urs savamment orchestrés entre passé et présent, qui voit les pièces du puzzle se mettre en place au fil d’une intrigue aussi passionnan­te dans le fond que dans la forme. Biberonné au cinéma hollywoodi­en, doubleur dans les sagas Harry Potter et Twilight, bientôt à l’affiche de la suite de Ça, Dolan possède ce regard à la fois passionné et critique sur un milieu qui l’a fait rêver avant qu’il n’en connaisse les rouages. Ce qui lui permet de pointer avec force la difficulté toujours immense pour une star de télé ou de ciné d’avouer son homosexual­ité sans se retrouver ostracisé, le temps de scènes magistrale­s d’angoisse qu’on croirait tirées d’un De Palma. Mais si Ma vie avec John F. Donovan baigne dans le cinéma (géniales scènes avec Kathy Bates en agent de Donovan), il traduit avant tout l’amour de Dolan pour cet art qui s’exprime à merveille dans les deux relations mèrefils dominant son récit. D’un côté, John et Grace (Susan Sarandon à l’explosivit­é

XAVIER DOLAN POSSÈDE CE REGARD À LA FOIS PASSIONNÉ ET CRITIQUE SUR UN MILIEU QUI L’A FAIT RÊVER.

bouleversa­nte), dont le besoin l’un de l’autre vient se fracasser sur les comporteme­nts excessifs de cette femme alcoolique, provoquant chez son enfant un mélange de honte et de ressentime­nt. De l’autre, Rupert et Sam (Natalie Portman, sublime de sobriété) dont la relation fusionnell­e va déclinant au fur et à mesure qu’elle pousse son enfant à arrêter de rêver de cinéma. Parce qu’elle-même en a rêvé avant de se retrouver prisonnièr­e de ce rôle de mère seule qui développe chaque jour un peu plus ses frustratio­ns.

MYSTÈRE. Dolan nous raconte tout cela avec un sens du romanesque inouï, dans un tourbillon envoûtant où ce qu’il nous montre ne correspond pas forcément à ce qui est. À commencer par cette relation épistolair­e, colonne vertébrale de son récit. A-t- elle réellement existé ? A-t-elle été inventée par un petit garçon empêché dans ses rêves par une mère si triste d’être passée à côté de sa vie ? N’est-elle pas l’oeuvre de cette mère qui a décidé d’offrir à son fils quelques moments réguliers de bonheur absolu ? Le film entretient ce mystère entre vérité et mensonges, symbole de ce jeu perpétuel avec la réalité qu’est le cinéma. Jusqu’à un ultime plan en hommage à My Own Private Idaho qui file des frissons. Le premier film de Dolan en langue anglaise est l’un de ses meilleurs. Et à coup sûr, le plus ambitieux et le plus maîtrisé.

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Susan Sarandon et Chris Zylka
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