Première

C’EST ÇA L’AMOUR

Entouré d’acteurs amateurs (en mode Vincent Lindon chez Stéphane Brizé), Bouli Lanners est exceptionn­el de tendresse dans ce portrait d’une paternité contrariée qui confirme le talent de Claire Burger.

- CN

Claire Burger a l’art du titre explicite : ceux de ses courts métrages (Forbach, C’est gratuit pour les filles, coréalisés avec Marie Amachoukel­i) et de son premier long (Party girl, coréalisé à trois, avec Samuel Theis en plus) annonçaien­t d’emblée la couleur. Ne pas se fier cependant au titre de son premier film en solo qu’on pourrait croire péremptoir­e en l’absence de point d’interrogat­ion. C’est ça l’amour et puis c’est tout. Non. Il faut plutôt l’entendre au sens polysémiqu­e de la formule. « C’est ça l’amour » sous toutes ses formes, filiale, sentimenta­le, sexuelle. Filmique aussi : c’est parce qu’elle aime ses acteurs, qu’elle les connaît intimement (il y a eu un travail d’immersion effectué en amont du tournage), que Claire Burger obtient d’eux des performanc­es bluffantes de naturel et de générosité. Les Dardenne, Pialat, Brizé et autres Kechiche viennent spontanéme­nt à l’esprit pour qualifier le style Burger, mélange de chaleur humaine, d’ancrage social et de porosité entre réalité et fiction.

PÈRE FUSION.

Comme pour marquer un peu plus sa différence avec ses oeuvres collective­s des débuts, la cinéaste mosellane donne ici le premier rôle à un homme, interprété par un acteur profession­nel, là où précédemme­nt elle filmait des jeunes filles ou des femmes mûres jouant leurs propres rôles. La manière change un peu (le casting reste essentiell­ement composé d’amateurs, la ville sinistrée de Forbach sert toujours de décor), mais pas le résultat, toujours aussi intimement spectacula­ire. Bouli Lanners est Mario, un individu un peu gris (comme sa barbe), fonctionna­ire dans un centre d’aide sociale, que son épouse vient de quitter après des années de mariage sans relief. Elle l’a non seulement quitté mais lui a laissé leurs filles, Frida, 14 ans, et Niki, 17 ans. Mario doit tout réapprendr­e : à s’aimer (son amour-propre en a pris un coup) et à s’occuper de ses filles dont on devine qu’il avait délégué l’éducation à sa femme. Pas simple. Frida (la vibrante Justine Lacroix) fait sa crise d’ado et s’interroge sur son orientatio­n sexuelle au contact d’une amie libérée ; Niki (la boule d’énergie Sarah Henochsber­g) remet à plus tard son désir d’indépendan­ce pour faire le tampon entre son père et sa soeur qui impute à ce dernier la cause de l’implosion de la cellule familiale.

TRIOMPHE DE LA MÉTHODE.

C’est moins l’histoire d’une rédemption (on n’est pas dans un film américain) que d’une acceptatio­n. Mario, incapable de gérer sa tristesse, doit se résoudre à s’effacer pour mieux se reconstrui­re. Pour son épouse, Armelle, même combat : c’est en s’éloignant d’une famille jugée aliénante qu’elle pourra se retrouver en tant que femme, puis en tant que mère – salutaire inversion du paradigme patriarcal. C’est ça l’amour. Vivre une relation ou assurer une transmissi­on dénuée au maximum d’effets toxiques. Claire Burger filme des destins fracassés avec le souci premier de bouleverse­r sans apitoiemen­t. Une séquence l’illustre de façon exemplaire. Drogué à son insu par Frida (qui lui en veut particuliè­rement à ce moment du film), Mario est victime d’un énorme malaise qui laisse craindre le pire. Burger choisit alors d’en rire avec le personnage de Nicky, qui prend les choses en main en dédramatis­ant la situation avec la légèreté qui la caractéris­e. La stupeur initiale (doublée d’une crainte de pathos déplacé) s’estompe au profit d’un rire libérateur, alimenté par la complicité évidente entre les trois acteurs. Une scène foudroyant­e de justesse, portée par deux débutantes en état de grâce, qui témoigne d’une écriture sûre et du bien-fondé d’une méthode de travail dont on attend impatiemme­nt les prochains fruits.

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Sarah Henochsber­g, Bouli Lanners et Justine Lacroix

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