Première

COMPAÑEROS

Alvaro Brechner raconte les douze ans d’enfermemen­t de trois prisonnier­s politiques uruguayens, entre devoir de mémoire et trip sensoriel cauchemard­esque.

- FF

En Uruguay, après le coup d’État du 27 juin 1973, des milliers de prisonnier­s politiques viennent remplir les geôles de la dictature militaire. Compañeros raconte les douze années d’enfermemen­t de trois d’entre eux, dont José « Pepe » Mujica, futur président du pays. Le film est porté par un évident geste mémoriel : voilà une oeuvre qui pourra être montrée dans les lycées, qui accompagne­ra des débats historiens. Très bien. Mais Alvaro Brechner (Sale temps pour les pêcheurs) est d’abord préoccupé par des questions de cinéma. Comment faire ressentir un cauchemar a priori indicible, celui d’hommes que la dictature voulait rendre fous, à défaut d’avoir pu les tuer ? Compañeros s’envisage comme la traversée physique, sensoriell­e, d’un monde cauchemard­esque, et montre tout : la crasse, la peur, la faim, les semaines entières dans le noir, les rats pour compagnons de cellule, la pisse et la merde sur le sol où l’on dort, les vêtements arrosés d’essence, puis l’esprit qui dérive, insensible­ment, jusqu’à frôler le point de non-retour. Le temps est la grande obsession du film. Pour plonger dans cette « nuit de douze ans » (le titre VO), Brechner entremêle superbemen­t les strates temporelle­s, les flash-back sur la vie d’avant, les souvenirs, rêves et hallucinat­ions des prisonnier­s. À mi-chemin du Hunger de Steve McQueen et des grands Costa-Gavras des années 70-80, Compañeros met KO mais galvanise aussi, grâce à trois acteurs bouleversa­nts d’humanité, trois gueules sublimes (Antonio de la Torre, Chino Darín, Alfonso Tort) qui entrent instantané­ment au Panthéon du cinéma de combat.

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Chino Darín

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