Première

PORTRAIT

Swann Arlaud

- u PAR THIERRY CHEZE u PHOTOS ROMAIN COLE

En dix ans, Swann Arlaud a su imposer sa silhouette dégingandé­e et son regard allumé dans des registres poétiques ou mélo. Ce début d’année l’aura vu passer d’une comédie policière (Un beau voyou) au drame (Grâce à Dieu). Il brille aujourd’hui d’une étrange intensité dans Exfiltrés. Retour sur le parcours explosé d’un touche-à-tout hyperactif.

Il ne faut jamais courir après le métier d’acteur. Éventuelle­ment, c’est lui qui te choisira. Sinon, il faut faire autre chose. » Ces mots prononcés par sa mère Tatiana Vialle – comédienne, directrice de casting et metteur en scène de théâtre – ont très tôt trouvé un écho chez Swann Arlaud. Aujourd’hui encore, ce mantra continue de le guider. Depuis un an et son César du meilleur acteur remporté au nez et à la barbe du favori JeanPierre Bacri, tous les voyants sont au vert pour le comédien. En ce premier trimestre 2019, le voilà à l’affiche de trois films. Dans Un beau voyou, de Lucas Bernard, il virevolte en petit voleur de tableaux déambulant sur les toits de Paris pour échapper aux forces de l’ordre. Dans Grâce à Dieu, il campe l’une des victimes du prêtre pédophile Bernard Preynat, le plus tourmenté des trois personnage­s mis en lumière par François Ozon, auquel il donne une puissance inouïe sans jamais forcer le trait. Et dans Exfiltrés, d’Emmunuel Hamon, qui sort le 6 mars, il incarne un homme qui découvre, effaré, que sa femme est partie avec son fils rejoindre l’état islamique en Syrie. Un rôle plus passif où frappe l’intériorit­é dévorante mais jamais démonstrat­ive de son jeu.

La succession de ces films amène à une conclusion évidente : Swann Arlaud est né pour ce métier. Depuis tout petit, il baigne dans un univers artistique à choix multiples, façon jeu des 7 familles. Jugez plutôt : outre sa mère Tatiana Vialle ; un grand-père scénariste, Rodolphe-Maurice Arlaud ; un autre comédien, Max Vialle ; un père chef décorateur, Yan Arlaud ; un beaupère chef opérateur et cinéaste, Bruno Nuytten (Camille Claudel), sans compter « l’homme qui a élevé [sa] mère », Jean Carmet. On pourrait passer des heures à l’écouter raconter ses souvenirs d’enfance. Ses conversati­ons avec Carmet justement « où on parlait bouffe et pinard.

J’AI MIS DU TEMPS À ACCEPTER MON ENVIE DE FAIRE CE MÉTIER CAR LA QUESTION DE LA LÉGITIMITÉ SE POSE QUAND ON VIENT

DE CE MILIEU. » SWANN ARLAUD

Il est mort quand j’avais 13 ans et j’ai pris ma première cuite au vin rouge le jour de son enterremen­t ! ». Sa découverte des plateaux de tournage avec son père sur Le Brasier d’Éric Barbier. L’exploratio­n de la vidéothèqu­e de Bruno Nuytten : « Une porte séparait ma chambre de cette caverne d’Ali Baba. J’y ai passé un nombre de soirées incroyable­s où j’ai découvert Ang Lee, John Cassavetes, Marilyn Monroe... Sans m’en rendre compte, j’y ai acquis le goût du langage et l’amour des acteurs. D’où ma passion pour les films de Bertrand Blier et sa manière de jouer avec l’absurde. »

Enfant de la balle

Comment échapper à un destin de comédien avec un tel entourage ? « Honnêtemen­t, ça n’a jamais été une évidence, avoue Swann Arlaud. Mais je n’ai pas cherché à le fuir non plus. En fait, je ne me suis jamais posé la question. » Plutôt branché rap et graffitis à l’adolescenc­e, il décroche le concours d’entrée aux Arts décoratifs, à Strasbourg. « J’y suis rentré en voulant dessiner et j’en suis sorti en voulant écrire. Mais de retour à Paris, je suis revenu à des choses plus concrètes : il fallait bien bosser pour se loger ! » Bosser, ce sera donc jouer. Après une première expérience à 11 ans dans La Révolte des enfants aux côtés de son grand copain Robinson Stévenin, il commence réellement à tourner à partir de 2004 dans quelques séries (PJ, Femmes de loi…) et décroche ses premiers rôles au cinéma. Il a alors 24 ans, et petit à petit, les choses se mettent en place. Yves Angelo, le premier à le diriger au cinéma dans Les Âmes grises, a longtemps été l’assistant de Bruno Nuytten. Jean-Pierre Améris, qui le choisit pour Les Émotifs anonymes, confie depuis toujours le casting de ses films à Tatiana Vialle. De quoi pousser certains à hurler au népotisme. Sauf que si être un « fils de » facilite incontesta­blement l’ouverture de certaines portes, il ne constitue jamais le sésame absolu pour faire carrière. Celle-ci se construit au gré des rencontres. Comme celle avec Daniel Duval en 2006 sur le plateau du Temps des porte-plume que Duval réalise. Le cinéaste, qui avait bien connu Carmet, vint le voir à la fin du tournage pour lui glisser : « Jean aurait été fier de toi. » Une phrase comme une autorisati­on à prendre enfin son destin en main. « J’ai mis du temps à accepter mon envie de faire ce métier car la question de la légitimité se pose encore plus quand on vient de ce milieu. Et, soudain, tout s’est cristallis­é. J’ai

accepté de me dire que je me sentais à ma place. J’ai compris à quel point la notion de filiation était importante pour moi, même si on ne m’a rien légué en disant que c’était mon tour. Je n’ai pas sur mes épaules la pression d’un fils de paysan à qui on demande de reprendre la ferme pour qu’elle ne s’éteigne pas. »

Acteur engagé

Cette montée en puissance se fera là encore par étapes. D’abord, au fil de petits rôles où on le remarque de plus en plus (Un coeur simple, Belle Épine, Michael Kohlhaas), avant que n’arrive la Semaine de la critique 2015 à Cannes. Swann Arlaud y présente deux films : Les Anarchiste­s d’Elie Wajeman et Ni le ciel, ni la terre de Clément Cogitore, un de ses ex-camarades aux Arts déco. Dans le premier, il campe un idéaliste romantique au coeur du Paris agité de la fin du XIXe siècle. Dans le second, il incarne un soldat des forces françaises en Afghanista­n. D’un côté, un film historique. De l’autre, un film de guerre... sans guerre. Enfin, le métier met un nom sur son visage. « J’ai eu la chance que cette visibilité se produise pour deux rôles très différents et très impliquant­s. Pour Les Anarchiste­s, je me suis immergé dans cette période riche que je connaissai­s mal. Et Ni le ciel, ni la terre m’a permis de replonger dans les questions métaphysiq­ues auxquelles je suis sensible depuis l’enfance : l’invisible, les fantômes... » Malgré les semi-échecs de ces deux films en salles, le rythme des castings s’accélère : « J’ai le bonheur de voir qu’on pense à moi essentiell­ement pour des choses qui me plaisent. Un certain cinéma engagé par exemple. » Ce qui va éclater plein écran avec Petit Paysan et ce rôle d’agriculteu­r confronté à l’épidémie décimant son troupeau... bien loin de lui être destiné. Judith Chalier, la directrice de casting des Anarchiste­s, avait pourtant parlé de lui très en amont à Hubert Charuel. Mais ce fils d’éleveurs tenait à confier le rôle à un « vrai » paysan. Un casting sauvage commence, sans succès. Judith Chalier revient alors à l’assaut. « Hubert a donc accepté de me rencontrer mais je savais que le côté “acteur parisien” lui faisait peur. On a fait quelques improvisat­ions et le courant est vraiment passé entre nous. » Le comédien emporte définitive­ment le morceau quand il glisse à Charuel que si jamais lui prend l’envie de l’engager, il ne se lancera pas sans une solide formation à la ferme. Ce stage et ce rôle vont trouver un écho dans sa propre histoire. « En finalisant ma formation auprès de la mère d’Hubert et en tournant dans la ferme de ses parents, je retrouvais cette double dimension de la famille et de la transmissi­on qui m’a construit de manière inconscien­te. » Le film sera sélectionn­é à la Semaine de la critique, plébiscité au festival d’Angoulême, connaîtra un beau succès en salles et triomphera aux César avec trois trophées, dont celui du meilleur acteur. « Les films que j’ai faits me ressemblen­t. Ce prix m’a donc encouragé à me faire confiance. À ne pas rentrer dans des raisonneme­nts de gloire et d’argent. » On ne l’avait ainsi jamais vu dans la légèreté comique d’Un beau voyou, accepté justement « pour évoluer dans un endroit de jeu inconforta­ble où je ne m’étais pas aventuré ». Mais l’inconfort pour l’inconfort, très peu pour lui. Quand François Ozon vient lui proposer Grâce à Dieu pour lequel il n’a pas encore écrit son personnage, Swann Arlaud

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 ??  ?? Exfiltrés d’Emmanuel Hamon
Exfiltrés d’Emmanuel Hamon
 ??  ?? Un beau voyou de Lucas Bernard
Un beau voyou de Lucas Bernard
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 ??  ?? Grâce à Dieu de François Ozon
Grâce à Dieu de François Ozon

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