DÉCRYPTAGE
Amichai Greenberg pour Les Témoins de Lendsdorf
Pour Amichai Greenberg, tout commence par une interdiction : celle de voir des films. Quand on grandit dans un milieu ultraorthodoxe en Israël, on ne va pas au cinéma. Interne dans une yeshiva [école pour juifs orthodoxes où le Talmud et la Torah sont enseignés de façon intensive], l’adolescent des années 80 brave tout de même l’interdit avec quelques camarades : « À l’époque, les cinémas proposaient de voir trois films au prix d’une seule entrée, se souvient-il. C’était génial, mais très risqué de s’absenter si longtemps. » Amichai Greenberg sort diplômé de son école de cinéma en 1998. Il lui aura donc fallu vingt et un ans pour réaliser ce premier film. Depuis, il a vécu mille vies, dont une qui lui a sûrement permis de se lancer dans l’écriture des Témoins de Lendsdorf : recueillir les témoignages de survivants de la Shoah pour la Shoah Foundation de Steven Spielberg. « C’était dur d’écouter des heures de témoignages. Avec le recul, cette expérience m’a beaucoup plus marqué que je ne l’aurais pensé. Et elle m’a permis de comprendre ma propre famille. » Le cinéaste est fils et petit-fils de survivants de l’Holocauste. Son grand-père, originaire de Pologne, a réussi à faire sortir sa femme et ses deux enfants du ghetto de Cracovie avant que tous les quatre ne soient pris dans une rafle. Par miracle, le grand-père a survécu aux camps de concentration. « Ce scénario a été un très long voyage intérieur pour moi. Et le film m’a fait naître, en quelque sorte, bien plus que moi je ne l’ai créé. »
Réalité déformée
Amichai Greenberg construit l’histoire des Témoins de Lendsdorf autour de Yoel, juif orthodoxe, chercheur scrupuleux qui enquête depuis des années sur un massacre de juifs qui aurait eu lieu dans un village autrichien pendant la Seconde Guerre mondiale. Or Lendsdorf n’existe pas. Le cinéaste s’est en fait inspiré d’un épisode tragique et bien réel, le massacre de Rechnitz en Autriche. « J’avais besoin d’une trame dramatique, ne serait-ce que pour changer des éléments comme les noms des victimes, nécessaires à la construction de mon intrigue. J’ai même inclus dans mon film des témoignages d’un documentaire sur ce sujet. » Amichai Greenberg s’est autorisé à déformer légèrement la réalité parce que pour lui Les Témoins de Lendsdorf n’est pas un film historique. « C’est l’histoire d’une crise d’identité. Qu’est-ce qui nous définit ? C’est la question que le monde occidental, qui oscille entre la haine de l’autre et la volonté d’effacer les différences, se pose aujourd’hui. Quels individus, quelles familles, quelle société sommes-nous ? Et surtout, qui choisissons-nous d’être ? » Les réponses sont-elles dans Les Témoins de Lendsdorf ? À vous d’en décider...