INTERVIEW EXPRESS
Bouli Lanners
PREMIÈRE : Vous n’avez pas souvent eu le premier rôle, sinon dans vos propres films. Ça vous fait quoi quand les autres pensent à vous pour tenir la baraque à l’écran ?
BOULI LANNERS :
C’est plus excitant, je ne vais pas dire le contraire. On ne s’immerge pas de la même façon dans un film quand on a le premier rôle. Je viens d’en enchaîner quatre, cinq, c’est agréable de découvrir à mon âge ce que d’autres expérimentent à 18 ans... (Rires.)
Les fuyiez-vous ces premiers rôles ?
Un peu. J’en ai parfois évité parce que je ne me sentais pas prêt. Tenir des seconds rôles me permettait aussi d’avoir pas mal de temps libre pour me consacrer à mes propres films.
Claire Burger a su voir en vous ce personnage de père aimant et désarmé. Y auriez-vous pensé vous-même ?
Je ne crois pas. La paternité est un sujet qui me titille depuis très longtemps, sachant que je ne suis pas père et que j’ai maintenant l’âge d’être grand-père. J’ai un recul forcément autre là-dessus et je réfléchis d’ailleurs à un film qui abordera la question. Ce sera évidemment très différent de C’est ça l’amour dont le point de vue est avant tout féminin et plein d’enseignements pour moi.
On sent depuis longtemps chez vous une vulnérabilité que vous dissimuliez derrière des rôles de grognons
et de dépressifs dans des films plus ou moins décalés. Là, elle explose. Ça a été libérateur ?
J’ai toujours assumé ma part de féminité. Claire a sans doute mis le doigt dessus et su l’exploiter mieux que personne.
C’est aussi la première fois que vous tenez un rôle aussi lumineux. L’antihéros « no future » que vous êtes habituellement atteint enfin la rédemption et une forme de plénitude ?
J’attendais ça depuis un moment. J’en avais un peu marre de faire la gueule, de jouer tantôt les gentils, tantôt les méchants, même si j’adore les propositions décalées dans les films de gangsters. Ici, mon rôle est plus
complexe, plus complet aussi.
Auriez-vous pu jouer ce rôle il y a encore cinq ans ?
Cinq ans, peut-être, dix ans non. Claire m’a cueilli au bon moment.
Ce premier rôle est en plus chargé d’une certaine responsabilité, étant donné que les jeunes actrices qui interprètent vos filles sont des débutantes, envers lesquelles vous deviez, on imagine, être plus vigilant qu’à l’accoutumée ?
C’était l’autre enjeu du rôle, oui. Dans le film, nos corps se touchent, on se balade en petite tenue, notre relation est très tactile comme entre parents et enfants... On a donc décidé avec Claire, avant le tournage, de créer une intimité pour briser la glace. Avec mes deux filles de fiction, Justine Lacroix et Sarah Henochsberg, on a vécu « en famille » quelques jours chez moi, en Belgique. Claire et son assistante étaient aussi présentes. On allait faire les courses, on cuisinait, on passait des soirées autour du feu... On a continué sur le plateau puisque la majeure partie de l’action se passe dans une maison, qui est celle du père de Claire, d’ailleurs.
Cette spontanéité explose à l’écran dans la scène instantanément culte du trip involontaire de votre personnage, qui a été drogué à son insu par sa plus jeune fille.
Cette scène était casse-gueule à l’écriture. Jouer quelqu’un qui a pris de la drogue n’est jamais simple. Surtout, la séquence pouvait sombrer dans quelque chose d’assez pathétique ou de risible. En y apportant de la légèreté, Sarah, qui interprète ma fille aînée, l’a rendue simplement belle. Ce n’était pas simple à faire, ni pour elle ni pour moi, mais cela a été facilité par notre connivence.
La méthode Burger ressemble-t-elle à la vôtre ?
Formellement, non. Claire tourne beaucoup de matière, elle avait une énorme quantité de rushes à la fin. Elle filme essentiellement à l’épaule, il n’y a pas d’installation machinerie, et elle utilise une caméra qui permet de descendre dans les basses lumières, donc elle éclaire peu. Chez moi, c’est plus posé, avec des cadres plus classiques. Je suis moins dans la chair des personnages. Ce qui nous rassemble, c’est la proximité avec les comédiens – j’ai aussi bossé avec des amateurs – et un côté très directif pour ne pas les laisser s’égarer.
Cette réalisatrice pousse le travail avec les amateurs assez loin puisqu’elle a même donné des rôles importants aux membres de l’équipe, comme celui de votre épouse, jouée par la directrice de production Cécile Remy-Boutag. En quoi est-ce pertinent selon vous ?
J’aime beaucoup ce genre de démarche que je trouve très originale, je n’avais encore jamais vu ça sur un plateau. La véritable voix cassée de Cécile, qui lui donne un ton à la fois sévère et doux, apporte quelque chose à son rôle.
Votre personnage participe également à une vraie pièce de théâtre conceptuelle réunissant des habitants de Forbach, qui expriment sur scène des ressentis très personnels, que la caméra capte presque malgré eux.
Ça, c’était vraiment troublant. Je me retrouvais avec des Forbachois, qui savaient qu’on tournait mais qui finissaient par l’oublier tant l’équipe se faisait discrète. Quand on était obligés de refaire une prise, ils m’engueulaient en tant que Mario ! Ils pensaient tous que j’étais un type de la sous-préfecture... Bouli n’existait pas pour eux, il n’y avait pas de hiérarchie.
En quoi cette expérience vous a-t-elle changé en tant qu’acteur, voire en tant que réalisateur ?
Je n’arriverai pas à faire des films comme ceux de Claire. En revanche, ce que j’ai appris auprès d’elle, mais aussi auprès de Jacques Audiard, de ces réalisateurs qui sont dans une recherche permanente de vérité, c’est qu’on peut tout se permettre. Il n’y a pas de codes, pas de limites.
Êtes-vous resté proche de Claire et de vos « filles » ? On dit toujours qu’après un tournage, tout le monde se sépare à regret mais se sépare quand même.
Oui, on a maintenu un lien fort. J’ai presque la même proximité avec Zacharie Chasseriaud que j’avais dirigé dans Les Géants. Il vient régulièrement l’été chez moi, je lui donne des conseils professionnels mais aussi sur la vie. C’est un peu une auberge de jeunesse, ma maison ! (Rires.)
u« J’AI TOUJOURS ASSUMÉ MA PART DE FÉMINITÉ. CLAIRE A SU L’EXPLOITER MIEUX QUE PERSONNE. »