Première

SCÈNE CULTE

La Môme d’Olivier Dahan

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY CHEZE ILLUSTRATI­ON GABRIEL DE LAUBIER

Un passage obligé

« Tout le monde sait que Cerdan est mort dans un accident d’avion alors qu’Édith Piaf l’attendait à New York. Il m’était donc difficile de surprendre avec cette scène, pourtant indispensa­ble au récit.

Mais, très vite, me vient l’idée que Cerdan serait dans une chambre avec Piaf. Et que j’allais devoir me débrouille­r pour le faire disparaîtr­e… au fur et à mesure des allers-retours de Piaf entre cette chambre et les autres pièces de leur suite, où elle croise ses proches effondrés. Piaf est d’abord dans la négation totale de la mort de l’homme qu’elle aime. Puis, la réalité la rattrape et à l’écran, Cerdan s’est évaporé. »

Plan-séquence ou non ?

« Quand je débarque à 11 heures sur le plateau, je ne sais pas encore si je vais tourner cette scène en planséquen­ce ou la découper. Au moment où l’équipe part déjeuner, je demande une petite caméra vidéo et, seul sur le plateau, je cherche les moments où Marion [Cotillard] bifurquera et croisera les autres personnage­s. Je construis le plan-séquence pour voir si je peux l’emmener jusqu’au bout sans qu’il perde de son intérêt. Je suis alors persuadé que c’est possible. Je montre ce que ça donne à mon équipe. Et on se lance. »

Un plan chargé en émotions

« Ce plan va durer près de cinq minutes. Hors de question de multiplier les prises. Je ne peux pas demander à Marion de rejouer à l’infini une scène aussi chargée émotionnel­lement ; on ne fait d’ailleurs aucune répétition de jeu, juste une mise en place. Et je ne peux exiger un tel effort physique de notre steadycame­r, Roberto De Angelis qui, la veille, a appris que son père est mourant. S’il ne rentre pas le soir même, il risque de ne jamais le revoir… Il règne donc une ambiance particuliè­re sur le plateau. Tout le monde veut réussir cette scène pour libérer Roberto au plus vite. »

Une actrice et une caméra

« Pendant ce plan-séquence, la caméra bouge dans tous les sens. Il n’y a que deux personnes sur le plateau (outre les personnage­s que Piaf croise dans ses allers-retours) : Marion et le steadycame­r. Le reste de l’équipe regarde le combo à l’extérieur. Ce jour-là, je n’échange quasiment pas avec Marion. Nous sommes au milieu du tournage. Je sais son niveau de préparatio­n et à quel point ce plan représente, pour elle aussi, un saut dans le vide. J’essaie juste de l’économiser au maximum au cas où on ait besoin de refaire la scène plusieurs fois. Mais dès la première prise, elle se révèle parfaite. »

Le temps de la délivrance

« J’arrête cette première prise car il y a eu un souci technique.

Cela confirme qu’à chaque seconde, ce plan peut capoter. Je ne cherche pas la perfection mais la vérité du moment et évidemment, que ce soit le plus propre possible. On se lance pour la deuxième et là, on va au bout. Quand je dis “Coupez”, Marion fond en larmes. Elle a tout donné, je ne vois pas comment elle peut aller plus loin. Le steadycame­r est bouleversé : il sait qu’il peut quitter le tournage. On me demande si je veux refaire la prise. On la revisionne. Et c’est bien la bonne. Il est 14 heures. Le directeur de production me demande ce qu’on fait. Je lui réponds qu’on rentre à l’hôtel. Personne n’avait l’énergie d’enchaîner. »

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