Première

FLEABAG SUR SEINE

Un remake de Fleabag, la fabuleuse série de l’Anglaise Phoebe Waller-Bridge ? C’est le pari, risqué, de Mouche, la nouvelle création originale de Canal+. Ses deux atouts : la réalisatri­ce de Pupille, Jeanne Herry, et la star de Dix pour cent, Camille Cott

- PAR CAROLINE VEUNAC

« JE ME LAISSE PORTER PAR LA DIRECTION DE JEANNE [HERRY], SANS PLUS TROP SAVOIR QUAND ON SE RAPPROCHE OU QUAND ON S’ÉLOIGNE DE LA SÉRIE ANGLAISE. » CAMILLE COTTIN

Allez les meufs, on y va ! » À la fois copine et chef, autoritair­e juste ce qu’il faut, Jeanne Herry demande une nouvelle prise. Ses trois actrices, Camille Cottin, Suliane Brahim et Anne Dorval, bonnes petites soldates, regagnent leurs marques. Ambiance détendue mais studieuse. L’équipe de Mouche, l’adaptation française de la série anglaise Fleabag, a moins de six semaines pour tourner six épisodes de 30 minutes. « C’est serré », confie Jeanne Herry sans stress apparent. Après le succès de son film Pupille, et forte d’une première expérience sérielle aux manettes de deux épisodes de Dix pour cent, la réalisatri­ce s’est vu confier l’écriture et la mise en scène de ce remake estampillé Canal+. Aujourd’hui, dans une maison chic et bohème du quartier des Abbesses, elle a trois scènes à mettre en boîte. À la voir organiser celle de ce matin – une confrontat­ion entre Mouche, sa soeur Louise et leur méchante belle-mère Marraine –, on est impression­né par sa déterminat­ion calme. Pas de doute : ce projet lui appartient.

C’était pourtant une gageure que de s’approprier une série si fortement identifiée à sa créatrice-interprète. En 2016, sur la BBC, Fleabag révèle une voix, un visage et un corps fulgurants : ceux de Phoebe Waller-Bridge, grande gigue aristocrat­ique au cynisme défensif et au verbe cru, déballant les déboires sexuels et affectifs d’une Londonienn­e partagée entre soif d’affection et haine de soi. Deux ans plus tard, la voilà réincarnée dans la peau de notre Camille Cottin nationale. Comment éviter la perte de singularit­é quand on transpose un matériau aussi personnel, impudique même, dans une

autre langue et dans la corporalit­é d’une autre comédienne ? « Oui, Fleabag, c’est Phoebe Waller-Bridge, sa façon de penser, sa façon d’être, répond sans ciller Jeanne Herry. Mais la partition écrite a son autonomie. Moi qui viens du théâtre, je sais bien qu’un même texte peut être joué et interprété différemme­nt par une autre troupe, un autre metteur en scène. »

Série universell­e

Pour s’approprier le personnage, Camille Cottin a préféré ne pas revoir la série d’origine. « J’ai abordé le travail avec seulement la mémoire de ce qui m’avait marquée, du coup, c’était plus facile de redécouvri­r le texte. Je me laisse porter par la direction de Jeanne, sans plus trop savoir quand on se rapproche ou quand on s’éloigne de la série anglaise. » Vérificati­on sur le plateau. Clap, ça tourne. Mouche et Louise se faufilent dans l’atelier de Marraine. Répliques sarcastiqu­es, regards frondeurs : l’interpréta­tion de Camille Cottin fait écho à celle de Phoebe Waller-Bridge. Mais sans mimétisme. Mutine, la Française va chercher quelque chose de plus enfantin. Face à elle, Suliane Brahim (vue notamment dans Zone blanche, sur France 2) joue la partition de la soeur rigide et verrouillé­e. Puis Anne Dorval entre en scène. Mielleuse à souhait, l’actrice québécoise succède à Olivia Colman avec panache. « C’est très jouissif de jouer une méchante », nous glissera-t-elle à la pause déj. La rivalité de deux soeurs. L’incommunic­abilité entre une fille et son père. Les saillies passives-agressives d’une marâtre. Pour Jeanne Herry, parce qu’elle fouille la complexité des relations familiales, Fleabag est universell­e. « La série n’est pas particuliè­rement anglaise à mes yeux. Les scléroses familiales, on les retrouve partout. Et puis l’époque produit partout les mêmes névroses, et les mêmes rires aussi du coup. » Portrait ultra contempora­in d’une trentenair­e tiraillée entre consommati­on sexuelle et spectre de la solitude, normes sexistes et injonction­s féministes, Fleabag fait partie de ces oeuvres très personnell­es qui parlent à beaucoup de monde. Pour que Mouche soit aussi éloquente, il fallait trouver sa propre singularit­é, son propre accent. Et notamment traduire l’anglais très culotté de Fleabag sans sombrer dans la vulgarité, ni sonner faux. C’est ainsi que le vrai surnom d’enfance de Camille Cottin, Mouche, est devenu le titre français plutôt que Sac à puces, traduction littérale jugée trop désuète. Fidèle à l’esprit, la version française a aussi pris quelques libertés narratives, puisque chaque épisode comptera deux ou trois séquences inédites. Quant à la mise en scène, si elle conserve les regards caméra et les flash-back, elle tente d’insuffler à la série une petite musique subtilemen­t parisienne. « Comme dans l’originale, il y a peu de place pour les plans larges et les décors de carte postale, constate Jeanne Herry. Alors on fait suinter Paris dans les petits détails, comme le choix des quartiers. » Le bar à thé de Mouche et sa meilleure amie Nini s’est ainsi installé dans le cadre popu-hipster du XIe arrondisse­ment. Le casting, où se croisent Didier Flamand, Pierre Deladoncha­mps, India Hair – ainsi qu’un talentueux cochon d’Inde baptisé Daphné – est venu parachever cet effort de francisati­on.

« Camillette, on y retourne ! Tu la refais, mais en la toisant cette fois. » De prise en prise, Jeanne Herry et Camille Cottin explorent les nuances d’un personnage qui déjoue les stéréotype­s d’une féminité douce et docile. Un genre dont l’actrice, après Connasse et Andréa [ Dix pour cent], est en train de devenir spécialist­e. « Ce n’est pas délibéré, assure-t-elle. Mais tous ces projets ont été pilotés par des femmes qui ont une féminité dont je me sens proche. Éloïse Lang, Fanny Herrero, Jeanne Herry, ce ne sont pas des petites choses fragiles. » Londonienn­e, parisienne, au fond peu importe, pourvu que Fleabag reste une sale gosse. « Elle est intéressée, dilettante, elle a une large dose d’antipathie et de perversion, énumère Jeanne Herry. Mais plus elle montre ses défauts, plus elle est attachante. »

« L’ÉPOQUE PRODUIT PARTOUT LES MÊMES NÉVROSES, ET LES MÊMES RIRES AUSSI DU COUP. » JEANNE HERRY

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 ??  ?? Camille Cottin et Suliane Brahim
Camille Cottin et Suliane Brahim
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Didier Flamand et Camille Cottin
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Moodboard du personnage de Mouche

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