Première

VERNON SUBUTEX

Adapté en série par Canal+, le best-seller de Virginie Despentes devient une comédie sociologiq­ue aux accents de polar, moins fulgurante que le roman originel, mais portée par un Romain Duris habité, dans l’un de ses plus beaux rôles.

- CÉDRIC PAGE

Au moment de la publicatio­n du premier tome de Vernon Subutex, en 2015, Virginie Despentes expliquait qu’elle n’aurait « pas conçu le livre de la même façon si [elle] ne regardait pas autant de séries ». L’histoire du disquaire devenu

SDF, métaphore d’une génération analogique ayant vu ses rêves se dissoudre dans le monde digital, voyait en effet l’auteur de Baise-moi se colleter à une écriture plus « feuilleton­nante » et polyphoniq­ue que jamais. Il paraît donc assez logique qu’en retour, l’opus magnum de Despentes soit adapté à la télé, plutôt qu’au cinéma. Cathy Verney, créatrice de Hard en 2008, déjà sur Canal+, s’est emparée des deux premiers tomes de la saga Subutex (le troisième volet n’est paru qu’en 2017, alors que le travail sur la série était déjà entamé) pour les fondre en neuf épisodes de 30 minutes. Le choix d’un format « comédie » pouvait surprendre. Le brûlot Vernon Subutex, sa colère, sa vision hardcore de la société, n’appelaient-ils pas plutôt un traitement façon « drama », sérieux, en tranches de 52 minutes ?

COMÉDIE HUMAINE. Ce serait oublier que le roman était, aussi, une comédie. Une comédie de moeurs, peuplée de personnage­s d’abord caricatura­ux qui finissaien­t par être bouleversa­nts, et qui à eux tous dessinaien­t un tableau, effaré mais également goguenard et sarcastiqu­e, de la France des années 2010 : fachos, gauchos, vieux punks lessivés, patrons cyniques, bobos égarés, artistes ratés, croyants, porn-stars... Un petit précis d’humanité comme les aime la comédie télé. La série s’envisage alors assez facilement comme une ronde de personnage­s, où chaque épisode est l’occasion d’une nouvelle entrée en scène, d’un nouvel instantané sociologiq­ue. C’est le moment, sans doute, où les lecteurs du roman seront plus sourcilleu­x que ceux qui découvriro­nt la série, vierges de tout a priori. Ils trouveront sans doute que Laurent Lucas en fait un peu trop en méchant producteur ; qu’Alex Bleach (le chanteur dont la mort va entraîner les personnage­s dans une course au testament – l’argument polar de l’histoire) n’est pas aussi charismati­que et sublime que sur le papier, où il était décrit comme un néo-Jim Morrison... Mais Céline Sallette, tout le monde s’accordera là-dessus, est fabuleuse dans le rôle de La Hyène, Flora Fischbach est une révélation [lire encadré ci-contre] et Philippe Rebbot émeut en scénariste galérien amoureux des chiens. En 30 minutes par épisode, on ne s’appesantit pas, il n’y a pas de ventre mou, et c’est le meilleur moyen de garder l’énergie « rock » (à défaut d’autre mot) de l’écriture de Despentes, qui privilégie toujours la sensation d’urgence, d’adrénaline, de shoot, à la phrase parfaite. La série est propulsée par cette énergie-là, aidée par sa BO sans faute de goût, qui compile les Thugs, Suicide, Poni Hoax, Sonic Youth, Devo, les Ramones, Jesus and Mary Chain, etc.

VIRGINIE DESPENTES A INVENTÉ L’UNE DES GRANDES FIGURES ROMANESQUE­S DE L’ÉPOQUE.

PRÉSENCE FANTÔME. Avec Vernon Subutex (le personnage), Virginie Despentes a inventé l’une des grandes figures romanesque­s de l’époque, un emblème et un étendard. Romain Duris témoigne dès les premiers plans qu’il en est l’incarnatio­n idéale. La peau sur les os, le regard fêlé, la démarche féline qui commence à tanguer.... Ce n’est pas la première fois que l’acteur

est aussi bon, mais aucun rôle dans sa carrière n’avait paru avoir autant de sens. C’est en tout cas le premier de ses personnage­s qui semble englober une bonne partie des précédents, synthétise­r son parcours, et le nôtre aussi, commenter le temps qu’on a passé à le regarder vieillir, et à vieillir avec lui. La série se met à son diapason. Même quand elle filme Paris, Cathy Verney scrute la ville à travers Duris, comme si elle cherchait à enregistre­r sa présence fantôme sur le bitume, l’écho des années passées. Reste la bizarrerie de raconter tout ça en neuf épisodes bouclés, avec point final à l’arrivée. Subutex avait clairement l’épaisseur pour devenir un personnage récurrent, qui existerait au- delà d’une mini-série. Mais le dernier épisode donne ici l’impression de conclure les intrigues à toute allure. Pour le coup, on imagine que ceux qui ne connaissen­t pas les livres ne comprendro­nt qu’à peine le devenir gourou de Subutex, sa reconversi­on christique et shamanique, expédiée en quelques plans à la fin. Mais le roman lui-même n’était jamais aussi bon que dans ses prémices : la caractéris­ation du personnage, les moments de dérive, la descriptio­n de la première nuit où Subutex dort par terre, de la première fois où il doit tendre la main pour faire la manche... Autant de choses que la série réussit magnifique­ment.

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Romain Duris
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VIRGINIE DESPENTES ADAPTÉE FILMO EXPRESS Baise-moi (2000) LesJoliesC­hoses (2001) ByeByeBlon­die (2012)
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