CONFIDENTIEL L’Héritage des 500 000 de Toshiro Mifune
Toshiro Mifune, acteur fétiche de Kurosawa, a réalisé un unique film, L’Héritage des 500 000. Marqué par l’empreinte du maître, inédit en France, il sort enfin en salles en version restaurée.
Après cinq minutes de film, une scène réunit Toshiro Mifune et Tatsuya Nakadai – son rival historique mais néanmoins ami, jusqu’à leur brouille dans les années 70. Le second, homme d’affaires mystérieux, tente de convaincre le premier, ancien militaire, de retourner aux Philippines pour y déterrer « l’or de Yamashita », ce trésor mythique que les Japonais auraient caché au cours de leur occupation du pays pendant la Seconde Guerre mondiale. Un plan large montre les deux acteurs attablés au restaurant, discutant. Intervient un Américain. Le plan se resserre mais pas trop. Cette conversation s’achève en champ-contrechamp sur Nakadai et Mifune, enfin cadrés en gros plan. Enfin ? « Teruyo Nogami, la scripte, a raconté qu’en raison de sa timidité et de sa modestie, Mifune n’avait pas osé demander à son chef opérateur, Takao Saito, de faire des
gros plans sur lui, rapporte Pascal-Alex Vincent, spécialiste du cinéma japonais qu’il enseigne à l’université Paris 3. Il considérait ça mal élevé ! Il préférait donc les plans larges... C’est en voyant les rushes en salle de montage qu’Akira Kurosawa, très sévère envers son acteur fétiche, lui a imposé de faire de nouvelles prises. Quasiment tous les gros plans et inserts ont ainsi été ajoutés aprèscoup et tournés à Tokyo. »
Kurosawa, qui n’avait aucun intérêt dans le film, pouvait néanmoins légitimement mettre son grain de sel dans la mesure où il avait « prêté » à Mifune la crème de ses collaborateurs. Outre Nogami et Saito, le scénariste Ryuzo Kikushima est également de la partie, soit une bonne partie de l’équipe qui a contribué à Sanjuro, tourné juste avant par le cinéaste, avec Mifune et Nakadai dans les rôles principaux. À se demander pourquoi L’Héritage des 500 000, film d’aventures viril projetant une bande de baroudeurs dans un environnement hostile, n’est pas un film de Kurosawa. Petit retour en arrière. En 1962, Toshiro Mifune décide de monter sa propre structure, Mifune Productions, dont L’Héritage des 500 000 est le premier projet. Il décide tout naturellement de le réaliser, à la fois pour affirmer son indépendance et pour imiter sa camarade Kinuyo Tanaka, l’égérie de Mizoguchi passée avec succès derrière la caméra dix ans plus tôt avec Lettre d’amour. « Mais pendant le tournage aux Philippines, Mifune se rend vite compte qu’il n’aime pas réaliser. Comme il bénéficie d’une équipe de pointe, tout se passera plutôt bien », confie Pascal-Alex Vincent. Musclé par Kurosawa (qui, selon Vincent, squatta la salle de montage), le film, de facture classique et d’une efficacité narrative à l’américaine, évoque irrésistiblement le cinéma du maître. « C’est partiellement un film de Kurosawa, atteste Vincent. La pièce manquante pour ses exégètes. » L’HÉRITAGE DES 500 000 De Toshiro Mifune • Avec Toshiro Mifune, Tatsuya Mihashi, Tsutomu Yamazaki... • Durée 1 h 38 • Sortie 3 avril