CARTOGRAPHIE Qui peut sauver les séries SF françaises ?
Osmosis, nouveauté Netflix, est la dernière tentative des séries françaises en matière de science-fiction. Passage en revue de ces essais toujours ambitieux, souvent au goût d’inachevé...
DES FLICS ?
Section Zéro et Emma saupoudrent d’éléments SF un sous-genre spécifique. Emma est une énième série policière du jeudi soir sur TF1 où la recette usuelle noie son pitch premier : le duo de flics mal assortis, vétéran contre jeune bleu, à ceci près que la nouvelle recrue, brillante, sans émotions et socialement maladroite, est un androïd à l’apparence féminine. La chaîne met au rebut ce succédané d’Almost Human après deux épisodes, préférant miser sur une autre saison d’Alice Nevers. Section Zéro est, elle, une nouvelle déclinaison du « Olivier Marchal Universe », avec flics couillus, violence et noirceur, mais décuplés puisque la série est sise en 2024, où tout est forcément pire : les multinationales contrôlent le monde et veulent faire la loi avec leurs propres super-policiers robotisés. Un dernier groupe de flics à l’ancienne, la Section Zéro du titre, résiste avec les mêmes armes que Braquo – méthodes illégales et insultes peu châtiées. Les références abondent (Mad Max, Blade Runner, les séries B d’action tournées en Bulgarie), et l’ADN « marchalesque » reste désespérément le même.
DES IMMORTELS ?
Avec Transferts et Ad Vitam, un dyptique dystopique informel, Arte s’attaque au thème de l’immortalité. Dans la première, on peut déplacer l’esprit d’un corps à un autre. La technologie devient prohibée lorsque certains « transférés » perdent la raison tandis que la police traque ceux qui se planquent dans cette nouvelle société. Marchandisation des corps, état policier et troubles identitaires sont les thèmes convoqués via le personnage de Florian, tranquille ébéniste projeté dans le corps d’un flic poursuivant les transférés. Face à ce futur stérile, Ad Vitam penche vers une stylisation plus poussée avec ses éclairages bleus et rouges, ses apparitions impromptues de méduses à l’écran, à travers un monde où l’immortalité est à portée de main. Mais tout le monde n’est pas prêt à être centenaire en ayant 30 ans en apparence, et c’est un fossé existentiel qui se creuse entre les éternels et des jeunes prêts à mourir pour des raisons spirituelles. Emballés comme des thrillers, ces one shots d’Arte sont aussi traversés de questions sur l’immor(t)alité de l’âme, avec un retour du religieux, via l’Église chamboulée et les sectes remontées. « N’ayez pas peur » disait Jésus-Christ. Un brin tout de même...
DES ASTRONAUTES ? Le point de départ de Missions est à la fois ambitieux, moqueur et méta : la première mission européenne pour Mars débarque sur la Planète rouge pour constater qu’elle a été précédeée par des Américains, venus avec un vaiseeau plus rapide. Ces derniers ont disparu et s’amorce un mystère existentiel, avec l’apparition d’un cosmonaute russe censé être mort dans les années 60. À la fois ambitieuse et consciente de ses limites (ses scènes de vaisseau spatial tournées à La Rochelle), la série regarde vers l’illustre généalogie de la SF d’auteur au cinéma — entre autres Solaris, Interstellar, 2001, l’odyssée de l’espace ou Moon —, les labyrinthes mentaux à la Lost, et y farfouille pour chercher des réponses sur l’origine de l’humanité, le passé de ses personnages (surtout celui de la psychiatre de l’équipage) et jouer avec les références. Missions prouve aussi qu’on peut être métaphysique sans tirer inutilement à la ligne : chaque épisode de 26 minutes contient assez de questionnements et de rebondissements. Une saison 2 est à venir. DES E.T. CH’TIS ?
Suite de P’tit Quinquin et vrai ovni de cette liste,
mais toujours garanti ch’ti. Quinquin est devenu Coincoin et milite dans un parti d’extrême droite, le commandant Van der Weyden chasse les migrants : le cadre idéal pour une variation sur L’Invasion des profanateurs de sépultures, à base de magma extraterrestre vivant — de la merde tombée du ciel ou un nouveau genre de peste brune, c’est selon — qui duplique toute personne qui entre en son contact. Où sont la copie et l’original ? Qui est vraiment z’inhumain ? Bruno Dumont a à peine besoin d’aliens, tant ses habitants du Nord ont déjà la diction étrange. Sa mécanique du clonage épouse, elle, le comique de répétition de la série (le même gag encore et encore), dans un dérèglement foutraque, à des années-lumière des fictions tout en lignes claires évoquées ici. AGATHE BONITZER ? Tirée d’une websérie et pas très éloignée du pitch de l’épisode « Hang the DJ » de Black Mirror, Osmosis mise sur notre addiction aux relations virtuelles. À Paris, dans un futur proche, la société Osmosis vous promet de trouver l’âme soeur grâce à un implant dans le cerveau. Sur la foi des premiers épisodes, la série feuilletonne sur ce qui aurait pu être une succession de rendez-vous apéros au bord du canal Saint-Martin, via les affres des premiers testeurs d’Osmosis, qui ont identifié la cible de l’amour parfait, sauf que celle-ci n’en sait rien. Comment aborder celui ou celle dont on vous a promis qu’il ou elle est l’élu(e) ? Est-ce de l’amour si c’est programmé ? Sur un mode plus lo-fi que high-tech, Osmosis donne le ton dès le premier épisode lorsque la tête pensante de la société (Agathe Bonitzer) déambule dans un environnement en VR qui tient de l’hôtel particulier huppé. La série confirme l’horizon naturel de la SF à la française, où il s’agit d’avoir les idées sans forcément les moyens à l’américaine, de mettre en scène une réalité — la nôtre — tout juste décalée et augmentée.