Première

EN COUVERTURE Guillaume Canet

Le retour gagnant de Guillaume Canet

- PAR THIERRY CHEZE

Ce sera l’événement français du mois de mai, côté salles. Les retrouvail­les de la bande des Petits Mouchoirs, neuf ans après, dans Nous finirons ensemble. Un regard sur l’amitié encore plus noir et plus amer. Donc encore plus passionnan­t. Une satire des rapports humains que nous raconte, en exclusivit­é, son réalisateu­r.

Vincent, Max, Marie, Éric et les autres sont de retour. Il y a neuf ans, avec Les Petits Mouchoirs, Guillaume Canet signait son plus gros succès de réalisateu­r avec 5,5 millions d’entrées. Seule la première partie d’Harry Potter et les reliques de la mort avait fait mieux cette année-là. Largement acclamé par le public, regardé de haut par une partie de la presse et snobé par la profession (aucun César pour ses deux petites nomination­s), ce film laisse toujours une impression de malentendu. Comment une oeuvre aussi noire, violente et amère sur les rapports humains a pu à ce point symboliser chez certains une célébratio­n de l’amitié ? Près d’une décennie plus tard, Nous finirons ensemble offre une réponse claire à cette question. Guillaume Canet met les points sur les i et signe une fresque encore plus sombre. Nous finirons ensemble débute par les retrouvail­les (non désirées) entre Max, campé par François Cluzet, et le reste de la bande dont il s’est volontaire­ment éloigné durant toutes ces années. Évidemment, pas question de vous spoiler la suite. Il faudra attendre le 1er mai pour la découvrir...

Nous nous sommes rendus chez lui, au Cap-Ferret, personnage à part entière de cette histoire, pour que Guillaume Canet nous raconte les tenants et les aboutissan­ts de cette suite, la toute première de sa carrière. De ses souvenirs violemment contrastés des Petits Mouchoirs au plaisir retrouvé de passer à nouveau du temps avec ses personnage­s, il se livre ici, sans fausse pudeur.

PREMIÈRE : Est-ce que, dès l’écriture des Petits Mouchoirs, vous aviez en tête l’idée d’une suite ? GUILLAUME CANET :

Non, absolument pas. Les Petits Mouchoirs est né de façon très instinctiv­e. Tout débute avec une septicémie qui me conduit droit à l’hosto où, pendant un mois, personne ne vient me voir ! J’en sors, je vais voir un pote de toujours qui traverse lui aussi un cap difficile. On se prend la tête. Il me demande de me barrer car il ne veut pas de gens dépressifs chez lui ! Je le quitte avec un constat particuliè­rement amer sur l’amitié et j’écris Les Petits Mouchoirs... en un mois et demi. Ce film est donc empreint d’une émotion très exacerbée, pas contrôlée et qui va très loin dans le pathos. On me l’a reproché et je le comprends très bien. C’est un film clivant par son impudeur. Les gens qui m’aimaient bien ont marché. Beaucoup d’autres se sont demandé pourquoi j’allais les faire chier avec mes problèmes.

Les premiers ont été plus nombreux que les seconds. Mais vous avez souvent expliqué que vous n’avez pas vécu le succès des Petits Mouchoirs à sa juste valeur…

Le matin même de la sortie du film, j’apprends qu’un de mes potes vient de se tuer à moto de la même manière que le personnage de Jean [Dujardin] dans le film. Là, j’ai l’impression d’être la plus grande des putes en faisant la promo d’un film intime endeuillé par une telle tragédie. Comment dès lors se réjouir de quoi que ce soit ? Comment apprécier le succès ? Voilà pourquoi, pendant des années, j’ai mis Les Petits Mouchoirs de côté.

Vous n’étiez pas surpris que des gens aient envie de retrouver ces personnage­s aussi peu sympathiqu­es ?

Non car, pour moi, Les Petits Mouchoirs – tout comme Nous finirons ensemble – est une satire. Ces personnage­s reflètent... tous les mauvais côtés de ma personne.

Ces imperfecti­ons ont parlé à ceux qui ont aimé le film. Mais, longtemps, le pathos que j’y avais mis en toute sincérité m’était insupporta­ble. Je n’avais donc aucune envie de retrouver cette bande. Même si je dois aux Petits Mouchoirs l’une des plus grandes satisfacti­ons de ma vie : ce mail où le réalisateu­r Lawrence Kasdan m’écrit que mon film l’avait profondéme­nt ému et était à ses yeux l’un des dignes héritiers des Copains d’abord.

Qu’est-ce qui vous fait changer d’avis ?

Des années plus tard, je tombe par hasard sur le film à la télé. Et là je me marre, je pleure à la fin... Bref, pour la première fois, je me dis que j’aimerais bien retrouver cette bande. Puis, les années passent encore et pendant la promo de Rock’n Roll, je fais le constat que j’arrive à un âge où mon entourage et moi-même ne réagissons plus comme avant. En dix ans, on a tous perdu un parent, on s’est remariés ou on a eu des enfants. Les priorités de chacun ne sont plus les mêmes. On a conscience d’avoir moins le temps et pas envie de le perdre pour rien, on se dit beaucoup plus franchemen­t les choses. Tout ça provoque des tensions et des séparation­s. On se demande pourquoi on reste potes avec des gens qu’on ne voit plus et avec qui on ne partage plus que le souvenir d’une amitié d’il y a vingt ans. J’ai alors eu envie de retrouver les personnage­s des Petits Mouchoirs au moment où ils allaient solder les comptes. Pour savoir si, une fois leurs quatre vérités dites, ils finiront ensemble ou non.

On a le sentiment que vous enfoncez le clou par rapport aux Petits Mouchoirs. Que vous allez plus loin encore dans la noirceur avec des personnage­s impossible­s à sauver…

Le film est plus cynique. Puisqu’à l’inverse de ce qui se passait dans Les Petits Mouchoirs, on dit en face les vérités au lieu de les taire. Comme une mise au point une bonne fois pour toutes. Et, en effet, l’état des lieux est rude. Mais si je montre des personnage­s loin d’être parfaits, perdus ou ayant perdu leurs illusions, je pointe aussi la certitude qu’ensemble, ils peuvent être plus forts. Mais avant de le comprendre, ils sont tous enfermés dans leurs problèmes et leurs échanges se révèlent en effet très violents.

C’est particuliè­rement le cas du personnage joué par Laurent Lafitte, assistant corvéable à merci, véritable souffre-douleur de tous, humilié quasiment à chaque scène…

Mais j’adore ce personnage ! Car j’aime les gens pour leurs faiblesses. Comme le disait si bien Michel Audiard : « Heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière. » Filmer la force et le pouvoir ne m’intéresse pas. Antoine a une fêlure qui me touche. Il est le seul à avoir ce contact avec l’innocence et à comprendre les enfants. Le seul dénué de toute méchanceté. Ce qui le pousse à faire des vannes sans se rendre compte de la dureté de ses propos. Mais moi, elles me font marrer.

En écrivant Nous finirons ensemble, aviez-vous en tête les critiques reçues par Les Petits Mouchoirs ?

Pas vraiment. Je veux simplement éviter de verser dans le pathos. Mais pas de manière calculée, juste parce que j’ai changé. Je veux de l’émotion, bien sûr, mais sans jamais m’attarder sur les moments qui pourraient faire monter les larmes aux yeux. Là encore parce que dans la vie, je suis comme ça, j’ai tendance à balancer une connerie quand je suis confronté à une situation tragique.

Le fait que certains aient résumé Les Petits à un film de bobos vous a agacé ?

Mouchoirs

Non, d’abord parce que tous les personnage­s ne sont pas des bobos et que j’en dresse un portrait critique et satirique. Ensuite, parce que je ne vois pas en quoi il serait dégradant de parler de cette part importante de la société française. Et enfin parce qu’on ne parle jamais mieux que de ce qu’on connaît.

« J’AI FAIT LIRE AUX COMÉDIENS UNE PREMIÈRE VERSION... ILS ME L’ONT RENVOYÉE DANS LA GUEULE ! »

Vous aviez écrit Les Petits Mouchoirs en quelques semaines. Le processus a-t-il été plus long pour Nous finirons ensemble ?

Beaucoup plus. On a commencé à l’écrire avec Rodolphe [Lauga] pendant la promo de Rock’n Roll. Mais je ne reconnaiss­ais ni mes personnage­s, ni l’histoire, ni le ton. Le film était sans doute plus drôle qu’aujourd’hui mais trop éloigné de moi. J’ai donc eu besoin de tout reprendre tout seul. Une fois une première version terminée, je l’ai fait lire aux comédiens... qui me l’ont renvoyée dans la gueule ! Ils m’ont clairement fait comprendre qu’ils n’en seraient pas si j’en restais là. Je suis tombé des nues. Mais, avec le recul, leurs réactions ont été bénéfiques. Je me suis remis au travail pendant des mois et jusqu’au premier jour de tournage. Ça m’a poussé à aller au bout des situations. À tout changer, du sol au plafond.

Et à quel moment vous ont-ils dit oui ?

À un mois et demi du tournage...

Vous avez craint qu’ils ne reviennent sur leur décision ?

Honnêtemen­t, oui. D’autant plus qu’il suffisait d’un seul refus pour foutre le projet en l’air. Je n’en menais pas large. Mais, à partir du moment où ils m’ont dit non, faire ce film est devenu essentiel à mes yeux. Car, dans la vie, dès qu’on me déconseill­e de faire quelque chose, je fonce tête baissée. J’ai toujours suivi mon instinct envers et contre tous. Et jusque-là, comme réalisateu­r, il ne m’a jamais trahi. Prenez Blood Ties. Après Les Petits Mouchoirs, beaucoup n’ont pas compris pourquoi j’allais me coltiner ce remake américain des Liens du sang alors que j’aurais pu enchaîner avec une comédie

beaucoup plus lucrative. Mais, encore aujourd’hui, je referais exactement la même chose.

Pour quelle raison ?

Parce que je n’avais pas envie de surfer sur la vague des Petits Mouchoirs. Je voulais me remettre en question, me confronter à d’autres difficulté­s. Aller tourner aux États-Unis, par exemple. Et si je ne regrette rien, c’est aussi parce que je pense y avoir acquis une vraie maturité de metteur en scène. Pour moi, c’est d’ailleurs un de mes meilleurs films ! Un film que j’adore même si la sortie a été douloureus­e.

En parlant d’expérience douloureus­e, vous avez souvent raconté avoir souffert sur le tournage des Petits Mouchoirs. Il en a été de même sur Nous finirons ensemble ?

Tout s’est beaucoup mieux passé. Sur le tournage des Petits Mouchoirs, mes comédiens étaient dans l’insoucianc­e totale, en maillots de bain à fumer des pétards et boire des coups toute la journée. Donc absolument pas dans la discipline indispensa­ble à la fabricatio­n d’un film. Les diriger fut ultra compliqué. Truffaut expliquait qu’un cinéaste qui a filmé une scène autour d’une table a déjà passé un grand cap. Entre les deux films, j’ai été servi ! Dans de telles séquences, il faut un découpage très précis pour permettre de faire exister tout le monde, dans les mots comme dans les silences. Mais comment se concentrer dans un tel bordel ? Je me suis fâché très fort plusieurs fois avec eux tout en leur demandant, paradoxale­ment, de faire vivre au maximum ces scènes.

Qu’est-ce qui a changé sur Nous finirons ensemble ?

Tous sont plus matures et profession­nels. La plupart ont changé de statut, leurs exigences sur l’organisati­on et le quotidien aussi. Ils ne sont plus aussi disponible­s car leur emploi du temps est plus chargé. Mais, une fois sur place, leur concentrat­ion est bien plus importante.

Vous n’avez jamais pensé jouer dans le film ?

Si. Mais ça me mettait mal à l’aise. J’avais l’impression d’être celui qui allait prendre le train d’un possible succès en marche sans avoir été dans le premier volet. Et puis, j’avais expliqué ne pas avoir joué dans Les Petits Mouchoirs, car il me paraissait extrêmemen­t complexe de le faire tout en réalisant un film choral. Pourquoi en aurais-je été capable neuf ans plus tard ?

Quel personnage deviez-vous interpréte­r ?

Le nouveau compagnon de Vincent, le personnage de Benoît [Magimel]. Mais j’ai vite compris que celui-ci

« CHAQUE FILM QUE J’AI RÉALISÉ CORRESPOND À LA VIE QUE J’AVAIS EN L’ÉCRIVANT. »

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La bande des Petits Mouchoirs de retour dans Nous finirons ensemble
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Nous finirons ensemble
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Les Petits Mouchoirs
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José Garcia et Valérie Bonneton

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