PORTRAIT François Civil
Après Le Chant du loup et Celle que vous croyez, il explose dans Mon inconnue, qui lui a valu le prix d’interprétation au festival de l’Alpe d’Huez. Quinze ans après ses débuts au cinéma, François Civil vit une période faste. L’occasion de regarder dans l
Si tout s’arrêtait là, ça m’irait, je serais déjà comblé. » Cette phrase, François Civil la prononcera plusieurs fois au cours de notre faceà-face, juste avant que ce féru de photo (qui nous commente deux images prises par ses soins de ses partenaires Joséphine Japy et Benjamin Lavernhe, en page 65) entame la tournée promo province de Mon inconnue. Sortis de leur contexte, ces mots pourraient traduire un manque d’ambition. Ce n’est pas le cas. Cette phrase raconte autre chose ; une capacité à profiter de l’instant présent. Et en ce début 2019 tonitruant, il aurait tort de s’en priver. Vous l’avez apprécié en jeune homme embarqué à son corps défendant dans une relation virtuelle dans Celle que vous croyez ? Vous l’avez aimé en militaire à l’oreille absolue dans Le Chant du loup ? Vous allez l’adorer dans Mon inconnue en auteur de bande dessinée de SF, projeté dans un monde parallèle cauchemardesque où il se retrouve à vivre la vie qu’il aurait dû avoir s’il n’avait pas rencontré la femme de sa vie. Il va d’ailleurs devoir la reconquérir pour se libérer de ce drôle de sort. Oui, François Civil traverse un de ces moments dont tout comédien rêve. Celui où les planètes s’alignent. Où le public se déplace en masse pour des films largement salués par la critique. Et où chaque performance est remarquée. Le risque dans ces cas-là, c’est d’être le « flavor of the day ». L’homme du moment. Mais il y a quelque chose de plus solide chez François Civil. Au fond, cette phrase-là sonne comme la ferme assurance, en apparence contradictoire, d’être à la fois totalement à sa place et d’avoir pleinement conscience de pouvoir très vite être éjecté par l’industrie. Pour comprendre cette lucidité, petit retour en arrière. Le cinéma a toujours été présent autour de lui. « Le meilleur ami de mon grandpère collectionnait les VHS de films qu’il enregistrait à la télé. C’était un cinéphile amoureux de plein de genres différents. Et nous, gamins, on en profitait. À côté des Disney, j’ai dû découvrir, en tremblant, Duel dès l’âge de 10 ans... mais aussi tout un tas de Demy. » Entouré de ses cousines, François Civil n’avait pas le choix puisque chaque visionnage était soumis aux votes : Les Demoiselles de Rochefort revenait souvent en tête.
Ce n’est pas en voyant ces classiques que ce fils d’universitaires a eu le déclic. Ni sur la scène de l’atelier théâtre qu’il arpente dès le CP ! « La responsable avait dit à mes parents que j’étais hyper à l’aise. Mais ils ont fait semblant de ne pas l’entendre. Ils tenaient à ce que j’aille jusqu’au bac. Même s’ils ont vite compris que
l’école n’était pas faite pour moi. J’étais à moitié hyperactif et rester concentré plus d’une heure sur une chaise tenait de l’exploit. » Il a donc fallu canaliser cette énergie débordante. Par un peu de sport et beaucoup de cours de théâtre. Mais toujours pas de vocation. « J’y suis juste allé parce qu’il y avait une fille que j’aimais bien. » Le destin de Civil lui doit beaucoup. Car, dans ce cours, à chaque fois qu’il monte sur scène, il se sent à l’aise. « Ces moments de bonheur intense canalisaient mon énergie. Et pourtant, à aucun moment, je me suis dit, du haut de mes 13 ans, que ce serait ma vie. » Comme souvent, au balbutiement d’une carrière d’acteur, il faut que d’autres y pensent pour vous. Pour François Civil, ce sera la directrice de casting Frédérique Moidon, dont la fille suit le même cours de théâtre que lui. Elle vient voir les spectacles, lui laisse son numéro pour faire des essais et parle de lui à sa soeur Brigitte qui s’occupe des auditions sur Ah ! si j’étais riche. À 15 ans, voilà sa carrière lancée. « Au début, j’ai cru à une entourloupe. Je n’osais dire à personne le montant de mon salaire tellement je pensais que c’était une erreur. Quand on m’a expliqué qu’il me fallait un agent pour continuer, je me suis demandé combien ça coûtait. Bref, je n’y connaissais rien et je me méfiais de tout. »
L’essentiel est ailleurs. Devant une caméra, quand il joue, il se sent bien. Alors, il va enchaîner les tournages. Dans tous les registres, du cinéma d’auteur (Soit je meurs, soit je vais mieux de Laurence Ferreira Barbosa) à la série TV, pour Disney Channel, Trop la classe où il « apprend réellement la réalité de ce métier : être au taquet sur le texte, savoir où se placer par rapport à la caméra ». Il fait sienne une devise qui ne le quittera plus : « Mieux vaut être pas trop mauvais dans plein de trucs qu’excellent dans un seul. » Un détour rapide par le cours Florent ; le refus de tenter le Conservatoire : « À l’époque, je faisais ça en dilettante. Ça frisait même le je-m’en-foutisme. Et comme je faisais plus jeune que mon âge, on m’a longtemps proposé uniquement des
« MIEUX VAUT ÊTRE PAS TROP MAUVAIS DANS PLEIN DE TRUCS QU’EXCELLENT DANS UN SEUL. » FRANÇOIS CIVIL
rôles de gamin de 15 ans. C’était frustrant. » La routine et l’ennui guettent, avec tout de même quelques moments fous. Comme lorsqu’il se retrouve à interpréter un bassiste dans Frank de Lenny Abrahamson, le futur réalisateur de Room. Un film bien cintré sur un groupe de pop avant-gardiste dont le leader est incarné par Michael Fassbender qui passe tout son temps le visage enfoui sous une grosse tête artificielle ! « Je l’ai côtoyé pendant deux mois entre le Nouveau-Mexique et l’Irlande. Et chaque jour, j’ai pris une claque. »
Mais la rencontre qui va tout changer a eu lieu quelques années plus tôt. Ceux qui vont faire dérailler la trajectoire de la comète s’appellent Igor Gotesman et Pierre Niney. « Igor cherchait un grand blond pour son court métrage Five. J’étais le seul petit brun à passer cette audition, poussé par le directeur de casting ! » Igor le choisit et naît entre les deux hommes une amitié qui dure toujours : « Ce qui nous unit vraiment, c’est le jeu. On s’amuse à créer des personnages et des mini-saynètes en soirée ou dans la rue, en mode totale impro. Ça m’a redonné le feu et la foi. Comédien, ça reste un métier très solitaire. Sans cette solidarité, il y a de quoi
devenir fou. » Dans cette joyeuse bande, Pierre Niney joue le rôle du premier de cordée. Il profite de sa notoriété pour développer la série Casting(s) sur Canal+, en entraînant ses potes dans l’aventure. C’est là que Civil rencontre Hugo Gélin et Benjamin Lavernhe, futurs metteur en scène et partenaire de Mon inconnue. Avec le long métrage Five d’Igor Gotesman, sorte de Péril jeune des années 2010, François Civil franchit un nouveau cap. Alors que le film divise, lui fait l’unanimité en gaffeur à côté de la plaque mais jamais ridicule. Dans la foulée, les propositions affluent, dont beaucoup reproduisent sans imagination cet emploi de sidekick. « J’ai commencé alors à apprendre concrètement qu’un parcours se bâtit sur des refus. Entre 15 et 25 ans, j’ai mangé un peu à tous les râteliers – films, téléfilms, séries – au gré des castings que je décrochais. Puis, la bascule s’est faite. J’ai reçu des propositions directes. D’ailleurs, dans un premier temps, je me suis senti moins à l’aise dans cette position de “pouvoir”. » C’est Juliette Binoche, sa partenaire dans Celle que vous croyez, qui l’a aidé tout récemment à débloquer les choses en les formulant. « Il y a un changement mental à opérer. Ne plus seulement aller aux castings pour savoir si tu plais à un réalisateur mais pour savoir si le réalisateur te plaît. »
Depuis Five, François Civil ne s’est guère planté. En tournant avec Cédric Klapisch dans Ce qui nous lie, en s’aventurant efficacement dans le film de genre avec Burn Out puis avec le triptyque Chant du loup – Celle que vous croyez – Mon inconnue et en attendant Deux Moi, ses retrouvailles avec Klapisch prévues pour le 11 septembre... On l’écrivait dans ces colonnes il y a quelques mois et on n’en démord pas : l’année 2019 sera l’année Civil. Et après ? « J’espère que j’existais déjà l’année dernière et que j’existerai encore l’année prochaine, dit-il en riant. Mais surtout que ce tourbillon de films m’apportera une visibilité auprès de cinéastes qui n’auraient pas pensé spontanément à moi. » On a failli le rassurer : il y a peu de chance que ça s’arrête.