Première

INTERVIEW Joe Cornish

Joe Cornish, le destin d’un cinéaste

- PAR SYLVESTRE PICARD

Après Attack the Block en 2012, Joe Cornish aurait pu devenir un artisan de franchises à blockbuste­r : à la place, il a passé sept ans à peaufiner son deuxième film, Alex, le destin d’un roi, ressuscita­nt la légende arthurienn­e dans l’Angleterre contempora­ine. Rencontre.

En 2012, Attack the Block avait tout l’air du premier film idéal pour se faire un nom. Alors que l’air du temps n’était pas encore saturé de nostalgie 80s, Joe Cornish rendait hommage aux films de sa jeunesse en faisant pleuvoir des aliens dans une cité HLM anglaise (et révélait John Boyega – la franchise Star Wars lui dit merci). Sept ans plus tard, le revoilà avec son deuxième film en tant que réalisateu­r : Alex, le destin d’un roi, ou comment un collégien réunit une nouvelle Table ronde pour lutter contre une invasion démoniaque dans l’Angleterre contempora­ine. Un film en forme de profession de foi, pour un cinéma de divertisse­ment innocent et pur ; un film qui a connu un flop sévère lors de sa sortie US, en janvier dernier. Alors que la France est l’un des derniers pays où Alex, le destin d’un roi est distribué (il restera la Pologne en mai et Hong Kong en juin), nous avons rencontré Joe Cornish, qui ne regrette absolument pas d’avoir pris le risque d’aller à contre-courant de l’industrie en se battant pour un projet dont il est fier.

PREMIÈRE : Bon, Joe, ça fait longtemps...

JOE CORNISH :

Oui, ça fait un bail. Qu’est-ce qui m’a pris autant de temps ? Eh bien, après Attack the Block, je suis reparti directemen­t travailler sur le script d’Ant- Man. Ça a duré jusqu’en 2014. Je suis resté loyal à Edgar [Wright] lorsqu’il a quitté le projet parce qu’on avait commencé à travailler là-dessus avant même Attack the Block ou Les Aventures de Tintin [le film de Spielberg qu’il a cosigné avec Edgar Wright et Steven Moffat]. Sinon, j’ai écrit. J’ai passé du temps sur l’adaptation du roman Le Samouraï virtuel [le livre culte de Neal Stephenson] pour Paramount. Un bouquin fantastiqu­e. Le studio adorait le script, mais ils ont fait Ghost in the Shell et ils pensaient qu’ils n’avaient pas besoin de faire deux films cyberpunk au même moment. Bon, OK. On travaille toujours dessus avec Neal, on veut en faire une série télé. J’ai aussi travaillé sur l’épopée steampunk Rust, le film d’espionnage, situé en 1919, Section 6... Tout cela pendant l’écriture d’Ant- Man. Ça arrive tout le temps à Hollywood : ils ne vont pas jusqu’au bout des projets. On m’a proposé aussi beaucoup de grosses franchises...

Justement, j’ai fait une petite liste : on vous a rattaché à la réalisatio­n de Kong : Skull Island, Hunger Games, Star Trek : Sans limites, Gambit, le cinquième Die Hard. Je n’oublie rien ?

Si. Il y avait aussi The Flash, Donjons et Dragons, Le Livre de la jungle, La Grande Aventure LEGO 2…

Et vous n’avez jamais dit oui.

Voilà comment ça se passe, à chaque fois. Mon agent m’appelle et me dit : « J’ai reçu ça. Est-ce que ça t’intéresse ? » Et moi je réponds : « Eh bien, c’est extrêmemen­t flatteur. Parlons-en. » Et on en parle. Mais faire un film, cela demande plusieurs années de votre vie. On se pose la question de savoir si on va réussir. Est-ce que j’aime suffisamme­nt le sujet pour y consacrer toute l’énergie nécessaire ? La plupart de ces projets m’excitait beaucoup, mais je pensais à chaque fois que c’était trop tôt pour moi. En plus, j’ai vu certains amis et collègues passer d’un petit film à un gros. Parfois ça marche très bien, parfois non. Et les réalisateu­rs qui ont réussi le grand saut, comme Rian Johnson, ont préféré faire trois ou quatre films avec des budgets de plus en plus gros à chaque fois, avant de s’attaquer aux blockbuste­rs. Comme ça, tu as plus de contrôle et tu sais comment fonctionne la grande machine. Si tu passes de l’indé à la grosse franchise, tu peux te faire écraser. Donc, je me suis dit : si je peux faire un plus gros truc, pourquoi ne pas faire quelque chose qui me tienne vraiment à coeur ?

Vous avez donc choisi de tourner Alex, le destin d’un roi.

J’ai ressuscité un souvenir d’enfance. J’ai eu l’idée d’Alex, le destin d’un roi quand j’étais tout petit. J’ai fait un vrai synopsis en 2012 mais je n’ai commencé à écrire pour de bon qu’en 2015. Le financemen­t a été bouclé en 2016 et nous y voilà. Vous voyez le temps que ça prend, tout ça. Bref, ce film rassemble tous mes fantasmes de gosse cinéphile des années 80. J’étais obsédé par les films « high concept », comme on disait

« ALEX, LE DESTIN D’UN ROI RASSEMBLE TOUS MES FANTASMES DE GOSSE CINÉPHILE DES 80S. »

à l’époque. Des films qu’on pouvait décrire en une seule phrase. Des films dans lesquels les enfants ont des pouvoirs incroyable­s. Mon pitch était le suivant : « Et si un gamin anglais ordinaire trouvait Excalibur ? » Ça a entraîné toute une série d’images dans mon esprit. Excalibur qui surgit d’une baignoire, Merlin en version ado, le siège d’un collège par des démons... D’ailleurs, je voulais que le poster du film soit l’épée qui sort de la baignoire, mais le studio a jugé que ça faisait trop film d’horreur. (Rires.)

Il y a pas mal de clins d’oeil littéraire­s à la mythologie arthurienn­e dans le film…

Ma relation avec le mythe arthurien s’est exclusivem­ent faite à travers les films. Surtout Excalibur de John Boorman que j’ai vu en VHS quand j’étais petit. Trop petit pour le film, en fait : le sexe et la violence ont eu un gros impact sur moi. J’ai vu Merlin l’Enchanteur de Disney plus tard, puis Sacré Graal ! des Monty Python quand j’étais ado... Mais je n’ai pas vraiment lu de romans arthuriens. Ma mère avait un livre sur le roi Arthur et je regardais surtout les illustrati­ons. Les légendes avaient l’air ennuyeuses et difficiles à lire. Mais les idées, les images qu’elles font naître, sont magnifique­ment dramatique­s. La Dame du lac, l’épée dans la pierre, la Table ronde, Merlin, Camelot... Même si vous ne connaissez pas le mythe, vous avez entendu parler d’eux. Je me suis dit que ce serait facile de les transporte­r dans le monde moderne.

Concernant le roi Arthur au cinéma, est-ce qu’on peut éviter d’être influencé par la vision de Boorman ?

Non. En tout cas, moi, non. J’ai découvert Excalibur trop jeune. C’est la meilleure version du roi Arthur jamais faite. La façon dont il utilise les paysages, les lumières, la musique, l’atmosphère... C’est un film hyper primitif, sexuel et violent. Le Merlin de Nicol Williamson est extraordin­aire, la façon dont il prononce ses incantatio­ns ! Excalibur est indélébile. Mais je crois qu’aujourd’hui, il est un peu oublié. Le spectateur lambda ne l’a pas vu.

Vous avez engagé Patrick Stewart pour jouer Merlin vieux. Il jouait également dans Excalibur à l’époque. Il vous en a parlé ?

Oh oui. Il m’a dit que Boorman voulait que la violence soit la plus réelle possible. Les batailles étaient filmées d’une traite. « On va filmer tout le long. Contentez-vous de vous massacrer. » Et ils se foutaient dessus avec ces énormes épées... Bon, tout ça pour dire qu’Excalibur, aujourd’hui, pas mal de gens le trouvent un peu trop daté ou trop extravagan­t.

En parlant de ça, je trouve l’écriture de votre film en porte-à-faux par rapport aux blockbuste­rs actuels. Les personnage­s ne sont pas des archétypes, ils se construise­nt tout au long de l’intrigue...

La différence entre les films et la télé, c’est que les films doivent fonctionne­r par l’action et non par les dialogues. Les répliques les plus célèbres sont les plus courtes : « Yippee-ki-yay, motherfuck­er ! » Tu sors te faire un thé et tu la loupes. Pendant un film, tu dois être vraiment attentif. Et puis les films ont une fin. Ou plutôt avant, ils finissaien­t. Tu découvrais une oeuvre ; tu y pensais des mois, des années plus tard. Ça me manque aujourd’hui. Piège de cristal est le film qui m’a tout appris, enfin j’espère. C’est un film en temps réel, qui avance en permanence. Les personnage­s agissent sans

cesse. Ils ont des buts, une utilité. Leurs histoires s’entremêlen­t parfaiteme­nt. La structure du Nakatomi Plaza, c’est la structure du scénario. Vous pouvez littéralem­ent voir le scénario devant vos yeux ! J’adore quand on arrête de parler et que ça bouge, que tout s’accélère, qu’on oublie un peu les mécanismes, vite, vite, vite... J’ai essayé de faire un vrai film d’action.

L’innocence du film est également remarquabl­e. Il n’y a aucun cynisme.

C’est un film innocent, oui. Familial, au sens littéral. Aujourd’hui les films grand public sont très méta, tout le monde fait des blagues, tout le temps. Ce sont des produits franchisés, il y a un film avant et un film après et des scènes post-générique... Le film en live action avec des enfants, fait pour des enfants, c’est un genre qui a complèteme­nt disparu. C’est un miracle qu’Alex se soit tourné : ce n’est pas une suite ou un remake, il n’y a pas de stars dedans, c’est gros, c’est épique... On va dire que j’ai eu de la chance. C’est bizarre, parce que quand j’étais gamin, j’adorais voir des enfants comme moi vivre de grandes aventures au cinéma. Je voulais faire un film inspirant qui dise aux gamins qu’ils peuvent changer ce monde qu’on pensait avoir totalement bousillé.

J’imagine que les production­s Amblin sont votre modèle.

Je suis un fan d’E. T. l’extraterre­stre, précisémen­t. C’est normal. Si vous étiez un réalisateu­r dans les années 80, vos références étaient les films des années 40-50 comme La Prisonnièr­e du désert. E.T. c’est ma Prisonnièr­e du désert à moi. C’était une aventure totalement nouvelle, incarnée par des personnage­s qui me ressemblai­ent.

Vous avez coécrit Les Aventures de Tintin : Le Secret de la licorne. Vous travaillez aussi sur la suite ? On l’attend avec impatience...

J’en sais autant que vous ! J’ai lu que Steven Spielberg et Peter Jackson s’y remettaien­t... Comme tout le monde, je me précipiter­ai pour travailler avec eux s’ils m’appellent. Ma contributi­on au premier film a été très modeste. Il y avait aussi Steven Moffat et Edgar Wright. J’ai eu l’idée de fusionner Saccharine et Rackham pour les faire jouer par le même acteur [Daniel Craig]. Et j’ai écrit les toutes dernières répliques : « Comment est votre soif d’aventure, Capitaine ? – Inextingui­ble. » Le plus marquant, dans le film, c’est quand même la caméra de Spielberg. Quand il se détache de toute contrainte physique, c’est dingue. Même dans Ready Player One, il y a toujours quelque chose de sa vieille magie qui fonctionne.

Vous parlez de « vieille magie ». Vous êtes nostalgiqu­e ?

Je crois que oui. Mais je crois aussi qu’aujourd’hui on a un problème avec la nostalgie. On n’a pas besoin de situer un film dans les années 80. De copier le look d’Amblin. De mettre Tears for Fears dans la BO. Vous pouvez faire un film « à la Amblin », sans tout miser sur le décorum. Il faut écrire à partir du coeur, et non du portefeuil­le. J’adore certains films de franchise, mais pour mettre en place une franchise il faut la commencer. On ne devrait jamais cesser de commencer de nouveaux films, de nouvelles idées, de nouvelles visions.

ALEX, LE DESTIN D’UN ROI

De Joe Cornish • Avec Louis Serkis, Rebecca Ferguson, Patrick Stewart… • Durée 2h • Sortie 10 avril • Critique page 103

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Joe Cornish et Angus Imrie
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Rhianna Dorris, Louis Serkis, Angus Imrie, Dean Chaumoo et Tom Taylor
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Patrick Stewart et Louis Serkis
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Louis Serkis
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Rebecca Ferguson

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