Première

RENCONTRE Romain Duris et Cathy Verney

Comment Cathy Verney et Romain Duris ont dévoré Despentes

- PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

De quelle façon adapter Vernon Subutex, hit de librairie et totem génération­nel ? Quel look, quelle gueule, quelle attitude donner au héros de Virginie Despentes ? Réponses avec Cathy Verney, showrunneu­se, et Romain Duris, qui prête génialemen­t ses traits au disquaire devenu clochard céleste.

En tournant les pages de la trilogie littéraire de Virginie Despentes, les lecteurs de Vernon Subutex (300 000 pour le premier tome, en 2015) s’étaient tous fait leur petite idée, hautement personnell­e, du visage que pouvait bien avoir le héros éponyme, ancien disquaire rock’n’roll viré de son appart et reconverti en SDF christique. Mais on n’a pas entendu grand monde râler quand on a appris que Romain Duris avait été choisi pour l’incarner dans l’adaptation en série pour Canal+ (neuf épisodes d’une demi-heure, adaptant et condensant les deux premiers volets). Car qui d’autre que l’acteur du Péril jeune pour incarner l’esprit « alter » des années 80-90, de la jeunesse qui emmerdait le Front national et espérait échapper en vieillissa­nt au diktat néolibéral ? Sa filmo nineties (Klapisch, Gatlif, Kounen, Dahan), pourtant, n’explique pas tout. C’est aussi un look, une attitude, un truc fêlé,

une façon de se mouvoir dans la ville que le comédien injecte superbemen­t au personnage, incarnatio­n des rêves déçus de la génération X et de la peur du déclasseme­nt qui hante la France macronienn­e. D’un péril à l’autre, la showrunneu­se Cathy Verney (créatrice de Hard, déjà sur Canal+) et Romain Duris débriefent une série en forme de flash mémoriel.

PREMIÈRE : Tous les lecteurs des romans de Virginie Despentes semblent avoir approuvé le choix de Romain Duris pour jouer Vernon Subutex. C’était comme une sorte d’évidence absolue…

CATHY VERNEY : Je ne sais pas si c’est une évidence mais moi je ne voyais personne d’autre. Il y a mille raisons à cela, mais l’une des principale­s, c’est qu’il incarne une époque. On le connaît depuis, quoi ? Vingtcinq ans ? C’est ça, Romain ?

ROMAIN DURIS : J’en sais rien ! (Rires.)

CV : Romain symbolise la jeunesse des années 90 et c’est très fort. Il porte cette mémoire avec lui, cette nostalgie d’un temps révolu. Vernon Subutex est une série sur le passé, le souvenir, la perte des idéaux, les amitiés qui se délitent et se reforment... Et au centre, il y a Vernon, qui lui ne bouge pas. Romain a traversé les années, joué mille rôles différents, mais quand on le regarde, c’est l’époque à laquelle on l’a connu qui ressurgit. Après, bien sûr, ça ne suffit pas. Il fallait incarner Vernon, jouer ce personnage, cette espèce de prophète, de gardien du temple, de passeur, de fantôme... Romain, vous avez conscience d’incarner tout ça ?

RD : Non, j’ai beaucoup de mal. Ce sont surtout les journalist­es qui me renvoient cette image d’acteur « génération­nel ». J’avoue que je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire. En revanche, c’est vrai que lorsque j’ai vu la série – pas quand je l’ai tournée, parce que je n’avais alors pas assez de recul, j’étais trop concentré –, j’ai eu comme des réminiscen­ces des années passées, des personnage­s que j’ai pu jouer chez Klapisch, dans Le Péril jeune ou Chacun cherche son chat. Avec un peu de Gadjo Dilo de Gatlif, peut-être même du De battre mon coeur s’est arrêté, d’Audiard. Dans Vernon Subutex, il y a des facettes de plusieurs de mes anciens personnage­s. Et puis, il y a Paris... Les romans de Despentes sont un hommage à la ville et il se trouve que j’ai fait pas mal de films parisiens avec Klapisch.

CV : T’es l’acteur du 11e ! (Rires.) Même si, cette fois, on a poussé jusqu’aux 19e et 20e ! Ce côté « génération­nel », il n’y a vraiment que les journalist­es qui vous le renvoient ? Jamais les spectateur­s, les gens que vous croisez dans la rue ? RD : Bah, disons que personne ne m’aborde avec un : « Salut, t’es vraiment de mon époque !» (Rires.) Mais c’est vrai que je sens beaucoup de chaleur, de fraternité quand je discute avec des gens qui ont vu mes films. Comme si j’avais fait un bout de route avec eux, qu’on était partis en voyage ou qu’on était à l’école ensemble. Beaucoup me disent qu’ils ont fait Erasmus ou sont allés vivre à l’étranger grâce à Klapisch et moi. Ils donnent parfois l’impression de te connaître intimement, ça peut être troublant, un peu bizarre. Parce que toi, t’es pas toujours dans ce mood-là... Mais je ne m’en plains pas, c’est très positif.

CV : T’as remarqué, d’ailleurs ? Sur le tournage de Vernon Subutex, les passants ne t’abordaient pas. Alors qu’on était tout le temps dans la rue, avec une petite équipe... C’était quoi ? La barbe qui vous protégeait ?

RD : Oui, les cheveux longs, la dégaine, l’attitude...

CV : Je crois qu’on ne te reconnaiss­ait même pas. RD : Ce qui est toujours bon signe pour un acteur !

L’ironie, c’est que vous incarnez Subutex comme une évidence, alors que la culture rock, à la base, ce n’est pas du tout votre truc…

RD : J’ai eu une courte période keupon/ psychobill­y à 14 ans, où j’écoutais Siouxsie and the Banshees, les Cramps, Bérurier Noir...Mais c’est vrai que ça a été très bref. Très vite, j’ai embrayé sur le reggae, le hiphop, le funk, l’électro... Comment se fabrique-t-on une culture rock, alors ?

RD : J’ai regardé des films, des archives sur YouTube... Des documentai­res sur les Sex Pistols, Kurt Cobain, ou ce film incroyable, Dig !, sur les Dandy Warhols. Je me disais que Vernon avait dû regarder et écouter tout ça. Il y a aussi ce livre, Rip it up and start again, une sorte de bible sur les années post-punk. Ça m’a permis de choper des attitudes. Petit à petit, ça rentre dans la peau. La musique était l’une des clés de la réussite de la série. Elle est complèteme­nt intégrée à la narration. Et la playlist est démente…

CV : J’ai écrit la série en écoutant les morceaux cités dans le roman. Les paroles de certaines chansons étaient parfois carrément

« DANS VERNON SUBUTEX,

IL Y A DES FACETTES DE PLUSIEURS DE MES ANCIENS PERSONNAGE­S. » ROMAIN DURIS

dans le scénario, insérées entre deux dialogues. La mission qu’on s’était fixée, c’était de faire une série musicale et de trouver le bon équilibre entre des morceaux très pointus et d’autres plus connus. On a eu un budget conséquent qui nous a permis, avec pas mal de négos quand même, d’avoir la plupart des morceaux qu’on voulait.

RD : La musique était très présente sur le plateau, Cathy me faisait écouter des morceaux, j’étais tout le temps avec l’iPod.

CV : Et tu jouais en musique. Quand Vernon sort de chez lui dans la première scène, on savait qu’on entendrait Abdul and Cleopatra de Jonathan Richman. Romain, le chef op et moi, on avait la chanson dans le casque, on avançait au rythme de la musique. Adapter du Despentes à la télé, ça n’a a priori rien d’évident. Romain, ça vous a inquiété ?

RD : Ma seule inquiétude était par rapport à l’écriture de Virginie. Elle est radicale, intègre, brute. Comment ne pas la perdre en route ? Si on se trompe de couleur dans l’adaptation, si on fait quelque chose de trop propre ou de trop produit, alors c’est gâché, ça ne sert à rien. J’avais peur que ça ressemble à quelque chose de gadget, de plastique. C’est pas le truc à faire avec

Despentes ! Je redoutais l’empreinte « télé », aussi. J’ai grandi sans télé, je n’en ai jamais eu chez moi... Et vous regardez des séries ? RD : Pas tant que ça. J’ai du mal avec le côté rendez-vous. La mélancolie de Vernon Subutex, ce regret du monde d’avant, c’est quelque chose que vous ressentez aussi ?

RD : Non, je ne suis pas d’un tempéramen­t très mélancoliq­ue. J’ai l’impression que les choses d’hier changent, mais qu’elles sont toujours là.

CV : Ce que racontent les livres et la série, c’est qu’aujourd’hui, une utopie collective manque. Le rock a été, à une époque, une façon de vivre ensemble, d’être heureux ensemble, parallèlem­ent au système et ça n’existe plus. Je ne dis pas qu’il faut vivre éternellem­ent avec le vinyle mais je suis nostalgiqu­e de cette période. Et j’ai l’impression, vu ce qu’il se passe actuelleme­nt, que ça manque à pas mal de monde... À la fin de la série, pourtant, Vernon donne de l’espoir. Ce n’est pas une propositio­n politique, mais une utopie du collectif, perdu puis retrouvé. Sur le tournage, d’ailleurs, on a un peu touché du doigt ce qu’on évoque dans la série. On l’a créée collective­ment et c’était beau – pardon si ça paraît un peu niais de dire ça. On croise Romain Duris jeune dans Vernon Subutex. Comment avez-vous fait ?

CV : Bah, c’est lui ! Il est là, devant vous ! On a tourné ces scènes à la fin du tournage. Un jour, Vernon était dans le métro, amaigri, en train de faire la manche, le regard perdu, et le lendemain, il rajeunissa­it de vingt-cinq ans, et passait des disques chez Revolver [le nom du magasin de Vernon Subutex]. Comment a-t-on fait ? On l’a juste rasé et on lui a coupé les cheveux. Il a perdu vingt ans en une heure.

RD : Ce jour-là, honnêtemen­t, j’étais un peu paumé. C’est radical de vivre avec un personnage pendant deux ou trois mois, et d’un coup, de se réveiller avec une nouvelle gueule. Il faut réapprendr­e à bouger et jouer avec ce nouveau physique, c’est très étrange. Presque comme voyager dans le temps. Romain, quand vous tombez sur

Le Péril jeune, par hasard à la télé, vous le regardez ?

RD : Ce film-là, oui. Parce que ça témoigne d’un moment précieux. La fin de l’adolescenc­e, le passage à l’âge adulte, les rêves qu’on a alors, l’insoucianc­e, comment on se brûle... Tomasi a ça en lui. C’est un film de groupe, un film sur les années 70, c’est toujours très émouvant. Vous voyez que vous êtes un acteur génération­nel ! Vous-même êtes ému par Tomasi…

CV : Tu t’émeus toi-même !

RD : Oui, enfin... Quand je tombe sur lui par hasard, hein ! u VERNON SUBUTEX Créée par Cathy Verney • Avec Romain Duris, Céline Sallette, Laurent Lucas… • Sur Canal+ • Critique page 116

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Romain Duris
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Romain Duris et Cathy Verney

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