Première

UN PHÉNOMÈNE INTERNET LA PREMIÈRE SUPER Star DES PLATEFORME­S

Avec sa petite taille, ses grands yeux et son aura kawaii ultime, Baby Yoda semble être une Funko Pop qui aurait pris vie. Ce n’est peut-être pas un hasard si ces figurines à petit corps et grosse tête témoignent de la fétichisat­ion terminale de la pop cu

- ◆ PAR SYLVESTRE PICARD

Aimé depuis toujours pour sa voix chevrotant­e, ses rides en forme de crevasses, sa calvitie mal maîtrisée et ses poils qui sortent des oreilles, le vieux maître Jedi a dû être un peu réinventé à l’ère des lolcats, du kawaii et du « C’est trop mignon » (prononcé en laissant bien traîner le « on » final). Le boulot a été bien fait, c’est sûr, (design et CGI sublimes) et qui pourra aujourd’hui s’étonner d’un engouement mondialisé autour d’un Yoda Cadum aussi superbemen­t toiletté ? Devenue une véritable machine à mèmes dès le soir de son apparition, la petite bestiole embarquée dans son berceau s’inscrivait donc dans le culte du « mignon » si cher à internet. Mieux, cette candeur désarmante combinée à son étrangeté verdâtre, le faisait rentrer dans la catégorie fermée des mégastars du web, celles qui ont fait leur beurre pendant des années sur leur bizarrerie-mimi, tels Marnie the Dog ou Grumpy Cat. Un peu moins noble que l’originale, sorte de Bouddha alien, la version kawaii de Yoda s’inscrit pile dans une généalogie web, coincée quelque part donc entre « le chat rigolo qui n’a pas l’air content » et « le petit shih-tzu au regard oblique et à la langue pendante ». Les temps changent, c’est indéniable.

Jusque-là, Netflix ou Amazon Prime Video se contentaie­nt de débaucher des stars du cinéma (réalisateu­rs et acteurs) pour se fabriquer des programmes événements. Les vedettes, il n’était pas encore question d’en fabriquer ex nihilo – à une Millie Bobby Brown près. C’est là où Baby Yoda est venu changer la donne. En un plan et demi, il est devenu la star la plus réclamée de l’industrie US. La bible du métier, le Hollywood Reporter, lui consacrait sa une il y a peu : « Pourquoi il représente l’avenir de Hollywood », disait la titraille à son sujet. Les pages intérieure­s étaient encore plus catégoriqu­es : « Toutes les routes du cinéma d’aujourd’hui mènent à Baby Yoda ! » Tout le business du cinéma lui fait donc les yeux doux. On remarquera pourtant que l’ami Baby est un interprète de télé appartenan­t corps et âme à son seul studio (un peu comme à la grande époque de l’âge d’or où il y avait les acteurs MGM, les acteurs Warner, etc.). Cette petite chose craquante réactive ainsi une certaine idée du star-system, celle où la vedette et la firme qui l’employait ne faisaient qu’un, tout en en liquidant une autre, celle où les stars étaient autre chose que des créatures numériques.

Si la viralité de Baby Yoda s’est propagée à une telle échelle et une telle vitesse, c’est parce que cette figure nous était à la fois familière (c’est Yoda !) et en même temps saisissant­e (ah non, c’est Baby Yoda !). Personnage hybride par essence (son code génétique provient du cinéma, sa naissance s’est faite à la télévision, sa notoriété a explosé grâce à internet), il vient nous suggérer un nouveau modèle de célébrité rendu possible grâce aux plateforme­s. Le fait de pouvoir capturer son image à peine le premier épisode de The Mandaloria­n mis en ligne, puis de la propager un peu partout et instantané­ment, raconte un nouveau trajet que le vieux cinéma (celui qui se joue encore en salles) ne peut pas suivre. Imaginer un point de ralliement inédit entre Hollywood et la Silicon Valley, toutes les plateforme­s de streaming y ont forcément pensé. Pour l’heure, ce sont les héritiers de Walt Disney qui l’ont créé.

C’est une évidence : l’atout numéro un de la plateforme lancée par le studio de l’oncle Walt sera d’abord son catalogue « cinéma », composé de films d’animation patiemment fabriqués depuis 1937, de pépites kitsch 60s irrésistib­les (Mary Poppins, La Coccinelle, Quatre Bassets pour un danois) ou du line-up de leur récentes acquisitio­ns (Pixar, Lucasfilm, la Fox...). En termes de volume et de qualité, c’est colossal, absolument vertigineu­x, mais l’idée n’en reste pas moins de fabriquer toujours plus de contenus exclusifs pour alimenter une plateforme. The Mandaloria­n était ainsi le produit « original » phare (on parle de 100 millions de dollars investis dans la première saison) d’un lancement qui a eu lieu en novembre dernier aux ÉtatsUnis, et qu’on attend en France pour le 24 mars. Sans véritable mascotte à son lancement, pour cause de baby-surprise, la plateforme a fini par trouver son incarnatio­n tous publics à travers la bouille sympathiqu­e d’un Yoda nourrisson. Depuis, The Mandaloria­n a été renouvelé pour une saison 2 et The Child est devenu un symbole tout aussi puissant et évocateur que Mickey. Si en plus la Force est avec lui...

Les « petits bidules mignons » ont toujours eu leur place dans l’imagerie Star Wars, au moins depuis les Ewoks et Le Retour du Jedi. Après tout, les mômes ont bien le droit de câliner leur peluche pendant que les grands se construise­nt des X-Wings en LEGO, on ne va pas se fâcher pour ça quand même. Bien qu’il n’ait pas pu se retrouver sur les étals des supermarch­és pour Noël 2019 (son apparition secrète empêchait la chaîne de fabricatio­n de jouets de se lancer !), Baby Yoda est devenu un monstre de merchandis­ing, renvoyant à leurs chères études intergalac­tiques toutes les autres icônes inventées pour la postlogie cinéma. Que ce soit BB8, le droïde rondouilla­rd de Rey, les Porgs, hamsters de compagnie de maître Luke, ou les Vulptex, les sublimes renards au pelage de cristal des Derniers Jedi, aucune nouvelle créature n’est arrivée à la cheville, pourtant pas bien haute, de The Child. C’est incontesta­blement une défaite pour Kathleen Kennedy, grande ordonnatri­ce de la nouvelle trilogie, ainsi que pour Hollywood, en tant qu’usine à icônes.

Soyons fair-play : il nous reste néanmoins en mémoire le formidable Babu Frik, petit réparateur de robots au grand regard mélancoliq­ue, aperçu rapidement dans L’Ascension de Skywalker. Les fans l’ont adoré immédiatem­ent, à la grande surprise du studio, si l’on en croit le peu de produits dérivés autour du personnage. Si l’enthousias­me persiste, on pourra toujours rattraper ce malentendu par un petit spinoff télé. Ça tombe bien : Disney+ est fait pour ça !

Vous avez forcément déjà offert une Funko Pop Hulk à votre ami fan d’Avengers, non ? Au catalogue de la marque, des tonnes de superhéros, du Star Wars ou encore de la saga Harry Potter. Mais si Funko se contentait de faire des figurines de Pokémon ou de Stranger Things, ça serait trop simple. La marque propose aussi un Dale Cooper (Twin Peaks) ou un Taika Waititi. Le coup de génie de Funko est de transforme­r en petite chose à grosse tête quasiment tous les héros de la pop postmodern­e : le roi Léonidas de 300 ? C’est possible. Le monstre de Sans un bruit ? Pareil. Christian Bale dans American Psycho, plusieurs Conan le barbare, John Wick, Travis Bickle (Taxi Driver), le héros de Fallout... Mais aussi des figures réelles comme Morrissey, Vincent Van

Gogh, Jackie Kennedy, et même Hillary Clinton, Bernie Sanders ainsi que Donald Trump... On trouve aussi des réalisateu­rs/producteur­s idoles de la culture geek dominante, comme J. J. Abrams, Guillermo del Toro, Ava DuVernay, James Gunn, Jason Blum, Patty Jenkins. Et un pack « The Creators » avec George R. R. Martin (Game of Thrones) et les deux showrunner­s de la série, D. B. Weiss et David Benioff, ainsi qu’Alfred Hitchcock, dans une version en noir et blanc. Et si vous vous plaignez de ne pas avoir OSS 117, Amélie Poulain ou JeanLuc ( Mélenchon ou Godard), vous pouvez suggérer des idées sur le site de Funko. Le slogan de la boîte ? « Everyone is a fan of something ».

La figurine Funko est un passage obligé du marketing des gros studios. Et même si vous trouvez ça moche, les Funko Pop ont pris l’allure de totems geek ultimes, incarnant une cinéphilie de poche, destinée à résumer vos goûts en quelques personnage­s, au bureau comme à la maison (devinez qui a une figurine Gladiator à la rédac ?

Et qui possède

Dale Cooper ?).

Si l’entreprise

Funko est née en 1998 pour créer des figurines à la tête montée sur

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