Première

PETIT PAYS

Le roman de Gaël Faye – prix Goncourt des Lycéens en 2016 – sur le génocide rwandais vu à hauteur d’enfant est adapté au cinéma avec justesse et servi par une distributi­on impeccable. Défi réussi pour le réalisateu­r de La Promesse de l’aube.

- SB

Éric Barbier n’a pas peur des défis. Après avoir porté à l’écran La Promesse de l’aube de Romain Gary – avec Pierre Niney et Charlotte Gainsbourg –, le réalisateu­r s’est confronté à une autre enfance, celle racontée par Gaël Faye dans Petit Pays. « L’enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais » est d’ailleurs une phrase du livre qui fait parfaiteme­nt écho à celle de Romain Gary, « elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis ». Sorti en 2016, Petit Pays a durablemen­t marqué ses lecteurs et reçu de nombreux prix, dont le Goncourt des lycéens. L’action du roman débute en 1992, au coeur des jeux d’un garçon de 10 ans, Gabriel, élevé au Burundi entre un père français et une mère rwandaise. Gabriel aime faire des blagues avec ses copains, squatter une camionnett­e abandonnée et protéger sa soeur. Éric Barbier s’attache à nous faire revivre les sensations d’une enfance en Afrique par le biais des images comme celle de ces mangues volées dont le suc vient doper la journée d’école de ces garçons terribles. Il évite la voix off et retranscri­t par de jolies séquences les saveurs d’un paradis perdu. Le cinéaste réussit ses scènes en portant une attention formidable à tous ces petits détails qui, mis bout à bout, racontent la vie d’enfant d’expatrié. En revanche, Barbier a ôté du livre tout ce qui pouvait faire trop pittoresqu­e comme les randonnées à la rencontre des Pygmées. Pour autant, les lecteurs de Gaël Faye ne seront pas déçus par cette adaptation très fidèle à l’essentiel : l’esprit de son auteur. Le cinéaste parvient à traduire l’écriture fine de Gaël Faye sur le quotidien à Bujumbura en authentiqu­es moments d’histoire où la banalité s’inscrit en pointillé.

ODE À L’ENFANCE. Jean-Paul Rouve interprète un père à la fois très occupé par son travail mais à l’écoute de ses enfants. Il excelle dans ce registre ambivalent où son autorité laisse poindre des moments d’attendriss­ement. Décidément, le comédien sait donner comme personne des couleurs à un rôle assez taiseux et un peu antipathiq­ue sur le papier. La réussite de Petit Pays doit beaucoup à son énergie et sa capacité à faire entrer la vie dans des scènes a priori banales, comme les repas en famille. Face à lui, Isabelle Kabano interprète, avec une sensibilit­é rare, une mère complèteme­nt fissurée de l’intérieur. Prise en étau entre l’exil contraint et la vie confortabl­e auprès de ses enfants, elle va se consumer sous nos yeux devant cet impossible choix. Car cette ode joyeuse à l’enfance laisse progressiv­ement entrer des zones d’ombre à travers des bribes de conversati­ons dans la famille de sa mère, des murmures d’adultes. Gabriel assiste à la fois à la rupture entre ses parents et à l’arrivée de la guerre. Jusqu’au jour où tout se brise.

CLAQUE. C’est à hauteur d’enfant, presque éloignés du malheur que nous appréhendo­ns, comme le jeune héros, le génocide rwandais. C’est encore et toujours de son point de vue qu’on vit les élections puis le coup d’État et la guerre qui font bientôt partie de son quotidien. La scène où il reste seul avec sa soeur la nuit dans la maison assaillie par les bruits de la folie meurtrière en marche en dit plus long sur les crimes commis que des plans de corps sans vie. Le choix de laisser les atrocités hors champ ne les rend que plus terrifiant­es. Petit Pays, c’est une claque aux films hollywoodi­ens sur les guerres africaines (comme Les Larmes du soleil d’Antoine Fuqua) gorgés jusqu’à l’insoutenab­le d’images de violence. Ici, la gifle est encore plus grande, quand le spectateur, comme le héros, réalise par luimême l’ampleur de l’horreur.

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Djibril Vancoppeno­lle et Jean-Paul Rouve

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