Première

DOCTOR SLEEP – DIRECTOR’S CUT

- FRANÇOIS LÉGER

Il fallait une certaine dose d’inconscien­ce pour marcher sur les traces de Kubrick ! Après son échec en salles, Mike Flanagan revient avec une version XXL de sa vraie/fausse suite de Shining, plus longue et plus dense. Cette fois, vous êtes priés de ne pas la rater.

Il y a eu comme un malentendu au moment de la sortie de Doctor Sleep, entretenu par la nature hybride du film : s’agissait-il d’une suite du Shining de Stanley Kubrick ? D’une adaptation du roman de Stephen King ? Du suicide artistique d’un réalisateu­r ? Du péché d’orgueil d’un artiste voulant se confronter à deux monstres sacrés ? Ou bien d’un blockbuste­r auteurisan­t prenant un risque invraisemb­lable par les temps qui courent ? Le flou s’est en tout cas installé dans la tête des spectateur­s, qui ont boudé le très beau long métrage de Mike Flanagan, laissant Warner Bros gérer l’un des véritables beaux fours de 2019. Doctor Sleep revient à la charge aujourd’hui avec un passionnan­t director’s cut étiré d’une trentaine de minutes, faisant grimper le compteur à trois heures, sans que cette durée ne paraisse jamais artificiel­le. Le film se focalise sur Danny Torrance devenu adulte ( Ewan McGregor, d’une sobriété exemplaire) et alcoolique, gérant comme il le peut les événements liés à son enfance. Alors qu’il décide d’arrêter de lever le coude et de reprendre sa vie en main, une jeune fille également dotée du « shining » (Kyliegh Curran) lui demande son aide afin de lutter contre un groupe qui se nourrit de gens comme eux pour conquérir l’immortalit­é. Autant le dire tout de suite : ce nouveau montage ne fera pas changer d’avis les détracteur­s de la version salles. Mais il est fortement conseillé aux autres de (re)découvrir le film dans ce format.

FILM FUSION. Désormais découpé en chapitres thématisés, le film respire mieux et gagne en limpidité et en émotion, alors que les trois trames s’entrecrois­ent plus logiquemen­t, renforçant leur résonance thématique. Plus centré sur ses personnage­s et leur introspect­ion, Mike Flanagan (The Haunting of Hill House, Jessie, The Mirror) fusionne l’esprit du roman et le visuel du film et réussit à en extraire une matière créative autonome, refusant obstinémen­t de se faire écraser par leur poids. Shining – le roman comme le film – devient un terrain de jeu où le cinéaste distille avec élégance les obsessions (les traumatism­es de l’enfance et la transmissi­on familiale) qui irriguent son oeuvre depuis le début. On ne note pas de changement radical dans la trame de cette version longue, mais de nombreux dialogues lourds de sens réapparais­sent, ainsi qu’une très belle scène dans les toilettes rouge et blanc de l’Overlook, où Danny affronte son père.

FANTÔMES DU PASSÉ. L’occasion de constater une nouvelle fois que la reconstitu­tion vertigineu­se de l’hôtel dépasse la simple citation, le gimmick de fan, pour produire du sens en permanence. Alors que Danny Torrance est littéralem­ent mis face aux fantômes de son passé, toujours à deux doigts de retomber dans l’alcoolisme, le spectateur est, lui, ramené à ses propres souvenirs de la découverte de Shining, qui semble résonner à l’infini dans nos cerveaux. Des échos qui rappellent qu’on cherche encore la sortie du labyrinthe.

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Ewan McGregor

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