Première

AMERICAN GRAFFITI

Le magnifique coup de rétro pré- Star Wars de George Lucas est enfin réédité en Blu-ray. L’occasion de faire le point sur la place de la nostalgie dans le film, qui annonce celle d’un certain space opera.

- SYLVESTRE PICARD

En 1972, échaudé par le flop terrible de son film de SF expériment­al THX 1138, George Lucas est mis au défi par son producteur/mentor/pote Francis Ford Coppola de tourner un film chaleureux et grand public, sans tous « ces trucs abstraits ». Ce sera American Graffiti, qui se passe le temps d’une nuit, en 1962, autour de trois jeunes gens qui viennent de terminer le lycée, se baladent à bord de grosses bagnoles, vont au drive-in, tentent de draguer des filles, écoutent du rock, font des concours de vitesse. American Graffiti se range entre La Dernière Séance de Peter Bogdanovic­h et Big Wednesday de John Milius (d’ailleurs opportuném­ent renommé en français Graffiti Party). Lucas raconte son Éden, son monde juste avant la guerre, et la mort de Kennedy. C’est magnifique, drôle et bouleversa­nt – le carton final qui raconte le sort post-film des héros est émouvant aux larmes. La nostalgie déborde de l’écran, mais American Graffiti est aussi une vision fantomatiq­ue de l’adolescenc­e, où des jeunes errent à jamais le long d’une route nocturne (en 1962, Lucas, alors ado fan de bagnoles et de vitesse, faillit se tuer dans un accident de voiture, à une semaine de la fin du lycée). Un film qui carbure à la nostalgie pure alors que onze ans seulement séparaient sa sortie en salles de la période décrite par Lucas. Grand public, d’accord. Mais chaleureux ? Certaineme­nt pas.

C’ÉTAIT MIEUX AVANT. Les héros d’American Graffiti passent leur temps à regretter le bon vieux temps, à dire que le rock’n’roll, c’était mieux avant. « J’aime pas ce surf de merde », râle le driver beau gosse John (Paul Le Mat) en coupant son autoradio qui diffuse le dernier tube des Beach Boys. « Le rock’n’roll dégringole depuis la mort de Buddy Holly. » Ça vous rappelle quelque chose ? Les fans de Star Wars les plus virulents se sont fait un mantra du « c’était mieux avant ». Que ce soit lors de la sortie des éditions spéciales en 1995, de la prélogie (1999-2005), et évidemment lors de la postlogie Disney, ceux qu’on entend le plus fort carburent aussi à la nostalgie : celle d’un Star Wars idéal, innocent et intact dans un passé fantasmé. On sait que le tout premier Star Wars était déjà pensé par George Lucas non pas comme de l’avant-garde, mais comme une synthèse rétro-nostalgiqu­e, un hommage aux serials comme Flash Gordon (qu’il a longtemps rêvé d’adapter), situé dans un monde manichéen sans sexe ni gros mots ni traces de sang. American Graffiti semble contenir déjà, en germe, tout l’ADN du fandom réac de Star Wars.

LA ROUTE DES ÉTOILES. Plus prosaïquem­ent, c’est sur American Graffiti que Lucas entame sa collaborat­ion avec le producteur Gary Kurtz, dont l’influence sur les deux premiers Star Wars sera immense. Kurtz, contrairem­ent à Lucas, avait passé deux ans au Vietnam, de 1966 à 1968, sans tirer un seul coup de feu (il était objecteur de conscience), mais armé d’une caméra. Kurtz rencontra Lucas grâce à Coppola : ce dernier aurait voulu que les deux hommes travaillen­t sur Apocalypse Now, mais ils ne voulaient plus entendre parler de la guerre. Le succès inespéré d’American Graffiti, tourné grâce à Coppola et à la monteuse Marcia Lucas – femme de George –, les lança sur la route des étoiles. Lucas s’entendait bien avec Kurtz, homme calme, efficace et introverti, qui lui ressemblai­t beaucoup. American Graffiti, la suite (1979) sera produit par Howard Kazanjian, le remplaçant de Kurtz sur Star Wars quand ce dernier sera viré par Lucas après avoir émis des doutes sur le script du Retour du Jedi. Kurtz produisit ensuite rarement (Dark Crystal, une suite du Magicien d’Oz...) et mourut en 2018. American Graffiti lui appartient autant qu’à George Lucas.

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Paul Le Mat, Cindy Williams et Ron Howard

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