STREAMING/VOD/DVD
Un gros coffret collector tente de faire le tour de ce film hors norme. Et s’interroge sur le cas Bong Joon-ho, nouvelle star du cinéma mondial.
Nous écrivons cet article sans savoir quel prix Parasite a raflé aux Oscars 2020. Mais près de dix mois après sa sortie, il est temps de faire le point sur un film qui a changé l’industrie (les films coréens sont enfin grand public), imposé définitivement un cinéaste (Bong Joon-ho, objet d’un culte désormais mondial) et provoqué pas mal de remous. Parasite est le premier film coréen à avoir remporté la Palme d’or. Le premier film coréen a avoir dépassé le million d’entrées en France. Et vous avez sans doute vu passer le #Bonghive devenu point de ralliement de la cinéphilie mondiale après Cannes... La planète cinéma est en surchauffe. Même « director Bong » (comme disent ses collaborateurs) ne s’y attendait pas. Avant
Cannes, le cinéaste expliquait partout que son film avait peu de chances d’être récompensé à cause des « détails que seuls les Coréens peuvent comprendre à 100 % ». Quinze jours et une Palme plus tard, Bong proposait une première explication : « Je constate que, parce qu’il parle du capitalisme, Parasite est devenu universel. » C’est donc l’aspect politique du film qui aurait assuré son triomphe ? Qui en aurait fait un symbole mondial ? En tout cas, depuis mai, il paraît évident que Bong a sussuré à l’oreille du public des choses que ce dernier avait très envie d’entendre. Il est devenu un démiurge pop qui s’apprête à infuser l’entertainment planétaire (il enchaîne les selfies avec QT ou Brad Pitt, une série Parasite coréalisée avec Adam McKay est dans les tuyaux et tous les prods hollywoodiens se l’arrachent) et aucun réalisateur asiatique n’a su prendre à ce point le pouls de son époque pour la reformuler à travers une idée de cinéma qui la rende instantanément hystérique.
COMPILATION. Une révolution ? Pas tout à fait. À mesure que la famille des pauvres envahit la maison des riches, Parasite recompose des motifs visuels ou thématiques chers au cinéaste. Un peu de Snowpiercer (mise en scène géographique de la lutte des classes), beaucoup de The Host (le thème de l’invasion), et ce mélange d’humour et d’acidité enragée et un peu dépressive de tous ses films... c’est tout le cinéma de Bong Joon-ho qui est en fait synthétisé dans ce film. Son trait, toujours aussi féroce, renoue avec les accès de grâce de ses oeuvres précédentes. Et ce qui frappe en revoyant Parasite à tête reposée, c’est finalement son aspect compilatoire (en forme de comédie italienne et de home invasion coréen) qui met son art totalement à nu. Depuis des années, Bong Joon-ho trace patiemment son sillon. Avec un plan ? Ou bien, comme la famille du film, est-ce que tout cela ne serait pas simplement le fruit du hasard (« No plan ! ») ? Un thriller impressionnant (Memories of Murder, équipée polar au royaume du grotesque et de la frustration), un film de monstre politique (The Host), un mélo familial (Mother), un film Netflix (Okja) et une fable SF (Snowpiercer) lui ont permis d’assouvir ses fantasmes et d’imposer sa crédibilité d’auteur international... Mais il aura fallu attendre Parasite pour qu’il réussisse à crever le plafond de verre. Naturellement, son distributeur a sorti le grand jeu pour la sortie DVD-Blu-ray. Le making of et les docus qui remplissent le coffret collector tentent précisément d’apporter quelques réponses à ce drôle de phénomène. L’ambiguïté, la satire désespérée, propre à son cinéma, sont portées ici à ébullition. Critiques, collaborateurs, tous le reconnaissent : en faisant se télescoper les réalités, les classes, l’histoire sociale et les pulsions de mort, Parasite orchestre une perte des sens et fait basculer la comédie idyosincratique vers l’universel. Mais ça
BONG PARVIENT TOUJOURS À FAIRE JAILLIR DES IDÉES VISUELLES OBSÉDANTES QUI ENCAPSULENT LE TEMPS.
n’explique pas tout. On pourrait évoquer son formalisme impressionnant et cette capacité à inventer des images, à créer des formes qui résonnent dans l’inconscient collectif et restent longtemps dans nos mémoires. Ici, c’est une femme qui pousse une étagère libérant un escalier secret ; là, un tunnel qui sépare le monde des riches du monde des pauvres ; ou bien cette maison qui semble prendre vie ; ou bien encore cette tasse qui témoigne de la stabilité d’une conduite en voiture... Autant de plans signatures qui rappellent que Bong Joon-ho est un cinéaste architecte doublé d’un technicien surdoué parvenant toujours à faire jaillir des idées visuelles obsédantes qui, d’une certaine manière, encapsulent le temps.
UNE PART DE MYSTÈRE. Mais si Parasite a réussi à entrer en résonance avec l’époque, c’est que la sensibilité de Bong semble être arrivée à maturation. Son mood, sa compréhension des angoisses contemporaines, sa connexion avec le public et son engagement militant résonnent enfin parfaitement avec ses déflagrations visuelles et avec le zeitgeist. C’est ça que le making of montre bien : la volonté du cinéaste de mettre son spectateur face au monstrueux, de s’interroger (sans apporter de réponses toutes faites) sur la peur du mal et sur les pires pulsions qui sommeillent en nous. Mais tous (chef op et acteurs) précisent aussi que le film ne se réduit jamais à ça et que sa vraie beauté est de toujours conserver une part de mystère. Un peu à l’image du monolithe qui hante son film ; cette grosse pierre, qui passe de main en main, qui, de cadeau, se transforme en arme, totem étrange, à la fois engageant, drôle et provocateur. Normalement, quand vous lirez ces lignes, Bong Joon-ho aura transformé ce caillou en statuette dorée.