Première

PREMIÈREME­NT

Jesse Eisenberg

- ◆ PAR SYLVESTRE PICARD

PREMIÈRE : Dans Vivarium, Imogen Poots vous dit : « T’es taré. » Et vous répondez : « Je suis un taré profession­nel. » Vous trouvez que ça vous définit bien ?

JESSE EISENBERG : Oh, oui, je vois, c’est une réflexion astucieuse... Si on parle de mon personnage, Tom, ça convient tout à fait : il veut être proche de la nature, dans la contrecult­ure, et le voilà dans un monde synthétiqu­e, où tout est monotone et répétitif. Normal que ça le fasse vriller. Quant à moi, eh bien... euh..., je... je suis complèteme­nt à l’opposé du weirdo. OK, je porte toujours les mêmes vêtements et j’aime que tout soit bien aligné pour pouvoir me concentrer sur les vraies choses importante­s et pas les petits détails annexes... (Sourire.)

Votre personnage passe l’essentiel du film à creuser un trou. Est-ce que ce genre de tâche – épuisante, répétitive et absurde – est une métaphore du métier de comédien ?

C’est normal, je dois jouer quelqu’un qui est obsédé par son évasion de ce monde absurde. Pour moi, Tom est plutôt en train de creuser sa propre tombe : la monotonie le tue à petit feu. C’est complèteme­nt à l’opposé de ma vision du boulot ! J’essaie sans cesse des trucs tellement différents, tous les jours. J’ai l’impression que tout passe trop vite. Je commence quelque chose, et hop, il faut passer à autre chose. Ça entraîne un autre problème : dès que tu apprécies un truc, pouf, c’est terminé. C’était un tel plaisir de tourner Vivarium, mais ça n’a duré que six petites semaines.

Comment Lorcan Finnegan a-t-il réussi à vous convaincre de jouer dans son film ?

C’est Imogen Poots qui m’a envoyé le scénario : on venait de tourner un petit film ensemble, The Art of Self-Defense [sorti en VOD en novembre 2019], et elle m’a dit d’y jeter un oeil. Je lui ai fait confiance, elle a bon goût en matière de cinéma. J’ai adoré ce que j’ai lu. Le film est très simple – un couple qui veut acheter une maison se retrouve aspiré dans un monde parallèle – et très abstrait, mais on peut l’interpréte­r de plusieurs façons. Une version pervertie de l’âge adulte, par exemple. Tu veux acheter une maison ? Elle est identique à toutes les autres. Tu veux faire un enfant ? C’est un rejeton démoniaque. Tu veux préserver ton couple ? Ta femme préfère le gamin. Tu veux maintenir une vie sexuelle active ?

Physiqueme­nt, tu ne sers plus à rien. Ah ah, non oubliez ça... je suppose que c’est du jeunisme mal placé de ma part. (Rires.) En résumé, Vivarium est la version cauchemard­esque de la vie domestique.

Vivarium est un huis clos, et comme vous faites beaucoup de théâtre, jouez et mettez en scène, on ne peut pas s’empêcher de vous demander s’il n’y a pas non plus un parallèle à faire...

Et vous avez raison. De tous les films que j’ai tournés, Vivarium est celui dont l’expérience du tournage était la plus proche du théâtre. Le plateau, une fausse banlieue pavillonna­ire, ressemblai­t à une scène : comment dire... pas du tout réaliste, mais curieuseme­nt vraie. C’était très similaire à mes pièces de théâtre, qui se passent toutes dans des salons : aux États-Unis, on appelle d’ailleurs ce genre de pièce des « livingroom plays ». Les personnage­s sont coincés sur scène, comme le mien et celui d’Imogen Poots dans la maison du film.

« DE TOUS LES FILMS QUE J’AI TOURNÉS, VIVARIUM EST CELUI DONT L’EXPÉRIENCE ÉTAIT LA PLUS PROCHE DU THÉÂTRE. »

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