Première

SCÈNE CULTE

PAR GABRIEL AGHION. Le réalisateu­r, qui vient de signer le téléfilm Police de caractères pour France 3, revient sur la séquence du strip-tease de Jacques Gamblin dans Pédale douce (1996), comédie aux 4 millions d’entrées.

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Pédale douce de Gabriel Aghion

Adresse inconnue

« Les décors du restaurant et de la boîte ont été reconstitu­és en studio. On m’avait parlé d’un lieu de fête branché et gay friendly qui cartonnait dans les années 70 à Paris, rue Sainte-Anne. Un endroit très accueillan­t pour les hétéros, où venaient des femmes mannequins et des acteurs, avec un restaurant à l’étage et une boîte de nuit en dessous. Je m’en suis inspiré pour inventer Chez Éva, ce restauboît­e tenu par le personnage de Fanny Ardant. Quand le film est sorti, beaucoup de gens m’ont demandé l’adresse, ils avaient envie d’aller faire la fête là-bas… alors que cet endroit n’existait pas. »

Bas les masques !

« Ce qui se passe dans cette scène de mise à nu n’est pas drôle sur le papier. Il y a dans le film le masque du rire et celui de la souffrance : chaque personnage, que ce soit celui de Richard Berry, de Patrick Timsit, de Michèle Laroque, de Fanny Ardant ou de Jacques Gamblin, souffre à sa façon mais le dissimule par la comédie. Ce strip-tease est un moment de révélation collective, et ces cinq grands acteurs l’ont parfaiteme­nt joué car ils étaient en empathie avec le projet. Quand un comédien se sent aimé par son metteur en scène, il donne tout. Fanny Ardant a même reçu le César, c’était magique. »

Ciné-réalité

« Je souhaitais aborder la réalité de ces années-là. Tous les figurants de la scène, les drag-queens et autres danseurs étaient ainsi des gens que j’avais croisés dans des soirées ou des boîtes, habillés comme ils le sont dans la scène. Jacques Gamblin, qui de son côté jouait entièremen­t la comédie dans un pur rôle de compositio­n, était d’ailleurs un peu gêné parce qu’il s’est rendu compte à un moment qu’il avait vraiment chauffé les mecs avec son strip-tease ! En tout cas, les fêtes ressemblai­ent à ça, c’est un film qui est pris dans la glace de son époque. »

Les sirènes de Dalida

« Le tube de Dalida, Salma ya salama, amène une dimension sensuelle, féminine, orientale. C’est comme le chant des sirènes qui dirait “Réveille-toi, sois toi-même, libère-toi.” Ce choix fut guidé par l’instinct, alors que je n’étais pas spécialeme­nt fan de Dalida dans ma jeunesse. La variété populaire était un peu méprisée et j’aime davantage cette musique maintenant qu’à 20 ans. La production du film aurait préféré la version française de la chanson mais je tenais à tout prix à la version en langue arabe. Le fait que je sois né en Égypte a dû jouer inconsciem­ment. »

Encombrant costume

« Ce film est très personnel. Je fais partie d’une génération de gays qui a connu la catastroph­e du sida dont j’étais, dans les années 90, un survivant. Avec des amis qui passaient la journée en costumes trois-pièces, on se jetait le soir dans la fête. Il y avait un besoin de thérapie par le rire. Pédale douce est une comédie sur les non-dits de l’homosexual­ité et ce striptease est un climax. Puisqu’on traite de l’étouffemen­t et du besoin de s’en libérer, Jacques Gamblin se débarrasse ici de son costard comme d’une peau encombrant­e qu’il ne supporte plus. »

Dancing Jacques

« On a fait un long planséquen­ce afin de ne jamais quitter le personnage d’André. Je voulais que le mouvement du plan soit dansant et accompagne sa chorégraph­ie : la caméra tourne autour de lui, attrape les visages et les réactions. C’est tourné à l’épaule et Jacques Gamblin avait beaucoup travaillé sa danse en amont, on faisait même des répétition­s les weekends avec la chorégraph­e. Du coup, il était excellent dès la première prise, même si on en a fait six ou sept pour des raisons techniques. C’est un acteur émouvant, il avait cette envie d’être juste, de ne pas caricature­r. »

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