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The Eddy : Damien Chazelle en série
The Eddy de Damien Chazelle
Entre deux gros projets calibrés pour les écrans géants, First Man, sorti il y a un an et demi, et Babylon, un mélo au coeur du Hollywood des années 20, prévu pour l’année prochaine, Damien Chazelle s’est offert une incursion télé en produisant The Eddy, dont il signe les deux premiers épisodes. Sur le mode de la chronique chorale et urbaine, il ausculte en 16 mm les atermoiements d’un groupe de musiciens pour qui la vie devient trop compliquée dès lors qu’il faut mettre le nez en dehors de leur petit club parisien. Présentée en avant-première à Séries Mania, The Eddy atterrit sur Netflix début mai. Preview.
PREMIÈRE : Vous n’êtes pas le showrunner de The Eddy, vous vous « contentez » de produire la série et d’en réaliser les deux premiers épisodes. De fait, il est difficile de mesurer votre degré d’implication. Vous pouvez nous en dire un petit peu plus ?
DAMIEN CHAZELLE :
Je suis impliqué depuis longtemps ; depuis 2014 je crois. Alan Poul [producteur d’Angela, 15 ans ou de Six Feet Under, notamment] m’a parlé, juste après la sortie de Whiplash, de son envie de fabriquer une série à propos d’un club de jazz qui se situerait à Paris. L’idée s’arrêtait là, vraiment. Mais elle était suffisamment séduisante pour qu’on y consacre du temps, qu’on se mette à chercher une intrigue et qu’on établisse un groupe de scénaristes aux côtés du showrunner, Jack Thorne [connu notamment pour ses épisodes de Skins], afin de développer cette histoire... Finalement, lorsqu’il a fallu tourner les deux premiers épisodes, cinq ans plus tard, j’avais forcément l’impression que The Eddy m’appartenait un peu, que toute cette histoire était aussi la mienne.
Pourquoi, dans ce cas-là, ne pas réaliser l’intégralité du show ?
On a très vite décidé que The Eddy se composerait de quatre blocs de deux épisodes, et que chacun d’eux serait réalisé par un metteur en scène différent. C’était une manière d’apporter de la variété... J’ai décidé de m’occuper du premier bloc et de le tourner comme un film. Je n’avais jamais fait de télévision auparavant et mes références pour ces deux premiers épisodes appartenaient intégralement à l’univers du cinéma. Logiquement, j’ai utilisé une méthodologie de cinéma, j’ai littéralement fait comme si je tournais un film d’un peu plus de deux heures, et je crois que chacun des metteurs en scène suivants a fait de la sorte avec son propre bloc. Par conséquent, je n’ai pas vraiment eu l’impression de faire de la télé.
On a particulièrement ce sentiment de cinéma en voyant le pilote de la série : il est assez long, une heure et quart, quasi autonome et propose une sorte de fin ouverte. Le deuxième épisode (focalisé sur un personnage secondaire, ouvrant plein de pistes narratives) s’inscrit davantage dans une logique sérielle.
Oui, vous avez raison, mais pour moi ces deux premiers épisodes forment malgré tout une seule et même entité. Ils ont été tournés
dans le même mouvement, on n’est pas passé de l’un à l’autre, on filmait vraiment les deux en même temps : d’où cette impression de fabriquer un film. La différence de style dont vous parlez tient finalement à l’écriture plus qu’à la mise en scène. Ils sont assez similaires en termes d’allure, non ?
Complètement. D’ailleurs, avez-vous laissé une feuille de route aux réalisateurs qui vous ont succédé ou est-ce que vous avez voulu que la série vive sa propre vie une fois votre travail terminé ?
Disons qu’il y a un peu des deux... J’avais une vision assez claire de ce à quoi la série pouvait ressembler et je tenais à ce que le pilote établisse une référence esthétique pour la suite. Cette base était simple au fond : un style très documentaire, beaucoup de caméra à l’épaule, des lieux et des visages singuliers... D’un autre côté, c’était très important pour les producteurs, dont je faisais partie, de ne pas livrer une série uniforme, de ne pas « verrouiller » l’esthétique de l’ensemble, de faire en sorte que chaque metteur en scène apporte un peu de sa sensibilité au projet. Il fallait créer des variations sur un même thème...
Ça fonctionne un peu comme un film à sketches finalement ?
Exactement ! On sait que Netflix est très soucieux des chartes esthétiques et d’une certaine cohérence visuelle à l’intérieur de son catalogue. Leurs productions « Originals », films comme séries, sont par exemple toutes tournées en numérique...
Oui...
JE N’AVAIS JAMAIS FAIT DE TÉLÉVISION AVANT ET MES RÉFÉRENCES APPARTENAIENT INTÉGRALEMENT À L’UNIVERS DU CINÉMA.
Pas vos deux épisodes, qui sont tournés en 16 mm – avant que la série ne repasse ensuite au numérique. Vous êtes donc le premier réalisateur à leur avoir imposé ce format. Ça s’est négocié facilement ?
Mmmh... Disons que ce n’était pas facile tous les jours, il fallait parfois se battre pour obtenir ce qu’on voulait. Néanmoins, pour les choses les plus fondamentales, nous étions finalement assez libres. La plupart de nos exigences avaient de toute façon été établies dès le début des conversations avec le diffuseur : il fallait que ce soit une série interprétée dans plusieurs langues, qui mélange les acteurs professionnels et non professionnels, que la musique soit systématiquement tournée en live, à même le plateau, et que l’image ne soit pas toujours très clean ni très élégante. Ces conditions-là avaient été validées par Netflix avant même la prépa et je crois que ça nous a fait gagner beaucoup de temps au moment du tournage. On a alors pu beaucoup expérimenter avec les acteurs et avec mon chef opérateur, Éric Gautier...
Quitte à prendre un cador de la photo comme Éric Gautier pour tourner une série, pourquoi ne pas avoir fait appel à votre chef op de La La Land et de First
Man, Linus Sandgren ? Vous teniez à rediscuter votre style avec un autre ?
Oh non, c’est juste une question d’emploi du temps, rien d’autre. Linus devait travailler sur The Eddy à l’origine. Il n’était juste pas disponible au bon moment. Mais Éric s’est complètement investi dans le projet, il y a eu une vraie collaboration entre nous, d’autant plus que nos épisodes devaient tenir lieu de « feuille de route ». Je connaissais déjà très bien son travail pour Assayas, Chéreau, [Walter] Salles et certains réalisateurs américains. Je savais qu’il serait parfait pour retranscrire l’aspect naturaliste et brut que je recherchais. Cela dit, vous avez raison
ON A PU BEAUCOUP EXPÉRIMENTER AVEC LES ACTEURS ET AVEC MON CHEF OPÉRATEUR, ÉRIC GAUTIER.