Première

THE BRIDE WITH WHITE HAIR

Mélo fantastiqu­e gorgé de bastons aériennes, de vignettes érotiques et de production values à la hollywoodi­enne, le chef-d’oeuvre de Ronny Yu devait changer la trajectoir­e du cinéma hongkongai­s. Il s’est finalement contenté de changer nos vies.

- FRANÇOIS GRELET

Le cinéma de Hong Kong fut une comète. C’est une évidence, sauf que cette sublime édition vidéo la rappelle avec ce qu’il faut d’énergie et de mélancolie pour que ça se mette à nouveau à nous remuer les tripes. Elle compile sur un premier disque le somptueux The Bride with White Hair de Ronny Yu (1993) et son amusante suite The Bride with White Hair II, signée David Wu, sortie quelques mois plus tard la même année. La deuxième galette, celle dédiée aux bonus, choisit de nous propulser dans un autre espace-temps : celui de la Chine contempora­ine et de son goût récent pour les blockbuste­rs numériques. On y retrouve ainsi un troisième film, The White-Haired Witch of Lunar Kingdom, avec la superstar Fan Bingbing, sorte de vrai-faux remake des deux précédents, inspiré par la même légende, et sorti en 2014. Un bidule formaté, présenté ici comme un élément de contexte, pour nous faire saisir à quel point la rétrocessi­on a liquidé sans sommation la folie, l’innocence et le génie hongkongai­s. En parlant de génie, concentron­s-nous donc sur The Bride... dont on n’en pouvait plus d’attendre une édition HD digne de ce nom (on a bien fait d’attendre : la copie présentée est splendide). Presque trente ans plus tard, il est toujours impossible de décréter si le film de Ronny Yu, que les connaisseu­rs appellent aussi JiangHu, s’impose comme une anomalie totale dans le paysage du cinéma hongkongai­s, ou s’il serait au contraire le symbole parfait de cette époque qui usinait du chef-d’oeuvre sans sourciller. C’est parce qu’il est probableme­nt tout ça qu’il reste unique.

FILM DE CHEVALERIE. Conçu pour cartonner dans le monde entier, empruntant vaguement sa trame au récit de Roméo et Juliette, The Bride... venait à l’origine contrecarr­er les habitudes d’une industrie très renfermée sur elle-même et sur les goûts de son public. L’équipe technique du film était constituée de cadors (la chef costumière des derniers Kurosawa, le chef op de The Killer, le directeur des combats d’À toute épreuve...) et le paquet avait été mis sur les production values : il fallait que ça en jette, et ce d’où qu’on vienne. Le film affirmait alors que le principe, très hongkongai­s, de l’idée qui prime l’exécution avait fait son temps. Désormais il y aurait l’idée ET l’exécution. Mine de rien, c’était une sacrée remise à zéro des compteurs. D’autant plus que l’ambition était tenue : plastiquem­ent, The Bride... tenait (tient toujours) du pur ébahisseme­nt. C’est par ailleurs un immense film de chevalerie, empruntant des éléments au mélodrame et au fantastiqu­e, et porté par deux stars à la beauté étourdissa­nte (Leslie Cheung et Brigitte Lin) qui usent de tout leur sexappeal pour bien nous faire saisir le caractère très physique de cette romance.

COUP D’ÉCLAT. En somme, depuis sa sortie, The Bride... est une porte d’entrée idéale pour (faire) découvrir le cinéma de Hong Kong. Sauf que le film a eu beau cartonner localement, il a fortement déçu à l’export. De fait, il a fini par rester dans les mémoires non pas comme un point de bascule, mais comme un simple coup d’éclat, typique du cinéma HK, où un cinéaste rigolo et foutraque mettait soudaineme­nt en boîte un chef-d’oeuvre d’une noblesse totale, à mille lieues de son univers habituel. Ronny Yu partira quelque temps plus tard pour Hollywood, où il signera quelques panouilles (La Fiancé de Chucky, Le 51e État) et n’approchera plus jamais l’état de grâce de The Bride... Son moment de génie était intimement lié à une époque et à son cadre industriel, poussant chacun de ses membres à transcende­r tout ce qu’il touchait. Le cinéma de Hongkong fut une comète, Ronny Yu aussi. Ce coffret est la plus belle trace de leur passage sur terre.

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Brigitte Lin

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