GEMINI MAN
L’édition ultra-haute définition (UHD) de Gemini Man tournant à 60 images par seconde et baignant dans un somptueux étalonnage HDR est la démo technique ultime que ce support mal-aimé attendait depuis sa création. Préparez-vous à tout racheter.
LA PROFONDEUR DE CHAMP, LA DÉFINITION, TOUT EST INOUÏ, RUTILANT, PARFOIS MÊME ÉPUISANT.
Comment dit-on déjà ? Bluray 4K ? Disque Ultra HD ? Blu-UHD ? Presque quatre ans que ce format existe et on ne sait toujours pas comment l’appeler. C’est une évidence, il y a un désintérêt total pour ce support, qu’on retrouve même à l’intérieur de ces pages où il n’a presque jamais été évoqué. L’anonymat dans lequel navigue le Blu-ray
Ultra HD (sa véritable dénomination selon Wikipédia, qu’on peut aussi comprimer en un très sexy « BD UHD ») est devenu, bien malgré lui, le symbole de la décrépitude actuelle du support physique. Tandis que les télés 4K se vendent par tractopelles depuis un bon quinquennat (et que les modèles 8K sont dans les starting- blocks pour l’Euro 2020), le lecteur vidéo UHD prend toujours la poussière chez les revendeurs d’électroménager. Le streaming s’est vite imposé comme le mode de diffusion favori de notre ère Ultra, et avec l’échec de l’UHD (autorisez-nous à éjecter le « BD ») c’est une fois de plus le triomphe des plateformes qu’il faudrait mettre en relief. Épargnons-nous cela si vous le voulez bien, pour se demander plutôt pourquoi la cinéphilie n’est pas entrée en résistance en adoptant ce nouveau support très aristo, avec sa colorimétrie virtuose, sa définition splendide et sa compression voluptueuse ? Si cette mode n’a jamais pris, c’est sans doute parce que les éditeurs de films de patrimoine ont mis un temps fou à investir le secteur de l’ultra-haute définition (ça change un peu) laissant cela aux blockbusters récents et anonymes, la plupart du temps shootés avec des caméras numériques 2K. Ce qui nous conduit vite vers un autre problème : personne n’a jamais vraiment vu une différence majeure entre les Blu-ray et les UHD. Voilà ce qui a finalement manqué à ce format depuis ses débuts : le fameux « effet wahou », cet instant de sidération qui vous oblige à contracter un crédit revolving pour renouveler dans l’instant votre homecinéma. Et, vous nous voyez venir, il se pourrait bien que ce moment-là soit venu.
SECONDE VIE. De manière assez ironique, le format UHD pourrait effectivement revenir d’entre les morts grâce à un autre éclopé de l’industrie du divertissement. Un film cette fois : Gemini Man d’Ang Lee. Bide noir à sa sortie, affublé d’un attirail technologique vertigineux et intimidant (3D-HFR en 60 et 120 fps : si vous n’y comprenez rien, merci de vous reporter au numéro 502 de Première), ce thriller pourrait bien connaître une seconde vie en vidéo. D’abord parce que son amusant concept très 90s ( Will Smith vieux vs. Will Smith jeune) se prête bien à ce qu’on peut attendre d’une soirée devant la télé. Ensuite parce que son édition en UHD va littéralement vous faire sortir les yeux des orbites. Assez mystérieusement, depuis l’apparition du support, les disques UHD ont tous été vendus accompagnés de leur version Bluray, glissée nonchalamment dans le boîtier. On ne voit vraiment pas à quoi ça sert, et on n’a jamais bien compris quel type d’arnaque ça pouvait cacher. Mais l’édition 4K de Gemini Man confère un peu de sens à cette mauvaise manie, puisqu’elle donne tout simplement des airs de reliques à la génération précédente. Il suffit de glisser le Blu-ray dans le lecteur pour le constater : le grand cinéma high-tech d’aujourd’hui ne peut plus s’accommoder d’un simple support haute définition. Diffusé « simplement » en 24 images par seconde et en haute définition, Gemini Man ressemble
à une aberration. Rien ne fonctionne : les axes de caméra sont trop frontaux, les mouvements sont flous, l’action à l’intérieur du cadre est trop rapide et les couleurs étrangement ternes. C’est du cinéma où rien ne raccorde et ça pourrait en partie expliquer son four en salles, où il a essentiellement été vu dans ce format dit « classique ».
BEAUTÉ MONSTRUEUSE. C’est évidemment lorsqu’on regarde le disque UHD qui, lui, tourne à 60 images par seconde et offre un étalonnage HDR (deux capacités propres au support) que Gemini Man devient le blockbuster furieux et expérimental conceptualisé par Ang Lee. Les couleurs, la profondeur de champ, la définition : tout est inouï, rutilant, parfois même épuisant. Cette sur-lisibilité de l’image, où tout renvoie à un enregistrement inconcevable du réel, fout presque les chocottes, surtout lorsqu’on la condense sur la diagonale d’un simple écran télé – et qu’on s’autorise les arrêts sur image ou les retours en arrière. Débarrassé de sa 3D, même si la sensation de jaillissement est palpable, ce Gemini Man UHD devient un objet d’une beauté monstrueuse, indicible, qu’on ne peut plus lâcher des yeux, qu’on ne peut plus sortir de sa tête. C’est une fascination qui relève de la pulsion scopique probablement, mais pas seulement. Se niche là l’impression qu’un tout nouvel horizon de divertissement, qui dialoguerait à la fois avec le cinéma et la réalité virtuelle, est en train d’apparaître à la maison. Le Blu-ray Ultra HD en serait à la fois le catalyseur et l’écrin idéal. Il ne reste plus qu’à attendre que les films suivent. Mais désormais, les présentations sont faites.