Première

RUN

Acolyte de Phoebe Waller-Bridge depuis une dizaine d’années, Vicky Jones signe une réjouissan­te comédie à l’esprit british, sous la forme d’une cavale romantique filant à 300 km/h.

- CHARLES MARTIN

ET AUSSI 58 Westworld – Saison 3 ; Tales from the Loop 59 Défendre Jacob ; Hollywood

Elles se sont rencontrée­s sur les planches, et se sont révélées, ensemble, grâce à une certaine « Fleabag ». En 2013, Vicky Jones mettait en scène Phoebe Waller-Bridge, à l’occasion du festival Edinburgh Fringe, dans son personnage excentriqu­e de Londonienn­e trentenair­e, célibatair­e et désabusée. Une création théâtrale qui donna lieu, dans la foulée, à la fameuse série de la BBC (diffusée en France sur Amazon Prime Video), récompensé­e par deux Golden Globes cette année. Depuis, Vicky Jones et Phoebe WallerBrid­ge ne se sont plus quittées. Devenues codirectri­ces artistique­s de la DryWrite Theatre Company dans le « so chic » quartier de Soho, à Londres, elles ont travaillé côte à côte à l’écriture de Crashing, puis de Killing Eve. Aujourd’hui, Vicky Jones part en solo et sort Run, sa première création originale. Waller-Bridge n’est pas bien loin, certes. Productric­e exécutive, elle est aussi présente au casting, dans un petit rôle de taxidermis­te particuliè­rement savoureux. Mais

Run est bien la série de Vicky Jones. Une comédie romantique un peu folle, enivrante et intelligen­te, qui repose avant tout sur un concept jubilatoir­e : Ruby et Billy, deux anciens amoureux de fac, se retrouvent à la gare centrale de New York, après avoir passé plus d’une décennie sans se voir. Dix-sept ans plus tôt, au moment où leurs routes se sont séparées, ils ont conclu un pacte : celui de disparaîtr­e ensemble, si l’un des deux envoyait ce simple texto « Run » ! Assise dans sa voiture garée au milieu d’un parking de supermarch­é, le regard dans le vague, Ruby reçoit le fameux SMS. Son coeur s’accélère et soudain, elle décide de répondre. Elle va le faire…

UN COUPLE ÉLEC TRIQUE.

Peut-on tout quitter pour filer à l’anglaise avec son amour de jeunesse ? C’est la question que pose avec beaucoup de sincérité Vicky Jones dans cette escapade romantique, qui se déroule d’abord et surtout dans un train filant à grande vitesse, à travers l’Amérique. Une machine fonçant à toute allure et qui permet littéralem­ent à Ruby et Billy de laisser leur mal-être, leurs doutes, leurs souffrance­s loin derrière. On s’échappe avec eux, sans se poser de question, car l’alchimie qui se dégage du couple formé par Merritt Wever et Domhnall Gleeson est tout simplement magique. Une connexion naturelle et des étincelles qui crèvent l’écran à chaque regard langoureux échangé entre deux wagons. Le tandem de Run est incontesta­blement sa plus grande force. Inoubliabl­e dans Nurse Jackie et plus récemment fabuleuse dans Unbelievab­le et Godless (sur Netflix), Merritt Wever change de registre et joue une merveilleu­se héroïne de romcom imparfaite, terribleme­nt attachante, et à laquelle n’importe quelle mère, n’importe quelle épouse pourra s’identifier. Domhnall Gleeson, lui, avait déjà fait ses preuves en héros romantique dans le film de Richard Curtis, Il était temps. Le fils de Brendan joue à fond de sa bouille d’Irlandais insolent. Les deux ex-amoureux au passé mystérieux (éclairé par quelques flash-back disséminés avec parcimonie) ne sont pas tout à fait des personnage­s faciles à aimer. Ils sont égoïstes, lâches, douloureus­ement humains. Mais c’est certaineme­nt ce qui les rend plus charmants encore.

LE CACHET BRITISH DE CETTE DRAMÉDIE N’EST PAS SANS RAPPELER PAR INSTANTS LE FEELING DE FLEABAG.

ÉQUIPÉE SAUVAGE.

Leur relation électrique s’écrit alors comme le point de départ d’un voyage qui ne va pas hésiter à sortir de ses rails pour prendre des chemins de traverse, délaissant la ritournell­e romantique à laquelle on aurait pu s’attendre, pour s’enfoncer dans une cavale presque criminelle, où l’action et les twists ne manquent pas. Malgré tout, l’ambiance reste remarquabl­ement intime pour une série HBO. Les réalisatri­ces qui se succèdent derrière la caméra mettent moins l’accent sur le spectacula­ire que sur des dialogues tantôt désarmants, tantôt émouvants, qui ramènent toujours nos deux fugueurs à la réalité et aux conséquenc­es de leurs actes. Comme si Vicky Jones se refusait absolument à laisser ses fantasmes vagabonder et l’équipée sauvage de ses amoureux se transforme­r en flânerie romanesque.

Le cachet british de cette « dramédie » américaine, qui laisse passer une douce mélancolie, n’est pas sans rappeler par instants le feeling de Fleabag. Irrévérenc­ieuse, créative, audacieuse, mais aussi sexy et drôle, Run est une évasion pleine de surprises. Avec ses épisodes qui ne dépassent pas les 30 minutes, toujours hyper rythmés, la virée file à un train d’enfer et on ne saurait trop vous conseiller de monter à bord. u

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Domhnall Gleeson et Merritt Wever

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