Première

La méthode LEKLOU

Indispensa­ble figure du cinéma français chez Jacques Audiard, Romain Gavras ou encore Katell Quillévéré et Elie Wajeman, Karim Leklou nous livre les clefs de son travail sur BAC Nord. "C’EST MA GUEULE ET MA VOIX, MAIS LA MORALE DU PERSONNAGE N’EST PAS LA

- PAR SYLVESTRE PICARD

On avait peur qu’il se fasse bouffer. Discret dans la vie, Karim Leklou est pourtant l’un des acteurs français les plus épatants apparus dans la dernière décennie. Révélé par Jacques Audiard dans Un prophète, il se forge depuis un CV impeccable, bâti sur son exigence. Les Anarchiste­s d’Elie Wajeman, Suzanne et Réparer les vivants de Katell Quillévéré, Voir du pays des soeurs Coulin, Toril de Laurent Teyssier, Orpheline d’Arnaud des Pallières… Peu de premiers rôles (Coup de chaud en 2015, Le monde est à toi en 2017), d’accord, mais c’est justement au second plan de films d’auteurs puissants, voire radicaux, que Karim Leklou s’est fait remarquer. Dans BAC Nord, il équilibre le duo de chiens fous joués par François Civil et Gilles Lellouche en campant Yass, un flic, futur papa, dont le regard porte plus loin que les autres. Pas question de se faire bouffer. Rencontré quelques jours avant le confinemen­t, dans un café parisien (et dans le respect des gestes barrières), le comédien analyse son personnage et sa vision du « métier ».

JOUER COLLECTIF

« On a fait une lecture du scénario à Marseille avec Gilles [Lellouche] et François [Civil], et on a suivi un entraîneme­nt au maniement des armes. C’était très harmonieux, on a passé beaucoup de temps ensemble, on a construit notre groupe… Cédric [Jimenez] accompagne beaucoup ses acteurs. Par exemple, lors de la séquence d’attente d’un deal de shit, on a proposé à Cédric une scène nourrie de nos discussion­s hors plateau : plutôt que d’être trop sérieux en mode “Alpha 5-22 en position !”, on voulait faire vivre réellement nos personnage­s et leurs enjeux. Et même si Gilles et François ont déjà de l’expérience dans le cinéma d’action, je ne me suis jamais senti en retrait. Ils ont été hyper généreux. »

S’AMUSER EN LIBERTÉ

« À quel moment Yass me ressemble le plus ? Je ne sais pas si j’ai assez de recul pour répondre à cette question. Je sais que c’est moi, ma voix, ma façon de respirer, mais je ne suis pas carriérist­e comme lui. D’ailleurs, jouer un flic ne m’excitait pas plus que ça. Comme pour tous mes autres rôles, ce qui comptait avant tout, c’était de trouver un personnage, de soutenir le film. Je n’ai pas de rôle rêvé, je veux défendre des personnage­s. Être acteur, c’est du jeu et on oublie trop souvent la part de fun, d’amusement qu’il y a dans ce métier. Je n’ai aucun jugement moral sur mes personnage­s. Aucun. C’est moi qui joue, c’est ma gueule et ma voix, mais la morale du personnage n’est pas la mienne. Yass est un type ambitieux qui ne s’épanouit pas sur le terrain. Il veut devenir officier, il a quelques failles mais il est droit face à la politique du chiffre… Voilà ce que j’ai essayé de faire passer à travers mon interpréta­tion. »

TROUVER LA SILHOUETTE

« Il fallait que Yass ait une silhouette bien précise. J’ai bossé avec Mathieu Pradel, un coach sportif, et j’ai perdu une bonne quinzaine de kilos en deux mois.

J’aime travailler mon physique. J’y suis allé gaiement. Là, je finis la saison 2 d’Hippocrate, c’est un autre rôle, donc j’ai retrouvé la silhouette du personnage… Yass est un type d’action, qui bouge beaucoup. Laurent Tanguy, le chef opérateur de BAC Nord, nous a laissé une grande liberté de mouvement, notamment dans la grosse scène d’action centrale : c’était dingue, on a pu bouger, improviser… Cette liberté de mouvement vient d’un travail collectif. Le réal, le chef op, l’équipe technique, les figurants… Les figurants, surtout, m’ont apporté une force incroyable. Ça m’a rappelé le tournage d’Un prophète : des scènes très tendues mais dans une ambiance hyper bon enfant. »

COUPER ENTRE LES RÔLES

« Je ne sens pas de différence entre le tournage de BAC Nord et celui d’une série comme Hippocrate : Thomas [Lilti] y met autant d’attention que pour un film. C’est le même processus, la même implicatio­n. Quand je joue un rôle, je m’attache à lui et seulement à lui. J’essaie de me donner à fond parce que je doute tout le temps. Et après je coupe. Une fois le rôle fini, je le laisse au film. Un rôle, c’est une vérité. Ce qui me motive, c’est ce qu’on raconte. Durant le tournage, je me dédie complèteme­nt au personnage – plus trop de vie sociale –, mais dès que le tournage est fini, ça disparaît. »

NE PAS S’IDENTIFIER

« J’aime découvrir des univers de metteurs en scène, tourner avec des cinéastes différents. Pour Réparer les vivants, Katell [Quillévéré] m’avait envoyé en stage en chirurgie, j’avais vu des prélèvemen­ts d’organes, c’était impression­nant. J’aime l’idée d’avoir plein de vies. Je ne m’identifie pas à une famille de cinéma, à un certain type de films… Je n’ai plus vraiment de contact avec Jacques Audiard [qui l’a révélé dans Un prophète], mais je vais voir ses films, je suis son travail. Avec Romain Gavras, c’est différent, on a gardé un lien. J’ai adoré faire Le monde est à toi. En fait, j’apprécie la plupart des gens avec qui j’ai tourné. Katell, les soeurs Coulin [ Voir du pays], Cédric… Ils ont tous une vision. Celle de Cédric est de faire un film d’action, spectacula­ire, avec une toile de fond sociétale, qui montre l’instrument­alisation politique de la police. C’est cool et rare, comme démarche, de ne pas vouloir copier les Américains. »

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François Civil et Karim Leklou
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