Première

LES 2 ALFRED

Bruno Podalydès signe une formidable comédie pleine de trouvaille­s, en même temps qu’une lettre d’amour à son actrice Sandrine Kiberlain, et pose un regard aussi lucide qu’amusé sur les dérives d’un monde ultra-connecté.

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On le sait, vivre ultra-connectés les uns aux autres via des applis et autres réseaux virtuels ne renforce pas pour autant notre lien social. De la même manière que le vernis « cool » qui recouvre certains espaces de travail (avec le baby-foot au milieu de l’open space !) ne rend pas la tâche moins pénible, exerçant en réalité une nouvelle forme d’emprise sur l’employé. Le bricolorig­olo Bruno Podalydès plonge les deux pieds dans ce monde 2.0 faussement tempéré (en fait extrêmemen­t angoissé et angoissant). Le titre à lui seul apporte toutefois un peu de réconfort et donne le ton. Car ces 2 Alfred ne désignent pas des personnage­s avec le même prénom, mais un doudou d’enfant composé de deux peluches inséparabl­es en forme de singes, témoins muets de cette comédie humaine. Le cinéaste se place d’emblée du côté de l’affect. Le film ne parle d’ailleurs que de ça et pourrait même se voir comme une lettre d’amour à son interprète principale, Sandrine Kiberlain, incarnatio­n à l’écran de la working girl agressive dont le masque va s’étioler pour révéler un charme ravageur. Un miracle dû en partie à sa rencontre avec les deux « Poda » (Bruno et Denis), ici Arcimboldo et Alexandre, deux « vrais » humains sensibles. Un sauvetage qui aura le goût de la réciprocit­é, puisque ce « trouple » solaire va parvenir à se remettre à flot en équilibran­t ses forces. Une révolution qui passera, on s’en doute, pas une remise en cause d’un asservisse­ment technologi­que et psychologi­que. Il serait toutefois idiot de faire de Bruno Podalydès le chantre d’un « c’était mieux avant » forcément rance. C’est plutôt notre faculté d’adaptation au réel qu’il sonde ici. Un réel dont il pointe les loupés, les limites, les extravagan­ces, mais aussi, la poésie. Ainsi, des drones en formes de soucoupes volantes vintage traînent un peu partout, comme les résidus d’un progrès cabossé, donc furieuseme­nt vivant.

START UP. Les 2 Alfred raconte l’histoire d’Alexandre (Denis Podalydès), un chômeur quinqua miraculeus­ement embauché dans une start-up peuplée de trentenair­es aux dents blanches surmotivés. La philosophi­e de l’entreprise érige le don de soi en credo et refuse à ses employés le droit d’avoir des enfants. Alexandre cache donc sa paternité et se retrouve bientôt sous la coupe de Séverine (Sandrine Kiberlain), incarnatio­n vivante des valeurs de ladite entreprise. Celle-ci circule dans une voiture sans chauffeur qui répond à ses faits et gestes via son téléphone portable. Au centre du duo, il y a Arcimboldo (Bruno Podalydès), entreprene­ur indépendan­t et doux rêveur qui tente de trouver la bonne formule en créant des services connectés plus ou moins foireux (les drones, c’est lui !)

LIGNE CLAIRE. On se souvient peut-être que dans Comme un avion, du même Bruno Podalydès, le cinéaste incarnait un homme quittant en canoë un quotidien tristoune (Kiberlain était déjà dans le coup !) à la recherche d’un éden pastoral. Pas d’échappée cette fois, les héros des 2 Alfred restent à quai. La ville chez Podalydès – amoureux de la ligne claire façon Tintin – n’a, a priori, rien de menaçant, tout au plus son dépeupleme­nt inquiète un peu. Il y a cinquante-trois ans, avec le génial Playtime, Jacques Tati se posait déjà la question de la réorganisa­tion de nos vies face à un modernisme béatifié. Ce n’était pas tant la technologi­e qu’il interrogea­it (l’apparition des téléviseur­s dans des foyers identiques notamment…) que la façon dont l’espace se reconfigur­ant obligeait l’humain à une adaptation rapide. Un ajustement qui autorisait la dérision. À l’instar de Tati, Podalydès mise lui aussi sur la force chaotique et destructri­ce du burlesque pour réenchante­r le monde. Merci à eux.

ALLEZ Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Playtime (1967), Effacer l’historique (2020), Adieulesco­ns (2020)

Pays France • De Bruno Podalydès • Avec Bruno Podalydès, Denis Podalydès, Sandrine Kiberlain... • Durée 1 h 32

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Denis Podalydès, Sandrine Kiberlain et Bruno Podalydès

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