Première

À LA RECHERCHE DE LA LUMIÈRE

Oliver Stone frappe fort avec cette autobiogra­phie où il réfléchit à sa place dans l’histoire du cinéma américain et, tant qu’à faire, dans l’histoire de l’Amérique elle-même. Son oeuvre la plus puissante depuis L’Enfer du dimanche.

-

Même si on a bien aimé son récent Snowden, il faut avouer qu’on avait un peu perdu, ces quinze dernières années, le fil de la carrière d’Oliver Stone, partagée entre documentai­res politiques peu ragoûtants (Conversati­ons avec monsieur Poutine) et nanars indignes (Wall Street : l’argent ne dort jamais). Mais l’homme vient de remettre les pendules à l’heure avec À la recherche de la lumière, l’une des meilleures autobiogra­phies de cinéaste de mémoire récente. Un récit passionnan­t, excitant, érudit, très bien écrit, consacré aux quarante premières années de sa vie, de sa naissance au triomphe de Platoon aux Oscars, en 1987. À plusieurs reprises, Stone y mentionne incidemmen­t Elia Kazan et on jurerait qu’il a pris modèle sur l’autobiogra­phie du réalisateu­r de Sur les quais (Une vie, parue en 1989) avant de se lancer dans la rédaction de la sienne. Comme Kazan, Stone entend donner à son destin l’allure d’une odyssée américaine. Comme Kazan, il est porté par un mélange tempétueux de mégalomani­e et de haine de soi, de fierté et d’autodépréc­iation. Un alliage explosif.

TOUT SEUL. À la recherche de la lumière est un autoportra­it d’Oliver Stone en enfant perdu du baby-boom, dont l’existence a plongé dans les ténèbres à cause de deux mensonges originels : celui du mariage de ses parents, qui vole en éclats quand il a 16 ans et lui fait réaliser que sa vie était bâtie sur une illusion ; puis l’enfumage du gouverneme­nt américain quant à la réalité de la guerre du Vietnam, dont Stone prend conscience alors qu’il est parti combattre là-bas en tant que fantassin. Deux trahisons qui feront de lui un solitaire éternel, fils de bonne famille en rupture de ban, vivant dans la dèche dans le New York seventies, avant de devenir un véritable maverick hollywoodi­en, adoré autant que conspué pour ses scripts choc (Midnight Express, Scarface, L’Année du dragon), n’appartenan­t à aucune génération, aucune école, aucune tribu. Une photo extraordin­aire, dans le portfolio du livre, le montre sur le tournage de Scarface : Brian De Palma et Steven Spielberg (venu sur le tournage en copain) sont côte à côte, hilares, complices, manifestem­ent en train de se raconter une bonne blague. Et Stone est assis à l’écart, tout seul, clairement exclu de la conversati­on, essayant de faire bonne figure. Un résumé fulgurant de sa position dans l’histoire du cinéma américain contempora­in.

HÉROS AMÉRICAIN. Le livre est ainsi rythmé par des moments de solitude terribles, une sensation permanente de rejet. Alan Parker le battant froid pendant toute l’aventure Midnight Express, Hollywood ricanant face à son discours ridicule aux Golden Globes de 1979 (il faut dire que l’intéressé était défoncé aux Quaaludes ce soirlà)… Stone décrit superbemen­t la routine du scénariste, les longues journées enchaîné à la machine à écrire, la drogue nécessaire pour tenir le rythme et respecter les deadlines. Des heures intenses qui lui permettron­t de donner vie à Tony Montana, Conan le Barbare, Stanley White (le flic raciste joué par Mickey Rourke dans L’Année du dragon) et Gordon Gekko ; et de finir par trouver, donc, « la lumière ». Celle-ci ne symbolise pas forcément la vérité. Elle n’est pas non plus celle qui permet à un cinéaste de réussir un beau plan. Non, c’est la lumière des sunlights, de la reconnaiss­ance et de la gloire. Le réalisateu­r choisit d’achever son récit sur son apogée artistique, personnel et politique, quand Platoon cartonne et réconcilie une Amérique encore déchirée sur la question du Vietnam. C’est à peu près la même fin que celle de Né un 4 juillet, quand Ron Kovic/ Tom Cruise redevient l’enfant chéri du pays, le héros américain qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Oliver Stone a beau être un rebelle, il n’a jamais craché sur un bon vieux happy end.

 ??  ?? Oliver Stone sur le tournage de Platoon
Oliver Stone sur le tournage de Platoon
 ??  ?? De Oliver Stone • Éditions de l’Observatoi­re • 480 pages • 23 euros
De Oliver Stone • Éditions de l’Observatoi­re • 480 pages • 23 euros

Newspapers in French

Newspapers from France