Première

PREMIÈREME­NT

Ryan Reynolds

- PAR FRANÇOIS LÉGER

PREMIÈRE : Qu’est-ce que vous avez fait de ces mois d’isolement forcé ? Vous êtes resté en pyjama toute la journée ou bien la situation a mis votre esprit créatif en ébullition ?

RYAN REYNOLDS : J’ai trois filles à la maison, alors autant vous dire que ma productivi­té a été plus que limitée ! Tu te réveilles, tu clignes des yeux et il est déjà 20 h. Le seul avantage de cette crise, c’est qu’elle nous a donné plus de temps pour la postproduc­tion de Free Guy, même s’il fallait gérer les choses à distance. Mais vous connaissez le dicton : on ne termine jamais vraiment un film, on l’abandonne.

D’après les premières images qui ont été montrées, Free Guy semble très «‰Ryan Reynolds compatible‰», si vous voyez ce que je veux dire.

Je vois très bien. (Rires.)

Ce qui m’amène à cette question‰: qu’est-ce qu’un film de Ryan Reynolds ?

Wow, alors là, je serais bien incapable de le définir. Bon, je vais tenter quand même : je suis beaucoup dans l’ironie et l’autodérisi­on, c’est peut-être ça mon, euh… « style » ? Et ça influe sûrement sur les films dans lesquels je joue. Hum, pas très convaincan­t comme réponse, non ?

Disons-le autrement alors : est-ce qu’un film devient un objet «‰reynoldsie­n‰» à la seconde où vous acceptez de jouer dedans ?

Ah ! Peut-être, ouais. Pourtant, ce n’est pas quelque chose de conscient. Comme tout artiste, je suis capable de prendre un certain nombre de directions créatives en fonction du projet et de ce avec quoi je me sens à l’aise. Mais que je choisisse de bifurquer ou de rester parfaiteme­nt aligné avec mon idée de départ, je vais toujours finir par me retrouver plus ou moins au même endroit. Quoi que je fasse, je suis un grand gamin et je ne pourrai jamais vraiment m’en éloigner. (Rires.)

À quel moment avez-vous décidé de vous moquer de vous-même et d’inventer cette persona très ironique, que vous utilisez aussi en dehors de vos films ? Après le bide de Green Lantern ?

Ouais, à peu près à ce moment-là. À la suite de Green Lantern [de Martin Campbell], je crois que j’ai compris que je prenais plus de plaisir et que je me sentais créativeme­nt plus satisfait quand je me moquais de moimême. Comme une majorité de Canadiens, j’ai grandi en apprenant à être capable de rire de mes failles et de mes défauts, de m’amuser de mon ego et de mon arrogance. Après un certain nombre d’années passées à Hollywood, j’ai décidé de revenir à ces racines, parce que j’avais besoin de me raccrocher à une forme d’authentici­té.

QUOI QUE JE FASSE, JE SUIS UN GRAND GAMIN ET JE NE POURRAI JAMAIS VRAIMENT M’EN ÉLOIGNER.„

C’était une façon de vous protéger du système, de prendre un peu de recul ?

Aussi. Mais ça touche en même temps à autre chose. Mes monologues intérieurs vont à fond la caisse et la plupart du temps, c’est pour me tourner en ridicule. Je vais me coucher le soir et je repense à ma journée : « Mon Dieu, mais pourquoi j’ai dit ça ? Pourquoi je me suis comporté ainsi ? » J’ai du matos pour un bon moment ! Alors pourquoi ne pas utiliser ça comme un ingrédient afin de construire un personnage quand je joue dans un film, ou une persona quand ça m’amuse ? C’est un processus interne très enrichissa­nt.

Donc ce «‰double‰» de Ryan Reynolds est plus qu’une blague, c’est aussi un espace de création ?

Vous savez – et c’est particuliè­rement vrai dans le monde du marketing –, peu de gens sont capables de mettre la lumière sur leurs propres écueils. Les carrières ont des hauts et des bas, mais rares sont les acteurs qui reconnaiss­ent que certains de leurs films étaient mauvais. Même si ce n’était pas forcément de leur faute et qu’il y a mille raisons pour lesquelles un film peut se planter : tout est toujours super à les écouter ! Je crois que je vais plus loin que l’autodérisi­on en fait, dans le sens où je me moque de ma propre contributi­on à un échec. Dans Deadpool, j’ai critiqué Green Lantern à travers une vanne. Et ça m’a fait un bien fou. J’ai pris à bras-le-corps une énergie négative, un truc qui aurait dû me tirer vers le bas, et je l’ai renversée en lui faisant une sorte de prise de judo. Ça m’a permis d’en tirer quelque chose de positif.

Dans Free Guy, le personnage de Taika Waititi dit ce truc qui m’a fait rire‰: «‰Les franchises et les suites, c’est ça que les gens aiment.‰»

( Il sourit.) On peut dire que dans le film, Taika représente à peu près tous les studios avec qui Shawn Levy et moi avons pu échanger durant nos carrières respective­s. C’est évidemment une pique et on s’amuse avec le fait que Free Guy n’est pas une adaptation. C’est ce truc qu’on appelle « un nouveau film ». (Rires.)

C’est toujours aussi dur de signer un film avec une idée originale ?

Disons que ça ne s’est pas simplifié quand il s’agit d’un long métrage qui a besoin d’un certain budget pour exister. En tout cas, je ne crois pas que Free Guy a été greenlight­é parce que le studio cherchait désespérém­ent une idée neuve. Il l’a été parce que c’est un film imaginé pour faire plaisir au spectateur, un pur concentré de joie. Le genre de chose dont on manque cruellemen­t en ce moment dans notre arsenal de divertisse­ment… Les gens du studio l’ont remarqué et ils savaient que Shawn et moi voulions travailler ensemble depuis des années. Ils ont senti que notre collaborat­ion allait être fructueuse. Et puis, je n’ai jamais rien lâché avec eux.

Vous interpréte­z un type qui n’est pas conscient d’être un personnage de jeu vidéo, et dont la vie est programmée à la minute près. Une coquille vide, ça s’incarne comment ?

Calmons-nous, ce n’est pas non plus comme si je jouais un peintre français impression­niste du XIXe siècle ! J’estime que mon boulot, c’est de rentrer dans la peau du personnage et de ressentir ce qu’il a à me dire. Mais sur le moment, une fois arrivé sur le plateau. Avec le temps, je me suis rendu compte que si je me prépare trop, si je prends trop de décisions à l’avance sans en discuter avec un partenaire créatif comme Shawn, ça ne sert pas forcément le film.

Il y a donc une part d’improvisat­ion ?

Oui, il faut être à l’écoute du film. Et puis, plus j’évolue en tant qu’acteur, plus je me fiche de savoir si j’ai raison ou tort. Je m’intéresse plus à la santé du film et de son écosystème. Comment faire le meilleur film possible avec les cartes qu’on a en main ? C’est ça, la seule question qui compte. Et les meilleurs films de ma carrière sont ceux où j’ai réussi à rebondir sur des situations. Ça veut dire parfois prendre du recul, parfois s’imposer. Mais ne surtout pas arriver avec une idée préconçue du personnage ou du film, particuliè­rement sur un projet high concept comme Free Guy. Après, ça t’oblige à faire des choix décisifs très rapidement. Et tu n’as plus qu’à espérer ne pas t’être planté.

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Ryan Reynolds
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Sur le tournage de Free Guy

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