Met la France sous traitement
Éric Toledano et Olivier Nakache font leurs premiers pas dans l’univers de la série, au fil de 35 épisodes qui prennent le pouls d’une France meurtrie par les attentats de 2015. Les réalisateurs d’Intouchables nous ont confié le bilan de cette expérience.
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SOPHIE BENAMON
Associés à des grands succès de cinéma, Éric Toledano et Olivier Nakache vont désormais s’inscrire dans l’histoire du petit écran avec En thérapie. Diffusée sur Arte, cette adaptation de la série israélienne à succès BeTipul met en scène un psy face à ses patients, tous impactés par les attentats de 2015. Une chirurgienne en plein transfert, un policier en plein doute, une ado qui cache un lourd secret et un couple en crise se succèdent dans son cabinet avant que lui-même n’aille consulter son psy référent. Les réalisateurs ont accepté de nous livrer leurs secrets et de répondre à la polémique récente autour du statut des scénaristes en France.
PREMIÈRE : marque un changement de ton dans votre oeuvre. Finies les comédies douces-amères ? ÉRIC TOLEDANO :
En thérapie
La comédie, c’est de la tristesse déguisée. Après les attentats de 2015, notre première réaction a été le « tout comédie » avec Le Sens de la fête et l’envie d’entendre les gens rire, se lâcher. Ça a été notre thérapie. Mais, dans le même temps, nous avons abordé la chose frontalement avec En thérapie. C’est ce jeu d’équilibre qui fait ce que nous sommes.
Quel est votre rapport aux séries en général ?
OLIVIER NAKACHE :
Nous sommes de gros consommateurs de séries. Néanmoins, j’ai l’impression qu’une série chasse l’autre. Je ne sais pas si je me replongerai dans The Crown comme je me replonge dans Apocalypse Now ou The Party.
Aviez-vous envie de vous frotter au genre sériel ?
ON :
Ce n’était pas spécialement une envie. Mais quand on a découvert BeTipul, on a été bluffés par ces séances psy/patient qu’on suit semaine après semaine. On s’étonnait qu’il n’y ait pas eu de déclinaison française de la série. Pour autant, on ne pensait pas l’adapter. Une rencontre fortuite avec son créateur Hagai Levi et les productrices Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez des Films du Poisson, nous a décidés.
C’est le format qui a été moteur pour nous. La psychanalyse au cinéma, c’est rarement brillant – à part dans les Woody Allen
ET :
comme Annie Hall – et toujours un peu mécanique. On avait envie d’aborder ce sujet et la série était le bon endroit pour le faire.
Quatre ans de travail… Pourquoi est-ce que ça a été aussi long ? ON :
On était en train d’écrire Le Sens de la fête et on n’avait pas le temps de se plonger dans l’écriture d’une série. La rencontre avec les scénaristes David Elkaïm et Vincent Poymiro, brillants auteurs de la série Ainsi soient-ils, a été un déclencheur. Pour nous, c’était une grande première de collaborer avec d’autres scénaristes. On faisait des points d’étape réguliers et c’est comme ça que le projet a mûri.
Pourtant, ces mêmes scénaristes se sont plaints de la désappropriation de leur travail sur le groupe Facebook « Paroles de scénaristes »…
ON :
Oui, on s’est expliqués ! Ce que je comprends, c’est qu’il y a un problème avec la reconnaissance du travail des scénaristes en général. Il faut donc les protéger car la crise sanitaire a notamment fait exploser les plateformes qui se nourrissent de séries. Je pense qu’il y a un système à repenser via des États généraux pour essayer de revaloriser et de « désinvisibiliser » cette profession.
On est conscients et solidaires de la position des scénaristes, dont le rôle est à redéfinir.
En ce qui concerne En thérapie, je peux comprendre que lorsqu’on travaille trois ans sur un projet et qu’on passe le bébé à une équipe de producteurs et à des réalisateurs, on puisse se sentir dépossédé de quelque chose. Néanmoins, Éric et moi sommes allés chercher des scénaristes, pas des coproducteurs ou des réalisateurs.
Il ne faut pas réécrire toute l’histoire. Nous sommes les initiateurs de cette série et nous avons eu une très belle collaboration avec David et Vincent, qui nous ont épatés par leur qualité d’écriture.
ET : ON : ET : Le concept de BeTipul est très strict. Comment trouve-t-on sa liberté et son originalité dans une telle adaptation ? ON :
C’est la question qu’on s’est posée à la première minute de la première réunion. On n’avait pas envie, bien évidemment, de faire un copier-coller. Très vite, avec les productrices et les scénaristes, on a voulu placer notre série dans le contexte des attentats de novembre 2015, car ce traumatisme puissant, qu’on a tous pris en pleine tête, a révélé des failles et des fêlures enfouies.
C’était volontaire de rétablir une forme de parole sur cet événement, à un moment où on a senti qu’il y avait une chape de plomb au-dessus de lui. Comme si on voulait passer très vite à autre chose. Hélas, on n’est pas passé à autre chose. La verbalisation est donc nécessaire pour ne pas mettre sous le tapis des idées qui pourraient créer encore plus de violence.
ET : Pourquoi avoir confié certains épisodes à d’autres réalisateurs ? ET :
On a vu la série comme un possible collectif. J’ai eu un plaisir coupable à aller sur le plateau des autres et à ne pas être de trop.
On leur a véritablement confié les clés. Il n’y avait pas de charte de mise en scène. Ils se sont pliés au cadre unique avec une équipe technique et des comédiens qu’ils n’avaient pas toujours choisis.
ON : Comment se renouveler pour mettre en scène une série qui se déroule dans une pièce ? ET :
En vérité, c’est cette contrainte qui nous animait. Dans un huis clos, l’émotion ne passe que par le jeu. Quand Reda Kateb raconte son arrivée au Bataclan, l’usage aurait voulu qu’on débute un flash-back au moment où il dit : « On a roulé vers le 10e arrondissement. » Sauf que là, on n’est pas dans le camion de la BRI mais avec le policier qui nous raconte son émotion et son souvenir. Et finalement, on s’échappe de ces quatre murs via l’imaginaire dans lequel nous transporte l’acteur grâce à ses qualités de jeu.