Bluth et Spielberg très animés
Au mitan des années 80, alors que Disney semble moribond, l’animateur Don Bluth et son producteur Steven Spielberg rêvent de lui faire mordre la poussière. Sous la bannière Amblin, ils signent Fievel et le Nouveau Monde, un énorme succès qui sera progress
Il fut un temps où la Walt Disney Company était une petite chose évoluant tout en bas de la chaîne alimentaire. Après que l’oncle Walt a cassé sa pipe en 1966, sa petite entreprise était redevenue progressivement l’outsider des origines, une mini-major que tous les gros studios rêvaient de croquer dès que possible. Au début des années 80, une nouvelle race de prédateurs venus de Wall Street débarque à Los Angeles pour y multiplier les tentatives d’OPA sur la petite souris californienne. Elle finit par échapper miraculeusement à leurs crocs mais, à l’époque, tous les insiders sont d’accord : Disney ne va pas survivre bien longtemps à Disney. C’est à peu près à ce moment-là que ces mêmes insiders se mettent à surnommer Steven Spielberg « le nouveau Disney », manière de dire que l’héritage de Walt se joue désormais ailleurs que dans sa propre compagnie. La parenté entre les deux hommes est évidente depuis E.T., un film qui a traumatisé toutes les classes d’âge du monde occidental, créant une onde de choc tout public que l’on n’avait
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FRANÇOIS GRELET pas observée depuis Blanche-Neige et les Sept Nains en 1937. Et le parallèle ne s’arrête pas là : en cette période faste, Spielberg choisit de devenir un peu plus qu’un simple artiste hollywoodien : un entrepreneur américain. S’il n’est pas encore question pour lui de monter un studio de ses propres mains (ce sera pour plus tard), il vient tout de même d’inaugurer sa boîte de production pour mieux édicter ses principes – à l’image de son ami George Lucas, autre grand héritier non officiel de Walt Disney (tiens, tiens). Baptisée du nom d’un de ses courts métrages de jeunesse, sa société Amblin vient à peine de naître qu’elle montre déjà un appétit certain pour l’animation. Pour lancer en fanfare cette branche, Steven Spielberg fait appel au dissident le plus illustre du studio aux grandes oreilles, l’homme qui avait décrété que Disney appartenait désormais au passé : l’animateur Don Bluth.
Pur produit des studios Disney, Bluth est né l’année de la sortie de Blanche-Neige, a commencé sa carrière en tant qu’assistant sur La Belle au bois dormant en 1959, avant de devenir l’un des artistes les plus respectés du
service animation de la compagnie. Il en claque la porte avec fracas au tout début des années 80, reprochant à la major d’avoir perdu toute vision créative depuis la mort du grand patron. Il fonde sa société et embarque dans ses valises les meilleures petites mains du studio – ce qui conduit Disney à un grand moment d’introspection, parfaitement raconté dans le documentaire Waking Sleeping Beauty (2009). Comme beaucoup à Hollywood, Bluth croit qu’il est alors temps de concurrencer frontalement Disney sur le terrain du long métrage animé – cela fait presque cinquante ans qu’ils sont sur ce secteur dans une position hégémonique. Son premier film sous l’égide de la « Don Bluth Productions » est malgré tout un échec. Mais l’extraordinaire Brisby et le secret de NIMH tape dans l’oeil de Spielberg. Et, en 1982, ce sont des choses qui comptent. Le réalisateur des Dents de la mer confie alors à Bluth un projet extrêmement personnel, probablement le plus intime de toute sa carrière.
Trente-cinq ans après sa sortie, Fievel et le Nouveau Monde a disparu de l’inconscient collectif et n’est même plus cartographié par la cinéphilie contemporaine. Gros succès lors de son passage en salles, il a fini par devenir une sorte de rareté (c’est ce que raconte en partie cette sortie Blu-ray sur notre territoire par un éditeur indépendant) et ne bénéficie même pas de l’aura « chefd’oeuvre maudit » qui entoure Brisby depuis son four commercial. Au fond, le souci, c’est qu’il est habité par deux personnalités extrêmement fortes qui s’écrasent mutuellement quand on essaie de le remettre en perspective. Ce n’est ni vraiment un Don Bluth ni tout à fait un Spielberg, mais c’est bien mieux que ça : une oeuvre hybride parfois déstabilisante, renfermant l’âme de deux des plus grands créatifs hollywoodiens de leur temps. Une spécificité que n’a pas leur collaboration suivante, Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles : un pur et formidable exercice de style façon Bambi au mésozoïque, conceptualisé avec un certain George Lucas.
Fievel est donc à part. Mis en chantier pour profiter du creux des studios Disney, pour leur passer devant, et pourquoi pas les torpiller pour de bon, le film explose toutes les tables de la loi du studio aux grandes oreilles, et ce, dès son pitch, puisqu’il s’empare d’un récit baignant à la fois dans une réalité historique très sombre et un contexte purement yiddish ! Titré An American Tail en VO, le film met en scène l’épopée d’une famille de petites souris juives fuyant, à la fin du XIXe siècle, l’oppresseur russe et félin pour larguer les amarres vers New York – d’après le patriarche, « il n’y a pas de chats aux États-Unis ! » . Le récit se focalise ensuite sur Fievel, le fiston, qui sera séparé de sa famille au moment de l’arrivée dans le port d’Ellis Island et permettra au film de raconter la fondation d’un pays à travers les yeux émerveillés et innocents d’un outsider. Directement inspiré de la trajectoire du grand-père de Spielberg, qui prête d’ailleurs son prénom au héros, An American Tail peut se regarder aujourd’hui comme une des oeuvres les plus directement autobiographiques de son producteur (avec Rencontres du troisième type). Il y raconte la trajectoire tumultueuse de ses aïeux, mais évoque aussi un rapport ambivalent à son pays tout en dissertant clairement sur sa judéité – un sujet sur lequel il se montrera pourtant peu disert, au moins jusqu’à La Liste de Schindler. Par ailleurs, oscillant entre le grand récit picaresque et le drame intimiste, les vignettes horri
fiques et le génie burlesque, le film met en scène les vents contraires qui ont habité Spielberg tout au long de sa carrière. Sa société Amblin était conçue pour ça : exorciser ses pulsions foutraques, le débarrasser de ses obsessions les moins avouables et déambuler longuement dans son imaginaire (rappelons que ambling signifie « flâner »). Fievel et le Nouveau Monde contient ces sujets délicats et les petites ambivalences que Spielberg range habituellement sous sa casquette de cinéaste. Et c’est précisément parce qu’il est en prise directe avec son passé familial et qu’il vient se confronter à la figure d’un de ses grands mentors, Walt Disney, qu’on pourrait regarder ce film-là comme l’objet Amblin ultime, celui qui les contient tous.
Mais ce n’est pas du tout le cas. Un sous-produit comme Les Goonies est probablement plus représentatif de l’esprit Amblin que Fievel, chef-d’oeuvre qui traverse les époques sans bouger d’un poil. C’est là qu’il faut rappeler une autre grande réussite spielbergienne : l’aventure Amblin était avant tout question d’esthétique. Il y avait un look souvent discutable, mais un look quand même, avec les doigts confortablement branchés dans la prise des 80s. Si le film de Don Bluth se situe dans les années 80, ce sont celles du siècle précédent. Et son animation (toujours prodigieuse) vise les canons des Disney de l’âge d’or. Fievel est donc un bloc de classicisme qui ne doit rien à son époque, à ses modes et à ses technologies : pas de doubleurs stars, pas de chansons à synthé, pas d’ordinateurs et pas le moindre bout de postmodernisme. Pour que sa singularité vintage vous pète aux yeux, vous pouvez vous amuser à le mettre en parallèle avec Basil, détective privé, le Disney sorti la même année qui, par un hasard qu’on ne s’explique pas, mettait aussi en scène des souris. Celui-là barbote avec une telle joie dans son temps qu’il aurait fait, au fond, un excellent film Amblin. Et donc un très mauvais Don Bluth – qui avait quitté le studio pour ce genre de raisons, d’ailleurs.
En 2021, Fievel ressemble à un insubmersible et c’est probablement pour ça qu’il a été submergé. Après ce succès, qu’ils prirent probablement pour un signe, Bluth et Spielberg continuèrent pendant de longues années, parfois ensemble, parfois en solo, d’essayer d’arriver à la cheville de Disney. La plupart du temps, ce furent des échecs (parfois funestes : Amblimation qui ferme au bout de trois films ; le bide noir de Titan A.E. qui enverra Bluth à la retraite). Mais si le merveilleux classicisme de Fievel et le Nouveau Monde l’a, de fait, éjecté de tous les revivals 80s et qu’il ne passera jamais une tête dans un épisode de Stranger Things, il réapparaît aujourd’hui immaculé, hors du temps, comme le modèle évident et inversé du Monde de Nemo, l’autre grand manifeste d’animation classique signé par les petits génies de Pixar. Depuis sa création, le studio s’est toujours placé en héritier revendiqué de l’outsider Don Bluth. Ironiquement, il navigue désormais sous la tutelle de Disney. Une compagnie qui évolue aujourd’hui tellement haut dans la chaîne alimentaire qu’elle ne s’intéresse plus aux souris depuis fort longtemps.
uDon Bluth • Sauvane Delanoë, Géraldine Guyon, Roger Lumont… • 1 h 16
• en DVD et Blu-ray le 17 mars • ESC
un manifeste sur l’Amérique interlope et nocturne des 80s. Melanie Griffith s’effeuille et drague des filles superbes, Tom Berenger visite tous les night- clubs de la ville en faisant le cacou et pendant ce temps, un cinglé scarifie des strip-teaseuses pour mieux les regarder agoniser. Autrefois très culte, le film a pris un bon petit coup de vieux derrière la tête, en particulier ses mafieux d’opérette. N’empêche, l’odeur de bitume souillé persiste bien.
sorti l’année des faits, le film de Ferrara, bien que situé de l’autre côté du pays, peut se regarder comme la matrice esthétique évidente du docu – qui ne rechigne pas sur les motifs et les fanfreluches vintage. Plus intéressant : New York... et sa précision toute naturaliste semble fonctionner comme le contrechamp du true crime de Netflix. Les soirées de Richard Ramirez, lorsqu’il n’était pas occupé à tuer, devaient ressembler à ça.
Et ça fait froid dans le dos.
dans cette adaptation de Lune sanglante (James Ellroy), James Woods incarne Lloyd Hopkins, un sergent du LAPD maniaque et brutal. Il est à la poursuite d’un serial killer qui torture des jeunes femmes avant de les assassiner sauvagement. Cop est une série B tordue, peuplée de figures hystériques, toujours très recommandable.
« L’histoire de Ramirez semblait sortir d’un bouquin d’Ellroy », explique Tiller Russell, le réalisateur du Traqueur de la nuit. De fait, l’ultraviolence de Ramirez, sa fascination pour les rituels macabres, sa cruauté psychopathe et jusqu’à ses masturbations compulsives évoquent les modes opératoires des figures infernales des romans d’Ellroy et de Lune sanglante en particulier. On finirait presque par croire que le Night Stalker s’est inspiré d’un bouquin du Dog. Et c’est nous ou Steven Lambert qui joue le tueur de Cop ressemble beaucoup à Ramirez ?