Première

PARCOURS FLEISCHER

La parution de ses mémoires et un beau bouquin d’analyse permettent de résoudre le « paradoxe » Richard Fleischer, artisan génial et auteur discret.

- PAR THOMAS BAUREZ

Richard Fleischer, une oeuvre, titre l’un des deux ouvrages consacrés au cinéaste américain (1916-2006), comme si l’appellatio­n n’avait rien d’évident. L’auteur, Nicolas Tellop, avoue dans sa préface répondre à Serge Daney qui écrivait en mars 1967 dans Les Cahiers du cinéma : « Fleischer serait ce cinéaste qui réussit tous ses films sans réussir une oeuvre. » Depuis une dizaine d’années, des éditions vidéo ont agi comme une sorte de sève irriguant l’organisme du cinéphile français : La Fille à la balançoire, Les Inconnus dans la ville, L’Étrangleur de Boston, L’Étrangleur de la place Rillington, Terreur aveugle, Les flics ne dorment pas la nuit, Mandingo… Tous ces films pas toujours bien identifiés, peuplés de personnage­s violents et violentés, où la notion même de genre se brouille, dessinent bien une trajectoir­e. Il y aurait ainsi deux extrémités chez Fleischer : l’artisan disséminan­t les hits (20 000 lieues sous les mers, Les Vikings, Tora ! Tora ! Tora !, Soleil vert…) et le cinéaste plus secret, engagé dans une quête pour démasquer l’âme humaine et en révéler la part la plus désespérée. Bref on tiendrait là une sorte de cinéaste américain total,

jonglant avec les échelles, les budgets et les genres.

Pompier de service

Ses mémoires fraîchemen­t traduites le racontent d’ailleurs parfaiteme­nt : à Hollywood, Fleischer a tout connu. L’époque des gros studios avec les moguls surpuissan­ts (les passages sur Howard Hughes, Darryl F. Zanuck et Walt Disney sont un vrai régal), l’arrivée des producteur­s indépendan­ts et visionnair­es (Stanley Kramer notamment), la parenthèse du Nouvel Hollywood (trop vieux pour trinquer avec les jeunes loups, mais suffisamme­nt éclairé pour être sur la photo), jusqu’aux premiers feux des blockbuste­rs (à la fin de sa vie, il jouera les pompiers de service pour longs métrages en détresse : Conan le destructeu­r, Kalidor, la légende du talisman, Amityville 3D…). Il conclut ainsi avec lucidité : « Pour ma part, je ne crois pas avoir été poussé au cinéma par une forme d’altruisme esthétisan­t. » Si l’homme a fait des concession­s, il a toujours été guidé par la beauté, l’efficacité et la puissance de son art (Les Inconnus dans la ville est l’un des plus beaux films jamais tournés en CinemaScop­e) Mais de cette postérité, Fleischer s’en foutait un peu, même s’il déplorait face aux journalist­es français de Cinéma, Cinémas venus l’interroger chez lui en 1990 : « On dit de moi que je suis un bon cinéaste d’action, ça m’embête parce que les films que je préfère dans ma carrière sont plutôt des drames psychologi­ques avec deux personnage­s dans une seule pièce. Cette intimité est plus difficile à rendre intéressan­te pour le spectateur qu’une scène d’action avec des caméras partout. » Richard Fleischer, survivre à Hollywood (mémoires) et Richard Fleischer, une oeuvre de Nicolas Tellop (monographi­e) chez Marest éditeur.

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